Seul Dieu a le pouvoir d’ôter les voiles de vos yeux, et vous ne trouverez pas de réponses ici, à moins qu'Il ne le veuille.

28 mai 2019

Religion du désert-religion de la forêt



« D’une façon générale, les œuvres des peuples sédentaires sont, pourrait-on dire, des œuvres du temps : fixés dans l’espace à un domaine strictement délimité, ils développent leur activité dans une continuité temporelle qui leur apparaît comme indéfinie. Par contre, les peuples nomades et pasteurs n’édifient rien de durable, et ne travaillent pas en vue d’un avenir qui leur échappe ; mais ils ont devant eux l’espace, qui ne leur oppose aucune limitation, mais leur ouvre au contraire constamment de nouvelles possibilités ».

René Guénon (Le Règne de la Quantité, Gallimard, 1972, p. 145).

De tout temps et en tous lieux, il s’est établi une relation intime, une compénétration synchronique, entre Nature et Culture, un lien sympathique s’est tissé entre les croyances des peuples et l’environnement naturel qui les a vu naître.

En d’autres termes, on peut affirmer que le milieu géographique détermine des impressions variables, offre des expériences différenciées et implique des comportements appropriés. Il n’est donc pas surprenant de constater que l’aspect extérieur et les particularités d’un territoire conditionne largement la psyché de ses habitants, et dès lors, nous voyons que le spectacle quotidien d’une terre natale et d’une nature familière a coloré et imprégné en profondeur toutes les traditions, toutes les formes religieuses et tous les mythes apparus dans l’histoire.

En clair, le paysage naturel a partout et toujours façonné le paysage mental, les conditions environnementales ont partout et toujours fortement influencé les différentes manifestations du Sacré. L’âme profonde d’un peuple dépend essentiellement et logiquement de l’aspect extérieur de son lieu de vie. Le cadre spatial qualifie le cadre mental.

Dans cette optique, la relation dialectique entre religions du désert et religions de la forêt (ou entre sacralités sémitiques et sacralités indo-européennes, ou entre abrahamisme et paganisme, ou entre nomades monothéistes et sédentaires polythéistes) nous paraît fondamentale.

Cette distinction majeure marque en effet deux modes d’être-dans-le-monde radicalement différents, deux façons opposées mais complémentaires de concevoir l’unicité de Dieu, deux grandioses visions du monde qui, suivant les époques, se sont parfois subtilement embrassées, parfois férocement combattues.

Nous tenterons en quelques lignes de définir et de caractériser ces deux grands courants religieux et civilisationnels nés dans les déserts moyen-orientaux et les forêts eurasiennes.

Tout d’abord, il convient de voir comment les deux religions ont conçu le dieu suprême, et plus précisément, sous quels traits symboliques et sous quels regards particuliers ont-elles perçu celui que toutes les traditions humaines connaissent comme le “Père du Ciel”, créateur du monde et des hommes.

Dans l’ensemble civilisationnel indo-européen, la grande divinité paternelle est directement assimilée au ciel, à la lumière journalière, à l’aurore, à la clarté originelle et au renouveau post-hivernal.

Effectivement, les termes désignant « dieu » (latin : deus ; sanskrit : deva ; iranien : div ; vieux germain : tivar ; lituanien : diewas ; irlandais : dia) ainsi que les noms des principaux dieux (Dyaus-Pitar en Inde, Zeus Pater en Grèce, Daipatūres en Illyrie, Jupiter en pays latins ou encore Zeus-Pappos en Thrace-Phrygie) dérivent étymologiquement du radical indo-européen deiwos : « ciel », mais aussi des racines sanskrites dyu et div renvoyant au « jour » et à la « luminosité » (on retrouve ces racines dans le latin dies et l’anglais day désignant le « jour »).

Plus généralement, on peut avancer que le païen des forêts et des campagnes européennes, résidant au sein d’une nature luxuriante, vivant au rythme de la ronde des saisons, contemplant une grande variété de paysages, devant s’adapter à des climats changeants et côtoyant une multitude d’espèces végétales et animales, ce païen, disons-nous, va appréhender l’Un à travers le Multiple, de la même manière que la lumière solaire est cachée par les brumes épaisses, voilée par les nuages, fractionnée par les branchages et atténuée par les hauts feuillages, et aura donc tendance à se constituer des panthéons bien garnis, à se créer des divinités locales liées aux particularités géographiques ou à la biodiversité (dieu des sources, des bois, des montagnes, des champs, des rivières, des troupeaux… etc.) et à vouer une adoration toute particulière à la figure féminine de la Terre-Mère, perpétuellement féconde et nourricière, garante des fructueuses récoltes et de la fertilité des êtres humains.

Pour les païens européens, la nature est exubérante, abondante, diversifiée et produit largement le nécessaire à la survie, elle invite à la cultiver, à la modifier et à lui imposer des limites, elle incite à la chasse, au défrichement, à l’agriculture, à l’esprit d’entreprise et à la construction : tout est à disposition ici-bas, c’est à l’homme seul de gagner sa place au Ciel, “à la sueur de son propre front” (“Par sa valeur” à l’image de la signification du nom de Perceval).

Aussi, dans ce contexte fait d’un environnement complexe et florissant, la divinité suprême est invisible, elle s’est retirée des affaires du monde ou est cachée (c’est le fameux dieu inconnu des Athéniens, sceptiques devant saint Paul) et est assimilée au Destin insondable, seuls les dieux secondaires ont le pouvoir d’apporter un léger secours et une protection temporaire. L’homme est debout face à ses dieux et a une confiante certitude en eux, comme l’indique par exemple l’expression theoi philoi (« dieux-amis ») souvent utilisée par Homère dans l’Odyssée.

Dans la perspective des religions de la forêt, le Beau, le Juste, le Vrai, le Bien, inatteignables ici-bas, se laissent découvrir à travers la perfection des œuvres et des lois de la nature, les choses d’en-bas reflètent les choses d’en-haut, le mouvement général des âmes et des consciences va de la multiplicité terrestre à l’unité céleste, du plan Sensible, de l’Immanence, pour aller à celui de l’Intelligible, de la Transcendance.

En revanche, la conception de Dieu dans les religions sémitiques participe d’un mouvement de l’âme inverse du fait de l’immobilité, de l’horizontalité, de l’uniformité, du vide et de l’infertilité propres au milieu désertique.

Alors que l’environnement naturel de l’Indo-européen est généreux et hospitalier à condition de le travailler sans attendre d’aide providentielle, à l’inverse, au regard de l’homme du désert, la sécheresse et la désolation du paysage, avec son soleil brûlant le sol aride et brillant seul au milieu du firmament, invitent à l’humilité et à la crainte.

De même, les difficulté du climat et du terrain obligent les peuples sémitiques à s’organiser en sociétés très soudées et fermées avec un pouvoir central fort, une institution religieuse stricte et légaliste, à maintenir une vision unicitaire et exclusiviste du monde, à développer les échanges, la communication, le transport et le commerce à grande échelle.

Tout cela rend la perception de l’existence beaucoup plus fluide et passagère que celle de l’Indo-européen, plus enraciné sur sa terre (« Ils vivent à l’écart les uns des autres », remarquait Tacite en parlant de l’habitat des anciens Germains) ; ce dernier sera également beaucoup plus indépendant du groupe et de ses codes collectifs que les peuples du désert pour lesquels la cohésion sociale, l’entraide, le prosélytisme et le communautarisme constituent des nécessités primordiales, du fait de la difficulté des conditions géographiques et du besoin des autres pour survivre.
« Tu trouveras bien plus dans les forêts que dans les livres ».

Dans ce décor vierge, homogène et indifférencié, l’unicité de Dieu est omniprésente et sa domination sans partage sur le plan horizontal est constamment ressentie, d’où un certain fatalisme face à la vie, une vision a-cosmique et a-somatique, sans compter la croyance fort répandue en la prédestination.

Le Père céleste, lointain pour l’Indo-européen, sera donc perçu par le Sémite comme un maître absolu, jaloux, colérique et rémunérateur, à la fois un dieu destructeur qui sème la désolation, à la fois un dieu sauveur qui dispense la pluie bienfaitrice.

A cet égard, les noms donnés à Dieu dans les religions sémitiques sont tout à fait significatifs quant à cette conception du Sacré faisant de l’homme une créature servile, intégralement soumise à un dieu omnipotent, porteur de commandements précis et imprescriptibles (on sait ainsi que le terme Islamrenvoie à la soumission et à la sujétion aux ordres divins).

Des noms divins tels que Baal ou Adonaï (signifiant le « Seigneur »), Shaddaï (le « Tout-Puissant »), Sabbaoth (le « Seigneur des Armées »), El-Elyon (le « Très-Haut »), Melech ou Moloch (le « Roi ») représentent des avatars d’un dieu souverain et terrible devant lequel il faut se prosterner, le front collé au sol.

Ici, Dieu est l’Alpha et l’Oméga, il est le Grand-Un et le Grand-Tout comme le suggère les noms El, Elohim ou Allah dérivés de la racine hébraïque Èl qui évoque la force, la puissance et le pouvoir (nous signalerons que l’on retrouve étrangement cette racine dans les langues germaniques avec par exemple alone et allein : « seul » ou encore all et alles : « tout », respectivement en anglais et en allemand).

C’est l’esprit de Dieu qui “descend” et “habite” parmi les hommes et donc, à l’opposé des religions de la forêt qui s’appuient sur l’ici-bas pour tendre vers l’au-delà, les religions du désert impliquent un mouvement général de l’âme allant de haut en bas, du Ciel à la Terre (tel est le sens du mot arabe Barakahdésignant les influences spirituelles et les bénédictions provenant de Dieu), l’homme se trouve en permanence sous le regard omniscient de Dieu.

Pour terminer ce court article, nous dirons que la dichotomie entre les sacralités indo-européennes et sémitiques peut se résumer ainsi : pour les premières, le monde étant plein, la nature étant riche et peuplée d’innombrables créatures, l’Unité divine sera conçue comme vide d’attributs, à l’image d’une clairière au milieu des bois ; pour les secondes, le monde étant vide, la nature étant hostile et immobile, l’Unité divine sera conçue comme pleine d’attributs, à l’image d’un oasis au milieu du désert.

Pour les unes, Dieu est un « moteur immobile » qu’il faut trouver soi-même, pour les autres un dieu personnifié qui agit (voire s’incarne) directement dans l’histoire humaine, pour les unes, Dieu est un père absent ou un père ami, pour les autres, un père fouettard ou un papa-poule, pour les unes, l’espace est à modifier, pour les autres, à traverser, pour les unes, le temps est cyclique et compressif, pour les autres, linéaire et expansif.

D’un coté, l’éternel retour, de l’autre, la fuite en avant, d’un coté, le système du monde est statique alors que la relation à Dieu est active, de l’autre, le système du monde est dynamique alors que la relation à Dieu est réceptive, d’un coté, l’attente du « Crépuscule des dieux », de l’autre, de l’ « avènement du Messie »…

Ces deux types de vie religieuse et de vision du monde qui ont produit deux types divergents d’homme et de société ont influencé la marche de l’histoire et se sont constamment confrontés depuis 2000 ans… pour le meilleur et pour le pire.

Ainsi il nous faut constater que la dernière époque traditionnelle de l’Occident que fut le beau Moyen-âge des cathédrales a constitué un superbe et fécond mariage entre la sacralité barbare des forêts et la sacralité sémitique du désert, avec une complète et subtile réadaptation chrétienne de l’ancien monde païen (on notera au passage que les clercs médiévaux surnommaient la forêt « désert » en référence à l’aventure solitaire et au retrait de la vie mondaine que pratiquaient les premiers Pères du désert).

Saint Bernard, l’homme le plus illustre de la Chrétienté européenne qui incarna cette symbiose parfaite entre le mystique du désert et le chevalier des forêts, déclarait simplement : « Tu trouveras bien plus dans les forêts que dans les livres ».






Or, depuis la période des “trois R” (Renaissance, Réforme, Révolution) et l’influence grandissante du courant mammonique judéo-maçonnico-protestant (n’oublions pas que l’on désignait par « Désert » la clandestinité des Protestants restés en France pendant les persécutions religieuses), l’Occident, qui aujourd’hui comprend l’ensemble du globe, est toujours porté par un idéal collectif couplant pensée du désert et pensée de la forêt, mais cette fois, en en extrayant les plus mauvais cotés de chacune : le prométhéisme, l’hybris, le polythéisme, la débauche, la surproduction, le nihilisme, l’individualisme et le penchant suicidaire propres à l’Européen, le tout agrémenté du littéralisme, du légalisme, du collectivisme, de l’étatisme, du capitalisme, du messianisme, du puritanisme et du “nomadisme” à la sauce attalienne propres au Sémites.

Bref, qui va gagner le combat pour glander tranquille sur la plage ? Bikini ou Burkini ? « Du pain et des jeux » ou « veau d’or » ? Futur carnavalesque ou futur carcéral ? Ragnarök ou Apocalypse ?

par Pierre-Yves Lenoble 

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