Seul Dieu a le pouvoir d’ôter les voiles de vos yeux, et vous ne trouverez pas de réponses ici, à moins qu'Il ne le veuille.

31 mai 2019

Le « Sama»-Rûmi




C’est Rûmî qui, dans son désespoir après la disparition de Shams, a créé le « Sama» , la danse cosmique sacrée bien caractéristique de la confrérie qu’il a fondée. Plus tard son fils, Sultan Valad, l’a codifiée et institutionnalisée. Il raconte, dans La parole secrète : » L’enseignement de mon père était tout de même très ésotérique et très compliqué.

J’ai essayé de l’expliquer pour le grand public .


Nous avons connu des gens qui, visitant la Turquie, ont été déçus par le  
« Sama». Ils y ont vu un spectacle pour les touristes, une danse folklore. (question posé par des journalistes à Eva de Vitray)

– Malheureusement, ce peut être le cas. Un jour, dès mon arrivée à Konya (Turquie), je me suis précipitée pour voir « Sama ». C’était dans un grand gymnase éclairé au néon et il y avait des gens qui, à l’entrée, buvaient du coca-cola tandis que d’autres essayaient de vendre des petits derviches en laiton doré. Le « Sama » lui-même était toujours aussi beau mais enfin, ce n’était pas ça. J’en ai eu le cœur serré et je suis partie avant la fin.

En entrant dans ma chambre d’hôtel, je me suis surprise à murmurer, en m’adressant à Rûmi : » Vraiment, je voudrais bien voir autre chose que cette caricature. » Au moment même, le téléphone a sonné et on m’a dit : » Madame, on vous demande ». J’ai dit que ce n’était pas possible parce que je n’avais annoncé mon arrivée à personne, mais la téléphoniste a insisté en disant qu’on demandait le docteur Eva. J’ai alors entendu la voix d’un de mes amis derviches :

» Alors, c’est comme ça qu’on nous plaque en plein milieu d’un « Sama » ? » Je lui ai dit ce que j’avais sur le cœur et il m’a répondu : » Croyez-vous que ça nous fasse plaisir de faire du folklore ? Venez, nous allons vous faire un « Sama » pour vous toute seule. » C’est ainsi qu’à deux heures du matin, j’ai pu assister à un « Sama » qui était la vraie danse cosmique voulue par Rûmi, la ronde vertigineuse des atomes et des planètes.

» Plusieurs chemins mènent à DIEU, disait-il. J’ai choisi celui de la danse et de la musique… Dans les cadences de la musique est caché un secret. Si je le révélais, il bouleverserait le monde« .

– Peut-être n’a-t-il pas révélé le secret mais il a écrit un certain nombre de textes magnifiques sur la danse cosmique.

Pourriez-vous nous citer ceux-qui vous touchent le plus ?

 O jour, lève-toi ! Des atomes dansent,

Les âmes, éperdues d’extase, dansent,

A l’oreille, je te dirai où l’entraîne sa danse.

Tous les atomes dans l’air et dans le désert,

Sache-le bien, sont tels des insensés,

Chaque atome, heureux ou misérable,

Est épris du Soleil dont rien ne peut être dit

– On a envie d’en demander encore.

» Comment l’âme pourrait-elle ne pas prendre son essor quand, de la glorieuse Présence, un appel affectueux, doux comme le miel, parvient jusqu’à elle et lui dit : » Élève-toi ! » Comment le poisson pourrait-il ne pas bondir immédiatement de la terre sèche dans l’eau, quand le bruit des flots arrive à son oreille de l’océan aux ondes fraîches ?

Comment le faucon pourrait-il ne pas s’envoler, oubliant la chasse, vers le poignet du roi, dès qu’il entend le tambourin, frappé par la baguette, lui donner le signal du retour ?

Comment le soufi pourrait-il ne pas se mettre à danser, tournoyant sur lui-même comme l’atome, au Soleil de l’éternité, afin qu’il la délivre de ce monde périssable ? Vole, vole, oiseau, vers ton séjour natal, car te voilà échappé de la cage et tes ailes sont déployées. Éloigne-toi de l’eau saumâtre, hâte-toi vers la source de la vie. » (Diwân)

– Vole oiseau vers ton séjour natal. Il y’a donc dans l’âme du soufi comme un souvenir du Paradis ?

C’est un thème très important de la mystique musulmane et sans doute aurons-nous l’occasion d’y revenir.

– En vous entendant, nous n’avons aucun mal à comprendre votre émerveillement lorsque vous avez découvert pour la première fois ces textes qui, depuis huit-siècles, n’avaient jamais été traduits.

Le mot émerveillement me semble un peu faible. Je peux même parler de stupéfaction lorsque j’ai découvert que Rûmi connaissait le nombre de planètes qui, en Occident, resta ignoré jusqu’à notre siècle (XXème siècle). C’est d’ailleurs sur le nombre des planètes dans le système solaire qu’il a déterminé le nombre des danseurs prenant part à l’oratorio spirituel. Ils sont toujours neuf ou un multiple de neuf.

– Le « Sama » est donc plus qu’une danse. Peut-on dire que c’est une liturgie ?

Absolument. Et pas seulement le » Sama », mais la musique. Aflâki raconte que, tandis que Rûmi était en train d’entendre un instrument qu’il aimait beaucoup, l’appel à la prière a retenti. L’ami qui était avec lui l’a pressé d’interrompre le concert.

« Non pas, dit le maître, car ceci est aussi une prière. Toutes deux s’adressent à DIEU. Il veut l’une extérieurement pour Son service, et l’autre intérieurement pour Son amour et Sa connaissance. »

Il dit aussi en parlant du rebab : » Ce n’est que corde sèche, bois sec, peau sèche mais il en sort la voix du Bien-Aimé. »

Tout lui était prétexte pour se mettre à danser : le tic-tac des batteurs d’or, le chant de l’eau sur la route du moulin… Il était toujours au bord de l’extase, de cette ultime union qu’il a ainsi chantée :

« A l’origine, mon âme et la tienne étaient unies,

Elles étaient l’apparence et le secret de toi, l’apparence et le secret de moi.

Il serait vain de dire » la mienne et la tienne «

Car il n’y a ni moi, ni toi, entre moi et toi . »

– Vous pourriez le citer pendant des heures.

Mais oui ! Que voulez-vous, j’ai vécu et je vis dans une telle familiarité avec lui. Pensez que j’ai traduit à peu près tout ce qu’il a écrit : les Odes mystiques; un livre d’enseignement auquel j’ai donné ce titre : Le livre du dedans les quatrains et surtout, surtout les 50 000 vers du Mathanawî, une très vaste et très belle théodicée dans laquelle on sent ses immenses qualités de philosophe, penseur, de mystique, de poète et de commentateur ésotérique du Coran.

– Vous insistez beaucoup sur son œcuménisme.

Oui, parce que je pense qu’en cela, il est incroyablement moderne. Sans le savoir très clairement, c’est ce que je cherchais : un œcuménisme qui ne soit pas un syncrétisme.

Car il est toujours facile de prendre un peu d’islam, de christianisme, de bouddhisme ou d’hindouisme pour en faire un amalgame. Je pense que le véritable œcuménisme, ce n’est pas du tout cela et que chacun doit aller jusqu’au bout de sa tradition. Alors et alors seulement, quand vous arrivez au centre, vous retrouvez les autres.

– Au centre de la roue ?

Tout à fait. Ce symbole de la roue est le grand symbole des mystiques de l’Islam. Revenons, pour mieux comprendre, à ce mot : acceptation. 

S’il est un lieu où toutes les traditions se retrouvent, c’est bien dans l’acceptation. 
Dante n’a-t-il pas dit : » Sa volonté est notre paix » ? De nombreux musulmans parlent de » remise à DIEU « . Cette attitude fondamentale d’abandon, d’acceptation, c’est le centre immuable de la roue. 
Si vous restez à l’extérieur de la circonférence, vous restez avec tous ceux qui croient être les seuls à posséder la vérité et qui, par conséquent, sont prêts à imposer cette vérité par tous les moyens.

 Mais si vous allez au bout de votre propre tradition, alors vous arrivez forcément au centre de la roue et vous vous apercevez que ce centr, c’est justement l’acceptation, la remise à DIEU. Et dans votre acceptation, vous retrouvez tous les autres, venus de toutes les traditions.

source : Islam, l’autre visage ( Eva de Vitray-Meyerovitch)

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