Le centre de l’être total est le « Saint Palais » de la Kabbale hébraïque, dont nous avons parlé ailleurs (1) ; c’est, pourrait-on dire en continuant à employer le symbolisme spatial, la « septième direction », qui n’est aucune direction particulière, mais qui les contient toutes principiellement. C’est aussi, suivant un autre symbolisme que nous aurons peut-être l’occasion d’exposer plus complètement quelque jour, le « septième rayon » du Soleil, celui qui passe par son centre même, et qui, ne faisant à vrai dire qu’un avec ce centre, ne peut être représenté réellement que par un point unique. C’est encore la véritable « Voie du Milieu », dans son acception absolue, car c’est ce centre seul qui est le « Milieu » dans tous les sens ; et, quand nous disons ici « sens », nous ne l’entendons pas seulement des différentes significations dont un mot est susceptible, mais nous faisons aussi allusion, une fois de plus, au symbolisme des directions de l’espace. Les centres des divers états d’existence n’ont en effet le caractère de « Milieu » que par participation et comme par reflet, et, par suite, ils ne l’ont qu’incomplètement ; si l’on reprend ici la représentation géométrique des trois axes de coordonnées auxquels l’espace est rapporté, on peut dire qu’un tel point est le « Milieu » par rapport à deux de ces axes, qui sont les axes horizontaux déterminant le plan dont il est le centre, mais non par rapport au troisième, c’est-à-dire à l’axe vertical suivant lequel il reçoit cette participation du centre total.
Dans la « Voie du Milieu », telle que nous venons de l’entendre, il n’y a « ni droite ni gauche, ni avant ni arrière, ni haut ni bas » ; et l’on peut voir facilement que, tant que l’être n’est pas parvenu au centre total, les deux premiers seulement de ces trois ensembles de termes complémentaires peuvent devenir inexistants pour lui. En effet, dès que l’être est parvenu au centre de son état de manifestation, il est au-delà de toutes les oppositions contingentes qui résultent des vicissitudes du yin et du yang(2), et dès lors il n’y a plus « ni droite ni gauche » ; en outre, la succession temporelle a disparu, transmuée en simultanéité au point central et « primordial » de l’état humain (3) (et il en serait naturellement de même de tout autre mode de succession, s’il s’agissait des conditions d’un autre état d’existence), et ainsi l’on peut dire, suivant ce que nous avons exposé à propos du « triple temps », qu’il n’y a plus « ni avant ni arrière » ; mais il y a toujours « haut et bas » par rapport à ce point, et même dans tout le parcours de l’axe vertical, et c’est pourquoi ce dernier n’est encore la « Voie du Milieu » que dans un sens relatif. Pour qu’il n’y ait « ni haut ni bas », il faut que le point où l’être se situe soit identifié effectivement au centre de tous les états ; de ce point part, s’étendant indéfiniment et également dans tous les sens, le « vortex sphérique universel » dont nous avons parlé ailleurs (4), et qui est la « Voie » suivant laquelle s’écoulent les modifications de toutes choses ; mais ce « vortex » lui-même, n’étant en réalité que le déploiement des possibilités du point central, doit être conçu comme tout entier contenu en lui principiellement (5), car, au point de vue principiel (qui n’est aucun point de vue particulier et « distinctif »), c’est le centre qui est le tout. C’est pourquoi, suivant la parole de Lao-tseu, « la voie qui est une voie (pouvant être parcourue) n’est pas la Voie (absolue) (6) », car, pour l’être qui s’est établi effectivement au centre total et universel, c’est ce point unique lui-même, et lui seul, qui est véritablement la « Voie » hors de laquelle il n’est rien.
(1) Le Roi du Monde, ch. VII, et Le Symbolisme de la Croix, ch. IV.
(2) Cf. Le Symbolisme de la Croix, ch. VII. - On pourrait, si l’on veut, prendre comme type de ces oppositions celle du « bien » et du « mal », mais à la condition d’entendre ces termes dans leur acception la plus étendue, et de ne pas s’en tenir exclusivement au sens simplement « moral » qu’on leur donne le plus ordinairement ; encore ne serait-ce là rien de plus qu’un cas particulier, car, en réalité, il y a bien d’autres genres d’oppositions qui ne peuvent aucunement se ramener à celui-là, par exemple celles des éléments (feu et eau, air et terre) et des qualités sensibles (sec et humide, chaud et froid).
(3) Cf. Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXIII.
(4) Le Symbolisme de la Croix, ch. XX.
(5) C’est encore ici un cas de « retournement » symbolique résultant du passage de l’« extérieur » à l’« intérieur », car ce point central est évidemment « intérieur » par rapport à toutes choses, bien que d’ailleurs, pour celui qui y est parvenu, il n’y ait plus réellement ni « extérieur » ni « intérieur », mais seulement une « totalité » absolue et indivisée.
(6) Tao-te-king, ch. Ier.
René Guénon, La Grande Triade, Chap. XXVI : La Voie du Milieu
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