Tandis que je me trouvais dans la Mosquée sacrée (1), je fus ravi à moi-même et reçus cette inspiration sous forme de question :
La foi dans le Paradis et l'Enfer, ainsi que la croyance en un châtiment sensible sont des éléments fondamentaux de notre religion (2) ; comme tels, ils sont connus de l'ensemble des musulmans, à tel point que quiconque remettrait en cause ces dogmes serait unanimement considéré comme un mécréant.
D'autre part, il est établi que l'être humain est composé des éléments suivants :
- une forme [sûrah] corporelle constituée d'os, de chair, de sens externes et internes, de membres tels que les mains, les pieds, les yeux, les oreilles, [une langue] etc.
- une âme animale soumise à des passions inférieures (3). Elle est le siège du désir et ses attributs nous sont communs avec les animaux.
- un esprit saint et supérieur (4), qui est le siège de la science au sein de cette forme corporelle. C'est à lui que s'adresse le discours divin [al-khitâb] : l'esprit le saisit et doit y donner une réponse.
Laquelle de ces trois modalités de l'être humain doit subir le châtiment divin ? Les membres corporels et les sens ? Dieu dit pourtant dans le Coran : Le Jour où leurs langues, leurs mains et leurs pieds témoigneront à leur encontre des œuvres qu'ils ont accomplies (5). Et aussi : Leur ouïe, leur vue et leur peau témoigneront contre eux (6).
Or, un témoin véridique doit être traité avec égard, et ne pas être victime de l'opprobre : comment donc ces membres pourraient-ils subir le châtiment du feu (7)
On dira alors que c'est l'âme animale, brute et concupiscente qui sera châtiée. Mais comment cela est-il possible ? Dépourvue de perception [intellectuelle], cette âme ignore les ordres d'une Loi qui ne s'adresse pas à elle. Du reste, si cette modalité de l'homme était soumise aux impératifs de la Loi, les bêtes de somme y seraient également soumises. Or, il n'est aucun savant, quelle que soit son orientation au sein de l'Islam (8), pour soutenir cela : l'âme animale ne peut faire autrement que d'exiger ce qui est conforme à sa nature et elle n'a aucune connaissance de ce qui est au-delà !
Soutiendra-t-on dans ce cas que c'est l'Esprit [de l'homme] saint et supérieur, saisissant le discours divin et qui est tenu de lui répondre qui aura à subir un châtiment. Comment cela serait-il possible, alors que Dieu affirme dans le Coran : Et Je lui ai insufflé Mon Esprit (9). Et aussi : Dis : L'Esprit procède du Commandement de mon Seigneur (10).
L'Esprit de Dieu et Son Commandement, pourraient-ils réellement être châtiés alors qu'ils sont attribués à Dieu – avec toute la noblesse qu'une telle attribution nous fait assentir ? Répondez-moi donc, vous en serez récompensés, et mettez un terme à notre perplexité (11) !
Je reçus alors pour toute réponse :
Une telle question ne saurait être élucidée par écrit. Sa réponse se transmet uniquement de bouche à oreille (litt : de bouche à bouche) et de cœur à cœur (12).
.oOo.
(1) Il s'agit de l'enceinte de la Ka'ba à La Mecque [al-masjid al-harâm].
(2) [al-îmân bi-l-jannah wa-l-jahîm wa-l-‘azâb al-hissî, wa-n-na’îm min darûriyât ad-dîn].
(3) [rûh hayawâniyyah safliyyah].
(4) [rûh qudsiyyah ‘ulwiyyah].
(5) Cor. (24, 24) [yawma tash’hadu ‘alayhim alsinatuhum wa aydîhim wa arjulihim bi-mâ kânû ya’malûn].
(6) Cor. (41, 20) [wa shahida ‘alayhim sam’uhum wa absâruhum wa julûduhum bi-mâ kânû ya’malûn].
(7) [wa-sh-shâhidu as-sâdiq yukram wa lâ yuhân, fa-kayfa yu’azzab bi-n-nîrân].
(8) [wa lâ qâ’il bihi min ‘ulamâ’ al-mazâhib].
(9) Cor. (38, 72) [wa nafakhtu fîhi mi rûhî].
(10) Cor. (17, 85) [quli-r-rûhu min amri rabbî].
(11) [ajîbû ma’jûrîn, wa azîlû hayrat al-mutahayyirîn].
(12) [anna jawâbu hazâ as-su’âl lâ yajrî bihi qalam wa innamâ yakûnu min qalbin ilâ qalb wa min famin ilâ fam].
[Émir Abd El-Kader, Kitâb al-Mawâqif, Mawqif 76, traduit et annoté par A. Penot dansLe Livre des Haltes, éd. Dervy, p.163-164, Dans les notes les parties entre crochets […] sont celles de ce blog et consistent le plus souvent en des translitérations à partir d’un texte arabe des Mawâqif ar-rûhiyyah wa-l-fuyûdât as-subbûhiyyah, éd. Dâr al-kutub al-‘ilmiyyah, Beyrouth 1425H/2004, TI, p.136].
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