Le Propos divin a apporté dans la
langue la plus sainte la notion de "Pureté adorative" (al-Ikhlâs);
celui qui purifie son adoration en l'affranchissant du pouvoir de l'idée de
"rétribution", étant ainsi de conception "hanifienne" et de
voie directe, celui-là s'acquitte du devoir de conformité au Commandement et
appartient au "monde de la Lumière" ('âlamu-n-Nûr), et non pas au
"monde du Salaire" ('âlamuI-Ajr).
"Allâh est la Lumière des
Cieux et de la Terre" (Cor. 24, 35).
"Ils auront aussi bien leur
salaire que leur Lumière" (Cor. 66, 8).
"Leur Lumière court devant
eux" (Cor. 57, 12).
"La Lumière leur dit:
"Je suis votre Seigneur!" et il La suivent.
Les Muhaqqiqûn (les Connaissants
Compétents) ont abandonné le salaire chez Allâh; il ne leur est pas possible de
le Lui réclamer car le temps leur fait défaut, tant ils sont préoccupés de Lui
- qu'Il soit exalté! - Celui qui laisse lui échapper son lot concernant Allâh
Lui-Même, celui-là est le perdant. Les oeuvres, qui sont les moyens par lequels
on s'acquitte des obligations et de ce qui est proposé par la tradition
prophétique, attirent par leur simple existence la récompense: ne te soucie
donc pas de celle-ci. Les mouvements des corps auront nécessairement leurs
fruits sensibles: ne demande donc pas ce que les mouvements comportent par
eux-mêmes, car tu gaspilles inutillement ton temps. Allâh - qu'Il soit
glorifié! - a dit au sujet de Soi-Même: "Il est chaque jour à une
OEuvre" (Cor. 55, 29), or le "jour" est l'unité de temps, et
l'"oeuvre du jour" en ce qui te concerne fut existenciée pour toi,
non pas pour Allâh, car Il n'a pas de "besoins", et rien ne peut lui
revenir de la part de Ses créatures qu'Il n'ait de Lui-Même. Ce qu'Il crée,
c'est pour toi qu'Il le crée; tiens-toi donc ici en relation de correspondance
avec lui et occupe-toi, de ton côté, de Lui. Sois toi-même chaque jour à
l'oeuvre pour ton Seigneur, tout comme Lui est à l'oeuvre pour toi. En vérité,
"Il ne t'a créé que pour que tu L'adores", et pour que tu te réalises
par Lui, non pas pour que tu te soucies de ce qui est autre-que-Lui. Ce qui est
autre- que - toi et autre-que-Lui est cependant un don qui doit te parvenir.
Allâh a dit au sujet de Soi-Même: "Je ne leur demande pas des vivres! Je
ne demande pas qu'ils me nourrissent! C'est Allâh, celui qui donne les
vivres!" (Cor. 51, 57-58). Et s'Il te dit: "Prends!", réponds:
"C'est à Toi de prendre!" S'Il te dit: "Retourne!",
réponds: "De Toi vers Toi". S'Il te demande "Comment, lorsque Je
te dis: "Prends!" me réponds-tu: "C'est à Toi de prendre!",
alors que Moi Je n'ai pas à prendre pour moi?", réponds-Lui: "De
même, moi en vérité, je ne saurais "prendre", car la prise est un
acte, et moi je n'ai pas d'"acte". C'est Toi celui qui prend, car
c'est Toi l'Agent (al-Fâ'il). Prends Toi-Même pour moi ce que Tu me donnes, et
ne me dis pas: "Prends, toi (créature) qui ne peux prendre!", car si
Tu me parles ainsi, par l'idée de prendre de Toi Tu mets un voile sur moi. Je
ne puis rien prendre; comme Tu n'es pas à moi, et que je n'ai aucun pouvoir de
prise, si je tâchais de prendre, j'obtiendrais le néant, ce qui est le pire des
maux! Sinon... mais je demande plutôt à être exempté et pardonné de cet
entretien dangereux, ô Celui qui saisit et n'est pas saisi, qui possède et
n'est pas possédé!"
Il peut arriver que dans l'un de
ces "lieux" (mawâtin) on te présente la Religion Droite instituée
d'autorité par un organe prophétique, voie d'élection et de pureté et la
Religion Non-Droite, sapientiale, mélangée, spéculative et intellectuelle, Tu
discerneras entre les deux voies, et tu considéreras la fin ultime de chacune
d'elles, qui est le Vrai (al-Haqq) - exalté soit-Il! -, selon ce qui fait ton
bonheur et non le malheur. Prends alors la voie de la Religion d'élection et
pureté, de mode prophétique, car elle est plus élevée et plus profitable. Bien
que l'autre soit d'une très haute luminosité (rafî'u-l-manâr), et qu'elle soit également
"vraie" selon un aspect, cependant sa trace s'efface du fait de
l'existence de la voie prophétique. Si le fondateur d'une voie sapientiale
était maintenant du monde des vivants et présent, il rejoindrait peut-être
lui-même la Religion d'élection prophétique. Nous voyons déjà que la
"Religion d'élection" elle-même (formulée par les Prophètes
antérieurs) peut être ramenée à un égard ou à plusieurs égards à la
"Religion d'élection et pureté" par l'effet des abrogations (que la
Loi de cette dernière, la muhammadienne, a apportées à l'égard des lois
religieuses antérieures).
N'est-il pas vrai que les
législations (ash-Sharâ'i', sing. ash-Sharî'a) sur lesquelles reposaient les
communautés religieuses antérieures, comme celles de Moïse et de Jésus - sur eux
le salut! - ont été, à certains égards, abrogées par la Loi de Muhammad -
qu'Allâh prie sur lui et le salue! - Le Prophète a même dit: "Si Moïse
était vivant, il ne pourrait faire autrement que de me suivre." A plus
forte raison en sera-t-il ainsi de la législation sapientiale qui procède de
l'"initiative personnelle" (ibtidâ'î) et qui est de mode spéculatif
(fikrî), car elle est plus propre à être "enlevée", bien qu'elle
aussi soit "vraie" selon un aspect, ainsi que nous l'avons dit.
Enfin, sache que le plus
misérable des êtres est celui qui a un "livre" (Kitâb) et qui s'égare
"en suivant ses passions", quoiqu'il ait une foi dans son livre. Mais
ici il y a un point que je désire élucider, car on l'a peu relevé, et il est
possible que certains s'y soient trompés quand ils ont examiné cette question
sous le rapport de la "possibilité (d'exister ou de ne pas exister) de ce
qui se trouve à l'état de potentialité" (aljawâzu-l-imkânî); l'état
existenciel (al-wujûd) s'établissant sur l'une des deux solutions de l'alternative
qui conditionne l'être possible (al-mumkin), il n'y a plus moyen de faire
revenir l'être existencié (à l'état de simple possibilité indifférente). Il en
est effectivement de même lorsque le Vrai - qu'Il soit exalté! - se révèle à
une chose, car alors Il ne se voile plus jamais à elle, et également quand Il
"inscrit" (kataba) la foi dans un coeur, Il ne l'efface plus. Or si
quelqu'un dit: "Il s'est caché à moi après qu'Il s'est révélé", c'est
qu'Allâh ne s'est aucunement révélé à lui, mais qu'Il lui a seulement montré
quelque clarté; celui-ci a cru pouvoir dire alors: "C'est Lui!" (Huwa
Huwa). Ensuite, comme l'être créé n'a aucune stabilité dans un état, lorsque
l'état change, il dit qu'il y a "voile" (hijâb). Or, de même, l'
"inscription" de la Foi et l'attribution des "Signes"
(al-Âyât) et des "Evidences" (al-Bayyinât) ne cessent jamais
lorsqu'elles sont des dons faits "dans les coeurs", et que dans ces
coeurs se dressent les Témoins de réalisation (ash-Shawâhid, sing. shâhid). Si
des choses qui ressemblent à ces réalités viennent à être retirées à quelqu'un,
sache que ces choses n'avaient pas été "inscrites" dans la Table
(al-Lawh) de son coeur, et l'être ne les "enveloppait" pas, mais
était "enveloppé" par elles comme par un manteau; cet être n'avait
reçu que les formules opératives et le droit de les prononcer et n'avait pas
reçu leurs "réalités" mêmes; de tels dons peuvent être repris et ils
peuvent donc cesser. C'est ainsi qu'Allâh a mentionné: "Récite-leur
l'affaire de celui auquel Nous avons donné Nos Signes et qui s'en est
dépouillé" (Cor. 7, 174). Les paroles "s'en est dépouillé"
(insalakha min-hâ) expriment un fait analogue à l'enlèvement de l'habit par
l'homme ou à l'abandon par le serpent de sa vieille peau. Les Signes en
question étaient comme un habit sur le personnage (anonyme auquel se rapporte
la mention coranique), dans le sens que nous venons de préciser; celui-ci ne
détenait que le pouvoir de "prononcer" certaines formules opératives;
quand il prononçait celles-ci, paraissait l'aspect caché du Nom (maknûnu-l-Ism)
qui entrait dans ces formulations, ainsi que son effet produit par vertu
spéciale (bi-l-khâssiyya). Dans le cas des moyens exceptionnels à vertu
opérative, il n'est requis aucune condition de pureté rituelle, ou de sainteté
personnelle, ni de conscience, ni de concentration, pas plus qu'il n'est
question de foi ou de manque de foi: il ne s'agit que d'une simple
prononciation de lettres déterminées, et l'effet se produit même si celui qui
les prononce est distrait par rapport à ce qu'il articule. Une chose analogue
arriva à l'un de nos compagnons qui, récitant le Coran et parcourant un certain
verset, constata que ce verset lui occasionnait un certain effet; il s'en
étonna sans pouvoir se l'expliquer. Alors il reprit la récitation depuis les
versets antérieurs, et lorsqu'il arriva au dit verset il constata de nouveau
lui-même l'effet. Et chaque fois qu'il le répétait, il observait cet effet.
Ainsi, il connut que ce verset qui s'était "ouvert" par hasard,
pendant sa récitation, est un des "lieux" coraniques à vertu
spéciale; par la suite, il le prit comme "nom" (à invoquer
opérativement) et produisait l'effet respectif chaque fois qu'il le voulait.
Toutefois, une chose de ce genre ne séduit pas un Connaissant Véritable (Muhaqqiq),
car celui-ci ne saurait se réjouir que de ce qu'il réalise effectivement en
soi. C'est ainsi que lorsqu'on demanda à Abû Yazîd (al-Bistâmî): "Quel est
le Nom Suprême (al-Ismu-l-A'zam) d'Allâh?", il répondit: "C'est la
Sincérité! Sois sincère et prends n'importe quel nom divin que tu
voudras!" Par cette réponse, il engagea à la réalisation effective
(at-tahqîq), non pas à une simple prononciation de formule.
Le sheikh al Akbar, Muhi-Din Ibn 'Arabi
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