En un temps opportun, un noble
chambellan survint apercevant les trente oiseaux, vieillis, déplumés et
abattus, dans un état affreux, pratiquement sans corps. « Ô oiseaux ! Que
voulez-vous et quel est votre nom ? ».
« Nous sommes ici, répondirent-ils, afin
de reconnaître le Simorg pour notre roi. L'amour que nous ressentons pour lui a
troublé notre raison. Nous en avons perdu l’esprit et la raison. Nous étions
alors des milliers, et voici que trente seulement d'entre nous sont arrivés
ici.
Comment ce roi pourrait-il dédaigner nos efforts et toute la peine que
nous avons éprouvée ? ».
Vous avez la tête troublée !
répondit le chambellan, vous qui vous êtes baignés dans le sang de votre cœur,
sachez que vous soyez ou que vous ne soyez pas, le roi n'en existe toujours pas
moins éternellement.
Des milliers de mondes pleins de créatures sont comme une
fourmi à la porte de ce palais. Retournez donc en arrière, car vous n’êtes
qu’une vile poignée de terre ! ».
Les oiseaux furent désespérés de ce discours
sévère mais ils prièrent néanmoins : « Ce grand roi nous rejettera-t-il
ignominieusement dans le chemin ? Et notre indignité, si elle a lieu, ne se
changea-t-elle pas en honneur ? ».
Il y eut alors une évidente
manifestation de la faveur céleste. Le chambellan ouvrit enfin la porte, puis
il écarta cent rideaux, les uns après les autres.
Alors, un monde nouveau se
présenta sans voile aux trente oiseaux et la plus vive lumière éclaira sa
manifestation. L'âme de ces oiseaux s'anéantit de crainte et de honte, et leur
corps brûlé, tomba en poussière. Lorsqu'ils furent purifiés et dégagés de toute
chose, ils trouvèrent une nouvelle vie dans la pure lumière de Simorg. Tout ce
qu'ils avaient pu faire anciennement fut purifié et effacé de leur cœur.
Le
soleil divin darda sur eux ses rayons, et leur âme en devint resplendissante.
Alors, dans le miroir de leur propre visage,
ces trente oiseaux contemplèrent enfin la face du Simorg spirituel, et perçurent
qu’ils voyaient bien Sîmorg. Ils étaient stupéfaits, ne sachant plus s'ils
étaient restés eux-mêmes ou s'ils étaient devenus Simorg.
Ils comprirent enfin
qu'ils étaient à la fois véritablement Simorg et que Simorg était aussi
réellement les trente oiseaux.
Lorsqu'ils regardaient vers Simorg, c'était bien
là Simorg, et s'ils se regardaient eux-mêmes, ils voyaient qu'eux-mêmes étaient
Simorg. Enfin, s'ils regardaient simultanément des deux côtés, ils percevaient
qu'eux et Simorg ne formaient en réalité qu'un seul être.
Cet être unique était Simorg, et
Simorg était cet être. Ils voulurent réfléchir à cela sans y réussir. Comme ils
n’y comprenaient rien, ils interrogèrent le Simorg, en lui demandèrent de leur
dévoiler le grand secret, le mystère de la pluralité et de l'unité des êtres.
Et Simorg leur fit cette réponse : « Le soleil de ma majesté, dit-il, est un
miroir ; celui qui vient s'y voit tout entier dedans, il y voit son âme et son
corps. Puisque vous êtes venus ici trente oiseaux, vous vous trouvez ces trente
oiseaux dans ce miroir. S'il venait encore quarante ou cinquante oiseaux, le
mystérieux rideau cachant Simorg serait également ouvert.
Quoique vous soyez extrêmement changés, vous
vous voyez vous-mêmes comme vous étiez auparavant.
Comment l'œil d'une créature
pourrait-il arriver jusqu'à moi ?
Le regard de la fourmi peut-il atteindre les
étoiles ?
Tout ce que vous avez su ou vu n'est ni ce que vous avez su ni ce que
vous avez vu, et ce que vous avez dit ou entendu n'est pas non plus cela.
Lorsque
vous avez franchi les sept vallées du chemin spirituel, vous n'avez agi que
par mon action, et vous avez pu ainsi voir la montagne de mon essence et de mes
perfections.».
Vous qui n'êtes que trente
oiseaux, vous avez pu rester stupéfaits, impatients et ébahis ; mais moi je
vaux bien plus que trente oiseaux, car je suis l'essence même du véritable
Simorg. Anéantissez-vous donc en moi glorieusement et délicieusement, afin de
vous retrouver vous-mêmes en moi.».
Et donc, à la fin du voyage, (et
celle de mon histoire), les trente oiseaux s'anéantirent en effet, et pour
toujours, dans le Simorg éternel ; ainsi leur ombre se perdit dans son soleil,
et voilà tout. Les oiseaux ont terminé leur voyage ; mon discours s’arrête là,
et il n'y a plus de guide, ni de voyageur.
FIN
Jacques Prévost 2016
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