1) Kundalini : un concept oriental adopté par les occidentaux.
La Kundalini est une force mystérieuse cachée à l’intérieur de l’être humain et qui est aujourd’hui bien connue des occidentaux. S’ils n’en ont bien souvent qu’une idée très superficielle et approximative, il n’en demeure pas moins que depuis le succès de disciplines comme le yoga, de nombreux concepts orientaux se sont « démocratisés » si je puis dire, et sont même tombés dans le langage courant. Celui de Kundalini, s’il n’a pas connu la même fortune que le mot « zen », amalgamé à tout ce qui touche de près ou de loin à la « relaxation » et au bien être, en est cependant un bon exemple. De nombreux pratiquant du yoga, à travers les écoles de Kundalini Yoga, font référence à la force de la Kundalini et cherchent à l’éveiller. Dans ce dossier, nous allons montrer quels rapprochements il est possible d’établir entre l’éveil de la Kundalini d’une part, et ce qui est désigné en occident comme une étape du processus initiatique, les « Petits Mystères », d’autres part. Nous verrons que le symbole du caducée et la tradition hermétique permettent ce rapprochement, et que, aussi bien en orient qu’en occident, il s’agit d’opérer une alchimie intérieure humaine qui est véritablement la clef de la réalisation des « Petite Mystères ». Nous n’avons pas la prétention de traiter, ici, de façon exhaustive, le sujet de la Kundalini, ni celui des « Petits Mystères ». Notre approche se veut uniquement comparative, et elle se limitera au rappel de quelques points clés concernant ces deux sujets
2) L’Homme le « médiateur ». Selon les doctrines traditionnelles, l’homme est un être qui occupe une situation spéciale et même privilégiée dans notre Univers. Ce privilège vient du fait qu’il est situé entre le Ciel et la Terre, entre le Bien et le Mal, entre l’Esprit et la Matière, entre l’Ange et la Bête. De fait, l’Homme se trouve au centre de plusieurs pôles opposés qu’il doit « résoudre », ou tout au moins chercher à équilibrer. Son « rôle » et sa « mission » sur Terre en quelque sorte, est de trouver (ou de tenter de trouver) un équilibre entre ces pôles et ces forces contraires. Il faut d’ailleurs noter à cet égard que le caducée, dont nous allons parler plus loin, est un symbole d’harmonie et de « paix ». Situé entre le Ciel et la Terre, nous pouvons dire que l’être humain occupe une position centrale dans la création, mais qu’il représente aussi le point de jonction de forces qui, à son niveau, paraissent antagoniques. Je dis bien « à son niveau », car dans l’absolu ces forces se résolvent dans l’unité. Trouver un équilibre entre le Ciel et la Terre, le Mal et le Bien, l’Esprit et la Matière, cela revient aussi à dire que l’Homme doit trouver le moyen de faire descendre l’Esprit dans la Matière et aussi de faire monter la Matière vers l’Esprit. Son « travail » sur la Terre est de spiritualiser la Matière ou de matérialiser l’Esprit. De ce point de vue, l’Homme a un rôle tout à fait particulier à jouer dans la création. Il est l’intermédiaire entre le Ciel et le Terre, entre l’Esprit et la Matière. Il joue donc un rôle de « médiateur ». Vu sous cet angle, l’Homme est très proche du dieu grec Hermès, le messager des dieux et le guide des âmes après la mort. Hermès porteur du caducée est lui aussi situé entre le Ciel et la Terre, et il occupe donc une position centrale et médiane. Hermès est un principe de transition entre deux mondes.
Ci-dessus : Mercure (Hermès) créant le caducée par Henri Chapu, musée d’Orsay. Le caducée, un bâton (ou une baguette) autour duquel s’enroulent deux serpents, est l’un des attributs d’Hermès. Fils de Zeus et de la nymphe Maia, il serait né en Arcadie. Un jour, Hermès voulut séparer deux serpents en lutte (symbole du chaos), mais ceux-ci s’enroulèrent autour de la baguette en or et formèrent le caducée (symbole de l’harmonie et de la maîtrise).
Notons qu’Hermès est un dieu civilisateur. Il aide les trois Parques à composer l’alphabet. Il invente l’échelle musicale, la lyre à sept cordes, la musique et la danse. Il fonde aussi l’astronomie, les poids et les mesures. Il est le maître de la rapidité et de la précision du geste, et en raison de cette faculté, il est considéré comme le maître de l’artisanat. Il trace les routes et les chemins, et il invente les tas de pierres qui balisent les routes (herma = tas de cailloux disposés à intervalle régulier comme étant des indicateurs des routes et des frontières). Hermès est un dieu à caractères multiples. Il est le dieu protecteur des bergers, et c’est la raison pour laquelle il est fréquemment présenté en criophore (« porteur de bélier »), c’est-à- dire portant un agneau sur ses épaules. Hermès et aussi le dieu protecteur des voyageurs, des navigateurs, des commerçants ; dieu des échanges et du contrat, mais il est aussi le dieu des voleurs, de la ruse et de la tromperie. Il est un brouilleur de piste et un brigand. Il est donc à la fois organisateur et désorganisateur de la structure sociale. Hermès est le conducteur des âmes aux Enfers (Hadès), et le messager des dieux. Hermès est donc un dieu psychopompe, un « guide des âmes », et à ce titre il est le conducteur des âmes des morts (guide ou passeur). Ces deux fonctions de messager des Dieux et de psychopompe pourraient, astrologiquement, être rapportées respectivement à un aspect diurne et à un aspect nocturne. On peut aussi y trouver la correspondance des deux courants descendant et ascendant que symbolisent les deux serpents du caducée (Guénon). Ses fonctions de passeur et de messager font d’Hermès un médiateur, nous dirions aujourd’hui un « relais », entre le monde des hommes et celui des dieux.
C’est Hermès qui donna le don de parole à Pandore (« tous les dons ») la première femme (L’Eve biblique). Situé dans le monde intermédiaire, Hermès assume la fonction de relier (unir, harmoniser) la Terre au Ciel, d’unifier la Matière et l’Esprit. Son métal et sa planète sont Mercure. Unifiant les « trois mondes », la Terre, le Ciel, et les mondes intermédiaire, Hermès est aussi appelé le Trismégiste, ou « trois fois grand ». Hermès Trismégiste serait l’auteur de la fameuse « Table d’Emeraude » qui expose l’analogie entre le microcosme humain et le macrocosme cosmique, donnant ainsi la « méthode » pour unir le Ciel et la Terre.
L’ETAT HUMAIN
Ci-dessus : le schéma symbolique de l’homme représenté entre le Ciel et la Terre. Ce symbole est attribué à Mencius (Mèng Zi), penseur chinois qui vécu quatre siècles avant notre ère. La tradition taoïste place l’Homme entre le Ciel et la Terre. La voie du « juste milieu » consiste à trouver sa place idéale qui est située juste entre les deux extrêmes. Le trait placé au centre du symbole représente la « voie du juste milieu » qui est l’équilibre à trouver entre les deux pôles.
3) Des épreuves à la mesure de son statut. L’homme actuel est inachevé. Nous vivons dans un état relatif symbolisé par le caducée d’Hermès et le processus de montée de la kundalini. Ce mode d’existence relatif est celui du monde intermédiaire, du monde subtil, de l’âme ou Mercure (Hermès). Nous sommes la plupart du temps « endormis », prisonniers d’un état de somnolence dont nous ne sommes pas conscients. Nous vivons comme dans un « rêve » éveillé, et nous ne vivons pas dans la « vraie réalité ». Notre vie ressemble à une « illusion », à une sorte de « mauvais film », dont nous ne voyons pas très bien comment nous pouvons en sortir. Bien qu’occupant une situation centrale, et toutes les traditions spirituelles reconnaissent que c’est une position privilégiée, exceptionnelle même, l’Homme n’en est pas moins aussi dans une situation « compliquée » et même « délicate » à plus d’un titre. Bien qu’enviable, la place de l’Homme dans le Cosmos et aussi une source d’ « ennuis » et de « désagréments », qui font de sa vie une véritable « épreuve ». Il doit, en effet, faire face à de nombreuses difficultés, qu’il a cependant la capacité de résoudre précisément en raison de son statut particulier. Nous pouvons même dire que s’il n’avait pas ce pouvoir de résolution, les difficultés inhérentes à sa condition ne lui auraient pas été « imposées ». L’Homme est donc doté de toutes les ressources intérieures nécessaires pour faire face aux difficultés qui se présentent à lui. Toutes les difficultés propres à la condition humaine proviennent du fait que l’être humain occupe une situation intermédiaire et relative. Nous pouvons même dire qu’il est placé entre deux « absolus » :l’ « absolu » du Ciel et l’ « absolu » de la Terre. La Terre est un « absolu » matériel, et le Ciel un « absolu » spirituel. En ce sens, la Terre est comme le reflet inversé du Ciel. La Terre est le reflet de l’ « absolu » du Ciel. La Terre c’est la Terre, le Ciel c’est le Ciel, mais l’Homme est à la fois Terre et Ciel, Matière et Esprit, épais et subtil. Il est donc facile de comprendre combien notre condition d’Homme exige de nous de très grands efforts pour concilier et harmoniser deux pôles qui semblent opposés, mais qui dans le fond ne forment qu’un Tout.
4) L’Homme est un « lieu » où circulent les énergies. Plus que le siège de luttes et de combats incessants, l’« espace humain » est plutôt un « lieu » d’échange et de circulation d’énergies entre des pôles contraires. En lui, toutes les énergies de l’Univers sont en quelque sorte « convoquées ». En lui, ces forces peuvent s’y rencontrer, s’y confronter, s’y opposer, s’y combiner, s’y compléter, et peuvent même s’y harmoniser. De ce point de vue, l’Homme est un véritable « creuset », une sorte de « four cosmique » dans lequel peut s’opérer de puissantes et terribles transmutations (Alchimie intérieure humaine). Nous pouvons même dire que sans lui, tout ce « travail » énergétique ne pourrait pas se faire. Sans lui, la rencontre des pôles serait impossible. Il en est le lieu et la condition, car il a un rôle essentiel de médiateur. Il doit assumer ce statut et en tirer toutes les conséquences. Grâce à lui, le Ciel est relié à la Terre, et la Terre est reliée au Ciel. En lui, se réalise la « Grande Conjonction ». C’est pour cette raison que la condition humaine est à la fois douloureuse, mais aussi « héroïque ». Dans l’Homme doit en effet s’opérer la « Grande Réconciliation », l’union parfaite entre le Ciel et la Terre.
5) « Initiation hermétique ». Dans le domaine initiatique, il faut distinguer deux types généraux d’initiation : l’initiation aux « Petits Mystères » ou « Initiation Royale », Alchimique, Hermétique, et l’initiation aux « Grands Mystères » ou « Initiation Sacerdotale ». Ces deux types généraux ne sont pas des initiations différentes, mais les deux stades (ou les degrés) principaux d’un même processus initiatique global. Les « Petits Mystères » comprennent tout ce qui se rapporte au développement des possibilités de l’état humain envisagé dans son intégralité. Ils aboutissent à la perfection de l’état humain, c’est-à-dire à ce qui est désigné traditionnellement comme la restauration de l’état primordial ou édénique (ADAM). Les « Grands Mystères » concernent proprement la réalisation des états supra-humains. Prenant l’être au point où l’ont laissé les « Petits Mystères », et qui est le centre du domaine de l’individualité humaine, les « Grands Mystères » le conduisent au-delà de ce domaine, et à travers les états supra-individuels, mais encore conditionnés, jusqu’à l’état inconditionné qui le seul est véritable but et qui est désigné comme la « Délivrance finale » ou comme l’ « Identité Suprême » (Guénon). Si nous rapportons cette distinction à ce qui a été dit précédemment sur l’union du Ciel et de la Terre dans l’Homme, il apparaît que la réalisation de cette unité réalisée dans une individualité humaine correspond à la réalisation des « Petits Mystères ». Après être parvenu au point central de l’état humain qui est l’unité dans l’Homme, le processus initiatique se poursuit en suivant l’axe qui s’élève à partir de ce point vers des états supra-humains.
REPRESENTATION SCHEMATIQUE DES PETITS ET GRANDS MYSTERES
(Daniel Robin décembre 2011)