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26 mai 2018

L’âme humaine - Le mythe de Psyché, Carl Gustav Jung

Psyché ranimée par le baiser de l'Amour est une célèbre statue en marbre de 1793
 du sculpteur italien Antonio Canova (1757-1822).

Psyché [Ψυχη] épouse d'Éros (Cupidon), est la personnification de l'âme représentée avec des ailes de papillon. Psyché est l'une des trois filles d'un roi, si belle que tous les habitants du royaume l'adoraient et qu'Aphrodite en était jalouse au point de vouloir tramer sa perte.





Le mythe de Psyché symbolise la destinée de l'âme déchue, qui, après bien des épreuves, s'unit pour toujours à l'amour divin. Les néo-platoniciens y virent la promesse d'une renaissance, d'une vie future, d'un bonheur éternel. Le charmant récit d'Apulée, (Métamorphoses IV-28 à VI-24), a fait connaître l'interprétation populaire de cette allégorie.

Le mythe désigne l’origine de l’esprit humain dans la rencontre des principes du monde physique, du monde mental et du monde spirituel. Corps, âme et esprit, telle est la tripartition traditionnelle de l’être humain chez les Grecs anciens, qui voit ainsi en l’humain une manifestation miniaturisée du divin. La beauté de l’âme humaine tient donc à sa tension entre la terre et le ciel, entre les mondes matériel et spirituel.

C’est l’effort qu’elle déploie pour se reconnaître en sa plus profonde noblesse qui fait le sens de son existence. La royauté de l’esprit passe cependant par l’expérience des voyages hors de son empire. La tentation du voyage est attisée par l’expérience du mal, incarnée ici par la figure d’Aphrodite qui charge Éros d’inspirer à Psyché, « l’amour pour l’être le plus hideux de la terre ». La naissance à soi de la conscience passe donc par l’expérience de la déchéance, dans la douleur physique et morale que symbolise ici la notion de hideur. Car qu’il y a-t-il de plus hideux que la souffrance sans justification ?


La psyché ou l’Âme humaine

Pour Paul Diel[1], les figures les plus significatives de la Mythologie grecque, personnifient les différentes fonctions de la Psyché, et leurs interrelations expriment la vie psychique des hommes, partagée entre les tendances d’évolution et/ou de pervertissement. Dans cette optique, le mythe peut être considéré comme une dramaturgie de la vie intérieure, et de la vie sociale, sous une forme poétisée.

Le Psycho-analyste C.G. Jung[2] a exploré une troisième voie : le Processus d'Individuation/Unification, fondé sur la dynamique des opposés et leurs transformations, d'énergies dissociatives en énergies associatives coordinatrices, jusqu'à l’intégration de toutes les tendances psychiques et au retour à l'Énergie unifiée, l’Unité de l’Esprit et de la Matière par la médiation de la fonction Transcendante : la Psyché ou l’Âme, dont le langage est celui des symboles.

C.G. Jung a établi le Pont entre les deux rives de la vie psychique intérieure individuelle et la scène collective sociale, par la découverte de "l’Inconscient Collectif", et des Archétypes qui y résident. L’Inconscient Collectif est également appelé "Psyché Objective", pour en signifier la nature "Transpersonnelle", au-delà du personnel, en ce sens qu’elle caractérise l’Espèce humaine dans son ensemble et constitue l’équipement, le "Bagage" héréditaire psychique et vital de l’Homme.



Structure de la psyché et processus d’individuation




Dans un ouvrage paru en 1933, Jung[3] expose une conception originale de la constitution psychique de l’individu. Toute exploration scientifique d’un domaine nouveau implique la création d’un vocabulaire spécifique ou au moins l’attribution d’une définition strictement délimitée à chacun des termes utilisés. Cette règle se vérifie dans la psychologie jungienne.


Dans la vision jungienne, la psyché a une constitution complexe, composite et dynamique. L’utilisation d’une métaphore facilitera la compréhension de cette vision. L’âme individuelle peut être comparée à une petite île flottant sur l’océan, à l’image d’un iceberg. La zone émergée de l’île représente la partie consciente de la psyché. Jung appelle " persona " cette zone émergée, au centre de laquelle se situe le moi. De même, il nomme "ombre" la partie immergée la plus proche de la surface, alors que les zones plus profondes de l’île et de l’océan lui-même sont nommées "inconscient collectif".



La persona

La persona correspond à la composante visible de l’île. Elle est la partie de l’âme dont le moi à une pleine connaissance, le domaine du raisonnement et du discours. C’est aussi l’image de soi que l’on veut montrer aux autres (persona dérive du grec prosopon, qui signifie "masque"). Cette surface visible de la personnalité est donc le lieu des échanges avec l’extérieur. En cela, elle est modelée par les différents rôles sociaux assumés par l’individu, qui lui fournissent autant de masques (professionnel, conjugal, parental, etc.). Elle est aussi conditionnée par les principes éthiques dictés par la société.

La persona est donc souvent une construction relativement stéréotypée, dans laquelle l’individu sélectionne et renforce les qualités valorisées par le monde extérieur. Au centre de cette construction se trouve un noyau, le moi, qui lui fournit un élément d’identité et de continuité dans le temps.


L’ombre

L’ombre correspond à la partie immergée de l’île. Composante essentielle, et inconsciente, de l’âme individuelle, elle n’est visible que pour celui qui accepte de descendre dans les profondeurs. L’ombre contient les caractéristiques de l’individu qui sont dépréciées et refusées par la persona, parce qu’elles ne sont pas compatibles avec le rôle que l’on se donne. Elle contient aussi les qualités qui ont été refoulées par l’éducation. On peut y trouver aussi bien des dons artistiques ou de grandes qualités morales que des vices ou des perversions inavouables.

L’ombre, selon Jung, constitue un système autonome anti-persona, une deuxième personnalité. Ce qui la distingue de la persona, c’est que les règles qui la régissent sont totalement différentes. Étant située en dehors de la conscience, l’ombre est inaccessible au langage de la raison et de l’objectivité. Elle se manifeste par des préjugés tenaces, des comportements inexplicables ou des frustrations. Lorsqu’elle se trouve en présence d’une persona affaiblie, elle peut la manipuler et faire apparaître une personnalité différente de la personnalité habituelle de l’individu. La conscience personnelle, qui ne peut intégrer cette irruption brutale de l’inconscient, se défendra en projetant sur les autres les caractéristiques inacceptables de l’ombre. Par-là, l’individu croira voir chez les autres la cupidité, l’agressivité ou la jalousie qu’il ne peut reconnaître dans ses propres motivations.

Le pouvoir de l’ombre est contenu tout entier dans son caractère occulte. Il dépend par-là de l’ignorance dans laquelle se trouve l’individu qui n’a pas accompli de travail sur lui-même et qui s’identifie totalement avec sa persona, son apparence.

Jung est d’avis que la première tâche d’une initiation, ou d’une analyse, est d’amener l’individu à prendre connaissance des contenus de son inconscient. Mais ce travail est ardu, car la nature même de l’ombre la rend inaccessible à la conscience raisonnante. De fait, c’est par la voie de l’introspection et de l’étude des rêves, en utilisant une grille de lecture basée sur le symbolisme, que l’individu peut progressivement descendre dans les profondeurs et élargir le champ de sa conscience jusqu’à englober l’inconscient personnel. L’ombre ne sera pas expulsée – elle ne peut pas l’être – mais elle sera maîtrisée par la conscience, et viendra enrichir le moi. Nous sommes ici assez proches de la méthodologie de l’initiation maçonnique. L’ombre serait ici, la pierre brute où sont cachées toutes les potentialités de l’être.

Selon Jung, le travail de réintégration de l’ombre consiste à la reconnaître, à l’accepter comme faisant partie de soi-même et à la réintégrer dans l’ensemble de notre personnalité. La personne qui parvient à embrasser son ombre devient un être complet et unique.


L’inconscient collectif

Si l’inconscient collectif est le concept le plus novateur développé par Jung, c’est aussi celui qui a été le plus souvent mal compris. Il faut préciser d’emblée que ce concept ne désigne pas un être supra-individuel qui aurait une existence propre et dans lequel toutes les psychés individuelles se mêleraient jusqu’à devenir indistinctes. Il ne correspond pas non plus à ce monde inférieur, obscur et chaotique qu’ont voulu y voir certains défenseurs de la Tradition.

L’inconscient collectif est une composante du monde intérieur de chaque être humain. Jung, qui reste empirique, ne le qualifie pas d’inférieur, ni de supérieur. Il est profond, parce qu’il n’apparaît pas spontanément à la surface de la conscience, et il est collectif, parce que ses structures sont semblables d’un individu à l’autre, témoignant d’une mémoire génétique de l’espèce humaine.

Dans la métaphore de l’île flottant sur l’océan, l’inconscient collectif serait le monde sous-marin, un milieu parcouru par une énergie vitale structurée en noyaux de cristallisation qui constituent les archétypes. Ces archétypes, selon Jung, sont organisés comme des personnages parasites dotés d’une certaine autonomie à l’intérieur de la psyché. Ils peuvent se manifester dans les rêves ou lors d’expériences marquantes de la vie de l’individu, qu’elles soient spirituelles, artistiques ou amoureuses. Ils peuvent aussi être activés par des manifestations collectives, religieuses, politiques ou sportives et entraîner des mouvements de masse lorsqu’ils deviennent plus forts que le moi.


La Tradition Primordiale est la source des archétypes

L'archétype est un concept appartenant à la psychologie analytique élaborée par Jung qui le définit comme une «forme de représentation donnée a priori»[4], ou encore comme une «image primordiale» renfermant un thème universel, commun à toutes les cultures humaines mais figuré sous des formes symboliques diverses et structurant la psyché inconsciente.

Les archétypes sont les schèmes[5] éternels de l'âme humaine, les images et symboles qui peuplent l'inconscient collectif et modèlent le flux de l'énergie psychique. Leur nature et leur signification sont ici commentées sous des angles différents et complémentaires - histoire, exposés de cas, pratique et théorie psychologiques - qui donnent son unité à ce recueil. Après une définition des archétypes présents dans l'inconscient collectif - en particulier l'image de la mère et l'idée d'anima - Jung illustre son propos par l'analyse des symboles contenus dans l'œuvre d'un alchimiste et gnostique du IIIe siècle, par l'étude radicalement nouvelle du rite chrétien de la messe et par celle des représentations archétypiques de l'arbre dans les mythologies et les religions.

L'archétype est pour la psychologie jungienne un processus psychique fondateur des cultures humaines car il renferme les modèles élémentaires de comportements et de représentations issus de l'expérience humaine à toutes les époques de l'histoire, en lien avec un autre concept jungien, celui d'inconscient collectif.





L'alchimie figure constamment l'inconscient collectif. Cette gravure du Rosaire des philosophes est, selon Jung, le symbole de la rencontre du conscient (le soleil, le masculin) avec l'inconscient (la lune, le féminin), sous l'égide de l'inconscient collectif (l'étoile), figuré par la colombe du Saint-Esprit, symbole de la réunion des contraires.

Bien entendu, il faut garder à l’esprit que la description jungienne de l’inconscient collectif est un modèle, une construction intellectuelle destinée à appréhender une réalité qui échappe à l’intelligence rationnelle. Les archétypes ne peuvent pas être reconnus comme tels lorsqu’ils font irruption dans la conscience. Ils se manifestent toujours en donnant l’illusion qu’ils viennent du monde extérieur. On peut ajouter que le symbole, au sens où l’entend Jung, est une forme de manifestation de l’archétype.

Les Archétypes sont ainsi les Dieux Éternels de la Mythologie, Invariants dans leur Essence, (la Loi Interne de l’Être), mais dont les manifestations connaissent des métamorphoses, ou Avatars, en Existence, dans le déroulement du temps, et d’une Culture à une autre.

Les effets "Observables" des Archétypes permettent de les définir comme des dynamismes autonomes, fonctionnalités psychiques, dotés d’Énergie potentielle indifférenciée. Ces Forces virtuelles ne revêtent une forme spécifique qu'en fonction des données concrètes de l’expérience humaine, en situation, à la fois en la personne elle-même, et des configurations dans lesquelles elle développe son expérience. Les contenus énergétiques de l’Archétype s'intègrent alors à la conscience en « Temps qualifié » « Ici et Maintenant », dans l’Instant Présent : « Là ». La Réalité de « l’Inconscient Collectif », et l’action des Archétypes, éclaire ainsi à la fois les similitudes, les points communs, des croyances, mythes, symboles et religions des Cultures du Monde, et donc la diversité et les différences, en raison même des conditions variables de la Vie humaine, comme autant de couleurs de l’Arc en Ciel, issues d’un seul et unique Rayon de Lumière de portée universelle : La Tradition Primordiale.

Chacune des couleurs définit une Identité Culturelle relative, spécifique, qui traduit des Valeurs traditionnelles. Les rites/rituels et cérémonies mobilisent, canalisent et orientent l'Énergie collective, (chaos et cosmos) pour transférer sur le plan conscient, les bases sur lesquelles s’édifient, se structurent et s'harmonisent les Communautés. Une Culture repose sur l’incarnation, dans la réalité sensible de grandes Images types et de symboles intelligibles, profondément évocateurs, un ensemble de caractéristiques stables, nécessaires au développement et à l'intégration de son Identité, et qui se transmettent au travers des générations.

De ces observations, les affrontements entre individualités, Collectivités, ou groupements culturels humains, ne peuvent trouver leur résolution qu’en remontant à « l'Origine Une » des Fonctions et Principes Archétypiques qui sous-tendent le contenu des antagonismes. La Mythologie éclaire les règles du Jeu de « l'Échiquier des Dieux », pour réguler et rétablir l'Harmonie.

Les Archétypes définissent ainsi, l’ensemble du Monde des Lois d'organisation : différenciation, transformation, coordination, unification, qui appartiennent au monde des Causes, (l'Au-delà), tandis que les événements, les objets les phénomènes appartiennent au monde des Effets dans l’Espace-Temps-Matière.


L’archétype sexuel (anima et animus)

Selon Jung, il y a dans l’inconscient de chaque homme une composante féminine, et en chaque femme une composante masculine. La première est l’anima, et la seconde l’animus. Anima et animus sont des archétypes particuliers en ceci qu’ils participent à la fois de l’inconscient individuel et de l’inconscient collectif. Par-là, ils ont un rôle de médiateurs entre ces deux domaines.

Chez l’homme, la coexistence d’un moi masculin, où prédomine la fonction analytique et discriminante (logos), avec une anima à prédominance synthétique et unificatrice (éros) entraîne naturellement une tension intérieure. Or, selon la règle jungienne, l’homme ne peut reconnaître son anima que sous une forme projetée, une imago (image qui constitue le support perceptible de l’archétype).

Pour l’enfant, la première image de l’anima est la mère, avec laquelle il a, avant même sa naissance, un lien extrêmement étroit. Cette identification pose évidemment un problème lorsque le jeune homme doit remplacer cette image par la représentation érotique de sa partenaire. Cette transition, qui peut apparaître comme la transgression d’un tabou, est accompagnée, dans les sociétés traditionnelles, d’une forme d’initiation consistant en actes héroïques, exil temporaire ou mort symbolique, dont l’adolescent renaîtra affranchi de l’image maternelle.

L’anima, en tant qu’archétype de l’éternel féminin, garde un caractère indéfini qui explique le caractère multiforme des images par lesquelles elle se manifeste. Lorsqu’un homme est amoureux, l’objet de son amour est en réalité, selon Jung, l’image de l’éternel féminin qu’il croit voir dans sa partenaire (projection). Il est amoureux de sa propre anima, plus que d’une femme en particulier. Avec le temps, l’homme s’aperçoit que sa partenaire, dans sa réalité et sa singularité, n’incarne pas l’ensemble des qualités qui caractérisent la représentation qu’il se fait de l’éternel féminin. La déception amoureuse qui en résulte entraîne souvent la recherche d’autres imagos de l’anima, soit sous forme d’autres femmes réelles, soit sous forme d’images idéalisées (actrices, figures littéraires ou religieuses). La découverte de ce mécanisme fait dire à Jung que l’homme est intérieurement monogame, fidèle à une image indivisible de l’anima, et extérieurement polygame dans sa quête insatisfaite d’une femme correspondant parfaitement à cette image.

Le concept d’animus présente une certaine symétrie avec celui d’anima. Selon Jung, la persona féminine se caractérise par une prédominance synthétique et liante. Par opposition, la composante masculine inconsciente de la femme, l’animus, exprime la fonction analytique et discriminante. Cet animus s’incarne dans des figures masculines diverses, du sportif musclé au héros romantique, en passant par l’aventurier et le chercheur. En raison du caractère discriminant de l’animus, la femme amoureuse se satisfait d’un partenaire incarnant l’une ou l’autre de ces images, mais perçu comme un représentant de la diversité des figures masculines. Elle est donc intérieurement polygame, portant en elle des images masculines multiples et variées, mais extérieurement monogame.


Autres archétypes de l’inconscient collectif

Chaque fois que le moi entre en relation avec le monde de l’intangible, que ce soit inconsciemment, lors d’un rêve, ou consciemment, par la méditation ou la pratique d’un rituel, il a recours à un intermédiaire, à une représentation symbolique appartenant au monde des archétypes. Ces archétypes sont définis comme des centres organisateurs, actifs dans la psyché, capables de traduire en images une entité spirituelle ou métaphysique. Si les imagos émanant des archétypes sont innombrables (figures des religions et mythologies, art sacré, symboles et grimoires de l’alchimie), les archétypes fondamentaux semblent être en nombre plus limité, même si leur stricte localisation dans la profondeur de l’inconscient interdit d’en établir un inventaire exhaustif.

Nous présenterons ici deux exemples abondamment commentés par Jung, tout en rappelant que l’archétype est une pure forme, qui n’acquiert de contenu conscient que par son interaction avec certaines expériences de l’individu. L’archétype en soi ne peut donc être décrit, pas plus que la richesse de ses potentialités ne peut être épuisée par une approche intellectuelle discursive. Il ne peut qu’être éprouvé par chacun de nous dans son for intérieur, dans l’immédiateté de l’expérience spirituelle ou par l’intermédiaire du langage symbolique.

L’archétype de la sagesse éternelle est à la source des idées de sacré, de surnaturel, de transcendance. Il est souvent représenté par la Lumière, et suscite une réaction de respect, voire de fascination. Il peut s’exprimer à travers les imagos du vieux maître, du magicien (Merlin), du feu sacré ou, dans un registre plus féminin, de la Mère universelle (Magna Mater) ou de la connaissance de la nature.

L’archétype cosmique est à l’origine de notre perception du monde comme Unité, rassemblant à la fois le microcosme (l’homme) et le macrocosme (l’univers) en une totalité dont chaque constituant est en relation avec tous les autres. Les imagos qui matérialisent cet archétype sont classiquement des figures géométriques plus ou moins complexes comme le mandala, ou le cristal, en tant que révélateur d’un principe organisateur caché.

D’autres exemples peuvent être mentionnés : l’archétype de l’enfant, le cycle des saisons, les âges de la vie, les états de la matière, le développement de la conscience, la transsubstantiation, l’arbre, etc.
Le principe initiatique de l’individualisation : V.I.T.R.I.O.L.



« L'individuation est le processus psychologique qui fait d'un être humain un individu, une personnalité unique, indivisible, un homme total » C. G. Jung.

Le terme grec [μετάνοια], « métanoïa », est composé de la préposition [μετά] (ce qui dépasse, englobe, met au-dessus) et du verbe [νοέω], (percevoir, penser, concevoir), et signifie un «changement de vue», une «transformation de l’esprit», un «renversement de la pensée».

Jung utilise ce terme dans sa conception du processus d’individuation pour désigner une transformation de la psyché par une sorte de guérison initiée par des forces inconscientes. Il s’agit d’une transformation complète de la personne, transformation qui ressemble beaucoup à celle qui se passe à l’intérieur d’une chrysalide.


Une démarche de connaissance

Jung considère que, dans la société occidentale contemporaine, la majorité des humains ont un moi limité à leur persona. En d’autres termes, ils s’identifient entièrement à leur être social, à l’image qu’ils cherchent à donner aux autres. La conséquence principale de cet état est que, croyant maîtriser sa vie, l’homme d’aujourd’hui est en réalité manipulé par les "personnalités parasites" qui résident dans son inconscient, et dont il ignore l’existence. Ce constat dérangeant est à la fois le fait du psychiatre qui identifie les pathologies dont souffrent ses patients, et du sujet Jung qui analyse ses propres "traversées nocturnes de l’âme".

Dans ce contexte, le processus d’individuation est une transformation du sujet dans laquelle le champ de la conscience s’élargit progressivement pour englober une partie toujours plus importante de la psyché. Par degrés, l’inconscient devient conscient, et le sujet se déplace du moi (centre de la persona) vers le Soi (centre de l’être total).

L’individuation est d’abord une démarche de connaissance. C’est ensuite une transformation personnelle, une libération par la découverte du Soi. Il faut cependant préciser que l’exploration de l’inconscient est un travail ardu, exigeant, qui n’est pas sans danger. Elle peut être déstabilisante, et parfois bouleversante. Quelle que soit la méthode choisie, introspection, démarche initiatique, étude des rêves ou psychanalyse, le travail doit pouvoir s’appuyer sur un moi suffisamment bien construit pour qu’il ne se laisse pas posséder par les personnalités parasites auxquelles il sera confronté. Une persona solide et résistante n’est donc pas un obstacle, mais plutôt une garantie contre les dérives pathologiques.

En plus d’un moi bien construit, le travail d’individuation exige une absence de jugement moralisateur sur les qualités respectives de la persona et des différents constituants de l’inconscient. La méthode est analytique et objective : le moi-témoin commence par observer séparément les constituants de sa psyché et leurs relations réciproques, opération qui, selon Jung, conduit immanquablement à la mise en évidence de dualités opposant, par exemple, la persona à l’ombre, le domaine personnel à l’inconscient collectif, le masculin au féminin, le moi avec ses limites au pouvoir illimité de l’archétype de la sagesse. Le sujet devra alors s’atteler à résoudre chacune des oppositions rencontrées, sachant qu’il lui est interdit d’éliminer un des éléments au profit de son opposé. Il peut en revanche transformer les éléments pour aboutir à la "conjonction des opposés" et réaliser l’unité du Soi.


Un processus en cinq phases

Si le processus d’individuation peut être décrit en quelques lignes, le temps nécessaire à sa réalisation se compte en années, faites de phases progressives et de phases régressives, de différenciation et de retour à un état indifférencié. Pratiquement, Jung décrit un processus fait de cinq phases, qui peuvent être résumées dans une liste forcément schématique[6].

Dans la première phase, le moi se dissocie de la persona. Il ne s’agit pas d’une destruction de la persona, mais d’une désidentification, d’une perte du conditionnement créé par le regard des autres. Il s’agit de répondre à la question : que restera-t-il de moi si l’édifice qui constitue mon personnage social (titre, fonctions, projets, image) s’écroule, si je deviens un errant, inconnu de tous, à la recherche de moi-même ? Cette étape est une régression vers un état indifférencié, qui met en œuvre l’imagination active du sujet.

Dans la deuxième phase, le moi se confronte à son ombre. Il réalise qu’il a en lui non seulement les qualités, mais aussi tous les "défauts" qu’il croit voir chez les autres. Il apprend à s’abstraire de tout sentiment de culpabilité, et à rejeter le jugement moralisateur de la persona. Il travaille à intégrer le côté négatif de l’admirable et le côté positif du blâmable. Il dépasse le dogmatisme, devient plus objectif, plus compréhensif et fraternel à l’égard des autres.

La troisième phase est une rencontre avec l’archétype sexuel. Pour l’homme, il s’agit de se confronter à son anima avec objectivité, ce qui requiert un dépassement de la dualité mère/enfant, de l’assimilation du féminin au maternel. C’est en effet cette confusion qui maintiendrait l’homme dans un état d’immaturité et de dépendance "infantile" à l’égard de son anima, alors que seule la dissociation des deux aspects pourrait lui éviter la possession par une image trop obsédante (érotique ou romantique) de la féminité. L’homme atteint sa maturité lorsqu’il réalise que l’image de l’éternel féminin réside dans sa propre psyché. Il peut alors reconnaître sa partenaire en tant qu’individu qui n’est plus prisonnière de l’image qu’il projetait en elle.

Dans la quatrième phase, le moi libéré des entraves de l’inconscient découvre le pouvoir que lui confèrent ses nouvelles connaissances. Il rencontre l’archétype de la sagesse, qui lui révèle une potentialité éblouissante, indescriptible, celle d’avoir accès à une réalité transcendante. On aurait tort, cependant, de confondre la contemplation de la sagesse avec sa réalisation, et Jung met en garde contre le risque d’une possession par cet archétype, qui induit une inflation du moi et transforme le sujet en une "personnalité-mana" revendiquant des pouvoirs magiques, des titres ronflants ou une mission surnaturelle. Contre ce danger, Jung préconise de faire acte d’humilité en maintenant un ancrage dans la vie concrète, par le travail de la terre ou d’autres activités pratiques.

La cinquième phase réalise la synthèse des précédentes. Le moi a pris conscience des entités qui peuplent son inconscient, et il en a dépassé les contradictions. Ce cheminement a provoqué des crises, puisque le flux de l’inconscient dans la sphère de la conscience a pour effet de déstabiliser, parfois même de désagréger le moi. Le sujet n’est plus dirigé par la persona, qui a perdu son autorité.

Un nouvel équilibre psychique doit donc être créé : il le sera par le biais de l’archétype cosmique, et de l’image du mandala. Pratiquement, la personnalité se réorganisera autour d’un nouveau centre, situé non plus dans la persona, mais au centre géométrique de l’individu total (conscient et inconscient), comparable au centre du mandala. Jung appelle "Soi" ce nouveau centre, auquel il reconnaît une valeur transcendante, et qu’il désigne aussi par l’expression "Dieu en nous". Le Soi réalise l’unification de la psyché composite. Le moi n’est pas aboli, mais il n’a plus le rôle de sujet. Il est devenu l’objet, le porte-parole d’un maître intérieur nommé "Soi".

L’individuation étant acquise, on peut légitimement se poser la question à quoi cela peut-il servir ? Le sujet n’a pas acquis de pouvoirs surnaturels, il n’est pas immunisé contre les revers ou contre la souffrance, il ne se distingue pas extérieurement de ses congénères. 
Et pourtant, intérieurement, son parcours l’a totalement transformé. Il a acquis l’Humain et la compassion.
N’étant plus le jouet des forces obscures de son inconscient, il a gagné une authenticité et une liberté qui l’ont fait passer du stade d’"humanoïde" à celui d’humain, tolérant, solidaire, respectueux de toute forme de vie, indépendant à l’égard des grands mouvements collectifs parce que conscient de sa place dans l’univers. 

N’est-ce pas là le sens alchimique de V.I.T.R.I.O.L., (Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem Veram Medicinam), véritable médecine de l’Âme ?


[1] Le Symbolisme dans la mythologie grecque, étude psychanalytique, 1966.

[2] Jung, Dialectique du Moi et de l'inconscient, Folio Essais, 2001, p. 115.

[3] Jung, Carl Gustav. Dialectique du moi et de l’inconscient. Paris, Gallimard 1964.

[4] Carl Gustav Jung, glossaire, p. 453. (Ma vie.Souvenirs, rêves et pensées recueillis par Aniéla Jaffé, Gallimard, coll. « Folio », 1991)

[5] Une action organisée, structurée et généralisable d'une situation à une autre.

[6] Rojo Sierra, Miguel. Introduction à la lecture de C. G. Jung. Genève, Georg 1988.


Source.

Pour aller plus loin, Ce que Jung a vraiment dit de E. A. Bennet.

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