Seul Dieu a le pouvoir d’ôter les voiles de vos yeux, et vous ne trouverez pas de réponses ici, à moins qu'Il ne le veuille.

03 septembre 2020

Métaphysique de la Lumière -fin-



Nous terminerons cette brève étude par un retour aux Fuçuç al-hikam d’Ibn ʿArabî où le symbolisme
de l’ombre et de la lumière est utilisé de manière très explicite pour exposer la même doctrine :

Nous disons donc : ce que l’on désigne comme « autre que Dieu », ou ce qu‘on appelle « le
monde », est à Dieu ce que l’ombre est à la personne. Le monde est l’ombre d’Allâh ; elle est
l’essence du lien qui rattache la réalité actuelle au monde... Le réceptacle de la manifestation
de cette ombre divine que l’on appelle le monde est constitué uniquement par les essences
propres des possibilités contingentes ; c’est sur elles que cette ombre est étendue. Elle est
perçue dans la mesure où s’étend la réalité actuelle de cette Essence, et ne l’est que par Son
Nom « la Lumière ». L’ombre ainsi étendue sur les essences propres de ces possibilités est à
l’image du mystère inconnaissable. Les essences des possibilités contingentes... ne sont pas
lumineuses parce qu’elles demeurent non-manifestées46. Elles sont qualifiées par
l’immutabilité principielle, non par la réalité actuelle ; or c’est la réalité qui est lumière.
...
Il découle de ce que je viens de te dire que le monde est illusoire car il est dépourvu de réalité
véritable... Ne vois-tu pas que l’ombre, dans le domaine sensible, demeure attachée à la
personne qui le produit ; il est impossible de l’en détacher parce qu’il est impossible de
détacher une chose d’elle-même. Sache donc reconnaître ton être, qui tu es ; ce qu’est ton
« soi » ; ce qu’est ton affinité avec Dieu, par quoi tu es « Dieu » et par quoi tu es « monde »,
différent, « autre que Lui » ; et à quoi ces termes correspondent.47

C’est bien là le « Qui suis-je ? » de Ramana Maharshi, et certainement le sens profond du « Connais-
toi toi-même » inscrit au fronton du temple de Delphes, même si cette dernière maxime a été finalement entendue en Occident dans un sens purement humaniste. A la Renaissance, pourtant, il
reste encore des traces de cet enseignement dont le néo-platonisme avait gardé la mémoire, ainsi
qu’en témoignent ces lignes de Marsile Ficin :

Dieu est un, en toutes choses et au-dessus de toutes choses. La lumière est une, en toutes
choses et autour de toutes choses. Dans les créations de Dieu, la lumière est une certaine
splendeur de la divine clarté, et même un dieu, si je puis dire, se limitant lui-même et
s’adaptant à la capacité de ses œuvres. Dieu est une lumière infinie existant en soi et par soi45 

C’est la raison pour laquelle il est si difficile de parler de ce dont seule l’intuition directe peut permettre la connaissance. Nous avons essayé de rassembler quelques textes émanant d’autorités indiscutables, mais tout manque de clarté qui serait inhérent à leur choix ou à leur présentation ne serait évidemment imputable qu’à nous-même. Et Dieu est plus savant !46 

Les « essences immuables » correspondent à ce que René Guénon appelle les possibilités de manifestationdans leur état de non-manifestation ; cet état est ici symbolisé par une obscurité,  conformément à ce qui a été dit plus haut. La raison en est explicitée par Ibn ʿArabî dans un chapitre précédent : « En effet, il n’est pas dans la capacité d’une créature...d’avoir...la Vision divine des essences particulières dans leur état de non-manifestation, car celles-ci sont, au sein de l’Essence (suprême), des rapports dépourvus de forme. » (I, p.78) en toutes choses et hors de toutes choses à travers l’infini. Il est la source de la vie dans la lumière de laquelle, comme dit David, nous voyons la lumière. Il est aussi l’œil par lequel tous les yeux voient et, comme le dit Orphée, l’œil qui perçoit la totalité des êtres en chaque être singulier et regarde véritablement tout en lui-même, lorsqu’il voit qu’il est toute chose.48



 Figure 1: La camera obscura, planche du traité de Gemma Frisius : De Radio Astronomica et Geometrica (1545). L’œil fonctionne selon le même principe, c’est le cerveau qui redresse l’image formée sur la rétine.


A.A.


47- Le livre des chatons des sagesses, op.cit., p.247-250.
48- Quid sit lumen, op.cit., ch. XI et dernier. Les références dans le texte sont Psaumes, 35,10 et Orphei carmina,
58, 13-14.

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