L'Arbre de Vie ne sert pas qu'à nourrir, guérir et prolonger la vie. Il ne sert pas non plus uniquement de fondation à l'existance du Monde. Dans une autre de ses versions, il devient un arbre qui crée la vie, une vie parallèle à la vie normale : l'Arbre Wak-wak (ou Waq-waq).
La plus ancienne référence à ce mythe provient du livre chinois TUNG-TIEN. Son auteur, DU-YU, était un Chinois qui fut fait prisonnier par les Arabes à la bataille du Talas, en Asie centrale, en 751. Et il entendit parler d'une étrange histoire en Iran ou en Mésopotamie :
On disait que des marins arabes, au bout d'un voyage de huit ans, arrivèrent sur une île rocheuse carrée où ils trouvèrent un arbre aux branches rouges et aux feuilles vertes. Sur cet arbre poussaient des enfants longs de six à sept pouces. Lorsqu'lls voyaient des hommes ils ne leurs parlaient pas. mais ils pouvaient tous rire ou s'agiter. Mains, pieds et têtes adhêraient aux branches de l'arbre. Lorsque les hommes essayaient de les détacher, les enfants à peine dans leurs mains se desséchaient et devenaient noirs, comme pourris.
Al-Gahlz au IX ème siècle, dans son livre "Kitab al-Haiyawan", explique que cet arbre s'appelle "WOKWOK" et qu'il porte des fruits étranges formant des animaux ou des femmes minuscules, de différentes couleurs, suspendus aux branches par les cheveux, et qui n'arrêtent pas de crier "wok-wok !". Et si on les cueille, ils meurent immédiatement.
Au Xème siècle, un traité sur l'ïnde parle aussi de cet arbre :
"Il y a de grands arbres aux feuilles, arrondies ou ovales, qui font des fruits semblables à des melons, mais plus grands et d'un aspect humain. Quand le vent les agite, il en sort une voix et l'intérieur se gonfle d'air comme les fruits de l'asclépiade. S'lls se détachent de l'arbre, l'air s'en échappe immédiatement et ils deviennent plats et flasques comme un morceau de peau.".
Dans le grand roman persan "Shâh Nâmeh", écrit par Firdouzi (940-1020), l'Arbre WAK-WAK est ensuite associé à la quète du savoir par Iskandar (Alexandre le grand). Ce dernier rencontre des arbres parlant, sur l'île des femmes, et ils lui prophétisent sa mort prochaine.
Iskandar, Alexander the Great at the talking tree
A la fin du XI ème siècle, un livre écrit à Cordoue raconte ceci :
"Dans la partie de la Chine qui est dans la mer. il y a de nombreuses îles ; parmi elles, celles qui sont célèbres et connues sont au nombre de huit. La plus grande et la plus importante est l'îIe de Wakwak. Elle est appelée ainsi parce qu'íl s'y trouve des arbres élevés dont les nombreuses feuilles sont semblables à celles du figuier. Cet arbre porte des fruits au mois de mars, et ce sont des fruits semblables aux fruits du palmier. Ces fruits se terminent par des pieds de jeunes filles qui en sortent. Le deuxième jour du mois. elles sortent leurs deux jarnbes; le troisième jour, les deux genoux et les deux cuisses. Et cela continue ainsi el il en sort chaque jour quelque chose jusqu'à ce qu'elles aient achevé leur sortie le dernier jour du mois d'avril. Au mois de mai sort leur tête et leur forme extérieure est complète. Elles sont suspendues par les cheveux. leur forme et leur stature sont les plus belles qui soient et les plus admirables. l.orsqu'on est au début du mois de juin, elles commencent å. tomber de ces arbres jusqu'au milieu du mois, et il n'en reste plus une seule qui ne soit tombée. Au moment de tomber sur le sol, elles poussent deux cris : 'Wakwak !'. On dit aussi qu'elIes en poussent trois. Lorsqu'elles sont tombées par terre, on trouve une chair sans os. Elles sont plus belles que tout ce qu'on peut désirer, sauf qu'elles sont mortes et qu'clles n'ont pas d'ãme. On les ensevelit dans la terre; si on ne les ensevelissait pas et qu'elles restent ainsi. personne ne pourrait en approcher même de loin à cause de l'intensité de leur puanteur. Cela est une merveille du pays de Chine. Cette île est à la limite du monde habité de cette mer.".
Le livre des curiosités de la science et de l'émerveillement des yeux(époque médiévale)
Dans le livre "Kltab nl-Gohgraya" (Xll ème siècle). on dit que cet arbre pousse dans l'île Wak-Wak située dans la mer de Chine et que ses feuilles sont semblables à celles du figuler. Des fruits. analogues à ceux du palmier paraissent en mars: En avril, des petites filles minuscules commencent à apparaître. Elles poussent à partir des pieds et finissent par sortir complètement fin avril et restent suspendues par les cheveux aux branches. Vers le mois de juin, alors qu'elles sont maintenant mûres, elles commencent å tomber en criant le fatidique "Wok-wok !".
Ibn Tufall (Xll ème siècle) raconte également ceci :
"Il y en a une (une île indienne), sous la ligne de l'équinoxe, où I'on croit que les hommes naissent sans avoir nl père, nl mère et où l'on trouve un arbre dont les fruits sont des hommes."
En Occident. Alexandre de Bernay s'inspire du livre "Shâh Nâmeh" pour écrire son Roman d'Alexandre à la fln du XII ème siecle. Dans le chapitre de "la forêt aux pucelles", il décrit la rencontre entre Alexandre le grand et des jeunes filles-fleurs qul ne vivent que durant la belle saison. Elles sont confinée à l'ntérieur de la forêt où elles naissent et elles trouvent une mort inexorable si elles en quittent l'ornbre.
Al-Qazwinl, au XIII ème siècle, parle également de l'arch|pel des lles Wak-wak :
"Elles sont appelées ainsi parce qu'iI y a là un arbre dont les fruits ressemblent à des femmes pendues par les cheveux; et lorsque le fruit est mûr on entend le son 'wok-wok !' "
Dans un livre turc daté de 1580 il est expliqué ceci :
"Les etres humains n'habitent pas sur l'ile de Vaqvaq. Parfois, contraints par la violence du vent, certains navires y parviennent. Les premières personnes du bord qui débarquent pénètrent alors dans l'ile susdite. Dans celle-ci, il y a une sorte de grand arbre qui a toujours pour fruits de très belles odalisques fixées à ses fleurs et à ses branches, odalisques qui laissent dans l'émerveillemenl ceux qui voient la beauté de leurs formes et l'élégance de leurs corps. Chacune d'elles a assurément des seins et un sexe, comme les autres femmes. Comme des fruits, elles sont suspendues par leur chevelure aux branches de l'arbre. Il arrive que, toutes ensemble, elles poussent le cri 'Vaq-vaq !'. Pour cette raison. l'lIe susdite est appelée 'Vaq-vaq'. Chaque fois que l'une de ces odalisques est cueillie de son point d'origine. elle ne survit que près de deux joumées. puis elle périt et sa forme se gãte. On raconte que, parfois, certaines personnes les connaissent et y trouvent bonnes odeurs et grands plaisirs. Dans certains livres, c'est de cette manière qu'est représenté et tracé l'arbre sus-dit.".
Dans ses "Lettres sur la mythologie", Thomas Blackwell (1701-1757) écrit ceci :
“Nous avons appris de nos pieux ancêtres, dit: l'lmam, que parmi les îles de l'Inde, il y en a une, située directement sous la.ligne, où il naît des .hommes sans pères ni mères. ll y croît un arbre qui porte des femmes au lieu de fruits; ce sont elles qu'Al-masudi appelle les 'Demoiselles de Wakwak'. Cette île est de toutes les régions de la Terre celle qui jouit de l'air le plus doux et le plus tempéré."
En Thaïlande, cet arbre mystique est connu aussi mais on le situe au Paradis. Et les femmes qui y poussent portent le nom de NARZPHONs, ce qui vient du sanscrit NARRPHALAs signifiant "Femmes-fruits".
On peut se demander si cette île WAK-WAK ("Djazirat al-Wakwak") existait vraiment ou si elle était totalement légendaire. Les Arabes, en essayant de rationaliser le mythe, les remplaceront parfois par l'"île des femmes", en abandonnant toute référence à l'arbre merveilleux.
Selon Al-Mas'udi (vers 871-956 ou 893-956), qui est le seul géographe arabe à s’être rendu à Zanzibar, l'ile Wak-wak se trouverait au large de Sofala (ville située en Afrique de l'est). Ibn Khaldun et Ibn al-Wardi pensaient de même. Quand à Ya'kubi, il la placait dans le mer de Larwi, située entre l'inde et l'Afrique. Cependant, en 909, Ibn al-Fakih parlait de l'existance de deux îles Wak-wak : "Wakwak al-Sin", située au large de la Chine, et "Wakwak al-Yaman", située au large du Yémen.
On pense que l'île WAK-WAK n'est autre que Madagascar et que la légende vient des Malais. Madagascar a en effet été colonisée jadis par des Malais venus de Sumatra, cela a été démontré en comparant la langue malgache avec les langues de Malaisie et d'Indonésie. Madagascar serait donc l'île "Wakwak al-Yaman" et Sumatra serait alors l'île "Wakwak al-Sin".
En 945, l'Arabe Ibn Lakis a dailleurs décrit la venue de Wak-waks, avec une flotte de1000 bateaux, sur la cote orientale de l'Afrique afin de commercer avec les Arabes.
Chez les Malais, le mot WAKWAK peut se rapporter aux gibbons qui vivent dans les arbres. Certains pensent que ce nom aurait pu être donné par les Malais aux femmes Bochimanes stéatopyges qu'ils ont rencontré dans le sud-est de l'Afrique. Pour les Malais des Philippines, cependant, le mot WAKWAK sert plutôt à désigner une sorte de vampire volant.
Il est plus intéressant de se rapporter à la langue des Malais installés à Madagascar : Chez eux le mot WAKWAK pourrait bien dériver de VAHWAK qui signifie "peuple" ou "tribu". Et chez les Malais de Sumatra on trouvait également une tribu portant le nom de PAKPAKs.
Le fruit de l'Arbre WAKWAK pourrait être, selon certains, la noix de coco. En effet, avec ces trois trous celle-ci peut ressembler un peu à un visage. Et d'ailleurs, son nom de "coco" signifiait "face grimacante" en portugais. Cependant il existe aussi un arbre appelé VAKWA (Pandanus) à Madagascar ... mais il serait vain de chercher dans ses fruits une forme ressemblant à un corps de femme. Cependant on notera que chez les Malais des Philippines, on trouve plusieurs légendes parlant de femmes nées à partir d'un fruit.
Lopez de Gomara Francisco, Histoire de l'Inde
Etrangement, dans son livre L'"Histoire véritable", I 'écrivain grec Lucien de Samosate (120-200) avait déja raconté une histoire qui semble être le prototype du mythe des femmes de l'Arbre WAK-WAK :
"... Après avoir traversé Ie fleuve à un endroit guéable, nous trouvons une espèce de vignes tout à fait merveilleuses : le tronc, dans sa partie voisine de la terre, était épais et élancé; de sa partie supérieure sortaient des femmes, dont le corps, à partir de la ceinture, était cl'une beauté parfaite. telles que l'on nous représente Daphné, changée en laurier, au moment où Apollon va l'atteindre. A l'extrémité de leurs doigts poussaient des branches chargées de grappes ; leurs têtes, au lieu de cheveux, étaient couvertes de boucles, qui formaient les pampres et les raisins. Nous nous approchons ; elles nous saluent, nous tendent la main, nous adressent la parole, les unes en langue lydienne, les autres en indien, presque toutes en grec, et nous donnent des baisers sur la bouche ; mais ceux qui les reçoivent deviennent aussitôt ivres et insensés. Cependant elles ne nous permirent pas de cueillir de leurs fruits, et, si quelqu'un en arrachait, elles jetaient des cris de douleur. Quelques-unes nous invitaient à une étreinte amoureuse ; mais deux de nos compagnons s'étaiet laissé prendre par elles ne purent s'en débarrasser; ils demeurèrent pris par les parties sexuelles, dans ces femmes, et poussant avec elles des racines: en un instant, leurs doigts se changèrent en rameaux, en vrilles, et l'on eût dit qu'ils allaient aussi produire des raisins. Nous les abandonnons, nous fuyons vers notre vaisseau, et nous racontons à ceux que nous y avions laissés la métamorphose de nos compagnons, désormais incorporés à des vignes...."
On notera que dans le Coran se trouve mentionné un autre arbre mythique dont les fruits ne ressemblent pas à des femmes mais à des têtes de diables, l'Arbre de Zaqqoum qui pousse en Enfer :
"Certes l’arbre de Zakkoum sera la nourriture du grand pécheur. Comme du métal en fusion ; il bouillonnera dans les ventres comme le bouillonnement de l’eau surchauffée." (Sourate 44, 43-46)
"... Vous, les égarés, qui traitiez celà de mensonge, vous mangerez certainement de l'arbre de Zaqqoum. Vous vous en remplirez le ventre." (Sourate 56, 51-53)
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