Seul Dieu a le pouvoir d’ôter les voiles de vos yeux, et vous ne trouverez pas de réponses ici, à moins qu'Il ne le veuille.

27 août 2018

L’arbre de la Lune et du Soleil




Tel qu’il est dessiné dans le manuscrit Supplément turc 190, le Zaqqoum ne manque pas d’évoquer l’arbre de la Lune et du Soleil qui révèle son destin à Alexandre de Macédoine, dans sa quête aux confins du monde.



L’épopée d’Alexandre fut revue et corrigée dans le monde arabo-persan qui ne conserva du conquérant que le souvenir laissé par deux écrits apocryphes, celui du pseudo-Callisthène et celui de la Lettre d’Aristote à Alexandre. Le Roman d’Alexandre dont l’Occident hérita, est en effet une oeuvre orientale, mais la version arabe égarée n’est connue qu’au travers de versions syriaques ou coptes ; elle inspira cependant les poètes persans du XIIè siècle, tels Nizâmî ou Firdawî qui en firent un véritable roi de Perse, digne de figurer dans l’épopée nationale, Le Shâh Nameh, Le Livre des rois, aux côté des plus grands souverains de l’Iran ancien.

Firdawî fait le récit de la rencontre entre Alexandre et l’arbre devin :


Il y a ici une merveille telle que personne n’en a jamais vu de pareille en public ou en secret : c’est un arbre composé de deux troncs qui se sont joints en croissant, et une pareille merveille ne doit pas rester inconnue ; un des troncs est femelle et l’autre est mâle, cet arbre parle, a de larges branches et est beau et odorant. La nuit c’est la femme qui parle et émet son parfum, et quand le jour parait c’est le mâle qui parle.

Alors que la branche « Soleil » lui demande pourquoi sa vie est faite d’agitation alors qu’il est « sur la route du départ », la branche femelle à minuit lui prédit :


[…] il ne te reste pas beaucoup de temps sur terre.



L’arbre qui figure dans la quasi totalité des Shah Nâmehest en général représenté comme un arbre normal mais, dans quelques copies, dont un Shah Nâmeh de Tabriz datant du début du XIVè siècle et conservé à la Freer Gallery of Arts, et dans une copie timouride de la fin du XVè siècle, on voit Alexandre se tenant devant un arbre dont ls fruits sont pour ainsi dire analogues à ceux du Zaqqoum du manuscrit de la BnF.

L’arbre du récit du Pseudo-Callisthène était un cyprès, mais l’arbre du Soleil et de la Lune est, lui un arbre double, masculin et féminin, et l’on notera que c’est l’arbre de la Lune qui prophétise à Alexandre sa mort prochaine. La Lune est, dans les croyances antiques, associée à la mort, à la fois par son cycle au cours duquel elle décroît, meurt et renaît, et par son croissant, dont les anciens Mésopotamiens ont fait la barque conduisant les âmes des défunts. La Lune demeura psychopompe chez les Romains, liée à la fois à la magie et à la mort sous l’aspect d’Hécate. Elle conserva également cet aspect dualiste, présidant à la vie, à la croissance et à la germination des espèces, aux eaux dormantes et à la magie (mansions de Lune) dans les croyances astrologiques du monde arabo-persan médiéval.

Cet arbre curieux possède trois caractéristiques particulières. Il présente une analogie certaine avec l’arbre de vie dont il est l’essence même sous les traits d’un arbre à deux troncs enlacés, mâle et femelle, l’un étant lié au Soleil, et l’autre à la Lune. D’ailleurs en Inde, pays où Alexandre le découvre, les arbres sacrés sont associés au culte des Grandes Mères, symboles de la fertilité, et on les représente décorés d’animaux fabuleux ou sauvages (licorne, tigre, éléphant, taureau, bouquetin, cobra, etc.) dont l’effigie sert d’apotropaia contre les attaques des démons convoitant les fruits de l’arbre de vie.

L’arbre qui parle est également un prodige, un signe que la divinité adresse aux hommes sous la forme d’un arbre devin, selon les conceptions de Plutarque et de Cicéron analysées par Jean Céard, et qui renvoie à l’un des procédés divinatoires bien connu de l’antiquité en particulier avec la forêt de chênes de Dodone en Épire, rendant l’oracle de Zeus .

Par ailleurs, cet arbre également situé aux confins du monde, en marque non seulement les limites terrestres, mais aussi les propres limites qu’Alexandre vient d’atteindre dans sa quête de la source de vie et de l’immortalité. Sous cet forme, l’arbre s’apparente au jujubier de l’extrême limite, le Sidrat al-Muntahâ, arbre de vie auprès duquel se reposeront les élus mais aussi limite du savoir auquel parvient le mystique. Ce dernier est désigné dans la cosmologie islamiste comme participant à l’axe du monde également également symbolisé par la montagne Qâf. On peut par exemple noter que dans la cosmographie de Tûsî Salmanî, Alexandre n’est pas représenté avec l’arbre de la Lune et du Soleil mais au pied de la montagne Qâf où il rencontre l’ange gardien de la montagne qui lui dit :


Ô fils d’Adam, tu n’as pas été rassasié par le monde pour venir jusqu’ici…

L’ange lui explique alors qu’il est arrivé à l’une des extrémité du monde, et qu’il va désormais revêtir le titre suprême de « Zu-l Qarnayn » (Maître des deux cornes). Ainsi tout comme l’arbre chez Firdawsî, la montagne prophétise la fin du héros mais aussi son immortelle gloire.

On peut en effet noter qu’à l’image des autres créatures hybrides que rencontre Alexandre (les peuples de Gog et Magog, les harpies du pays obscur, le roi hybride mort du palais merveilleux, l’enfant monstrueux), l’arbre prodige est présage : il annonce la mort du héros et, en filigrane, celle de l’humanité avec un message : toute recherche d’immortalité est vaine. Au delà de sa forme première rappelant le Waq-Waq, l’arbre d’Alexandre est donc un arbre de mort à portée eschatologique, tout comme le Zaqqoum.



à suivre...


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

vous pouvez me contacter directement par mail elfieraleuse@gmail.com