L'Arbre du Monde ou l'énergie ignée
Le Bouddhisme n'est ni une religion ni une philosophie et peut aisément passer au travers les mailles des catégories occidentales. Et cela est encore plus vrai du Grand Véhicule ou de la Grande Voie (mahâyâna) qui renferme une partie métaphysique contrairement au Petit Véhicule ou à la Petite Voie (hinâyâna) plus formel. La doctrine bouddhique est le fruit de la quête intérieure d'un homme qui montra la Voie de la cessation de la souffrance pour TOUS les êtres.
Le Bouddhisme puisa à l'origine dans l'Hindouisme. Il dût s'en détacher et développer sa propre voie pour déborder les frontières de l'Inde et s'adapter à de nouvelles contrées. Il n'empêche que des symboles tels que l'Arbre du Monde ou l'Arbre de Vie portent encore l'empreinte de la période pré-bouddhiste comme en témoignent les Vêdas et surtout les Upanishads. La description de l'arbre dans les Maitrayani Upanishads nous éclaire d'ailleurs sur ce point:
“Il y a en vérité deux formes de Brahman, avec ou sans similitude. Maintenant, Cela qui est dans une similitude est contingent; Cela qui est sans image est l'essentiel, Brahman, lumière. Cette Lumière est la lumière du Soleil spirituel.” (Maitri Up. VI 3)
Le but ultime de l'être humain, la “Délivrance”, est l'authentique Brahman, le Brahma non qualifié (nirguna), la Totalité infinie des possibilités de manifestation et de non manifestation. Brahma est le Principe à la fois de l'Être et du Non-Être. D'où la dénomination de Suprême Brahma (Para-Brahma);
Le Braman formel est Brahmâ, la forme personnalisée et masculine du Principe impersonnel et neutre Brahma. Il est le Principe qualifié (saguna) et Non-Suprême (Apara-Brahma) de l'ensemble de la manifestation humaine.
La lumière de l'authentique brahman est celle du Soleil spirituel propre au monde invisible et au-delà du soleil visible. Il s'agit non seulement de la lumière reçue lors de l'Illumination, de l'Éveil, mais aussi de la lumière associée à l'acte d'illuminer, d'éveiller. L'Éveil ne concerne pas uniquement celui qui s'éveille, mais également ceux sur lesquels l'Éveillé resplendit.
“Avec sa racine plantée en haut… cet arbre que l'on appelle l'Unique Figuier, c'est Brahman… sa lumière est celle du Soleil spirituel, mais aussi celle de la syllabe Om; c'est pourquoi on doit Le vénérer continuellement au moyen de la syllabe Om! Car la syllabe Om est l'Unique Éveilleur qui éclaire l'être humain.” (Maitri Up. VI 4)
L'Arbre du Monde est l'Unique Figuier, le Figuier de la Bodhi ou de l'Éveil. La sève de l'arbre monte des racines jusqu'au feuillage. Les racines correspondent à l'authentique Braman, au Principe à la source du manifesté et du non manifesté, les branches et le feuillage à la manifestation proprement dite. Du point de vue de l'être manifesté cependant, le Principe relève du monde de l'au-delà et sa manifestation du monde ici-bas. C'est pourquoi, l'arbre est perçu inversé du point de vue de la manifestation.
Le Figuier est appelé “l'Unique Éveilleur” et le Figuier de la Bodhi le “Grand Éveil”. L'Éveil correspond à l'action de se relever et ceci vaut aussi bien pour l'être que pour l'arbre. L'arbre est redressé aux yeux de l'Éveillé qui voit désormais le monde du point de vue du Principe.
La syllabe OM symbolise le son primordial, la Parole de Brahman d'où surgissent toutes choses. Elle représente le développement de la potentialité du Principe ainsi que le retour à l'Unité originelle. Par le son, la lumière, l'énergie ignée s'éveille, fuse et se propage. L'Arbre, symbole du Verbe et de la Lumière, est le support pour la vision de Brahman et du Bouddha.
“Elle (l'énergie ignée) a sa place dans le sombre foyer qui diffuse la lumière… elle s'élève telle une branche dans le firmament et, tige après tige, s'étend à tout comme une vision contemplative.” (Maitri Up. VII 11)
Tout comme Brahman, le Bouddha rayonne d'énergie ignée:
Le jour, brûle le soleil.
La nuit, resplendit la lune.
Équipé, le prince brûle.
Méditant, brûle le brâhmane.
Mais sans cesse, jour et nuit,
Le Bouddha brûle par son rayonnement.
(Dhammapada ou les Stances de la Loi, 387)
“La syllabe Om… Prâna (Souffle vital), Agni (Feu) et Sûrya (Soleil spirituel) sont ses formes ignées.” (Maitri Up. VI 5).
Prâna correspond au Souffle vital, à l'énergie à la base de l'existence manifestée, principalement physique;
Agni est le dieu du Feu. Le Feu symbolise l'élévation de l'être physique vers l'être humain, c'est-à-dire centré en lui-même. Gautama représente l'aspect humain d'Agni;
Sûrya est le dieu du Soleil, du Soleil spirituel associé à l'être total qui a non seulement rejoint son propre centre, mais également le Centre du Monde comme le Bouddha.
Cette triade symbolise l'axe de l'élévation de l'être depuis le Souffle originel jusqu'à la Suprême Lumière.
L'Arbre de Vie ou la Voie de l'élévation
“Et maintenant, ô vous qui vivez en Brahman, Cela qui est Sa part ténébreuse est Rudra, le Destructeur; Cela qui est Sa part dynamique est Brahmâ, le Créateur; et Cela qui est Sa part lumineuse est Vishnu, le Préservateur.” (Maitri Up. V 2)
Rudra est l'aspect destructeur de Shiva le Transformateur.
Ces trois dieux représentent la triple manifestation (“Trimûrti”): Brahmâ le Créateur, Vishnu le Préservateur et Shiva le Destructeur ou plus exactement le Transformateur. La “Trimûrti” symbolise autant d'aspects de l'ensemble de la manifestation. Son ascension à rebours ouvre la porte sur le non manifesté, le Principe, Brahma.
Or, une inscription à propos de l'Arbre de Vie dans le temple d'Angkor Wat, initialement hindou, puis bouddhiste, stipule que ses racines sont Brahmâ, son tronc Shiva et ses branches Vishnu.
Chacun de ces dieux représente un aspect du Principe de la manifestation humaine dans son ensemble:
Brahmâ représente l'aspect créateur du Principe, reflet dans le monde manifesté du Principe de la manifestation et de la non manifestation;
Shiva dépeint l'aspect transformateur du Principe: la destruction de l'ignorance, fruit de l'illusion liée à la séparation des êtres et des choses, et la restauration de la parfaite union dans l'état de l'éternel présent;
Vishnu caractérise l'aspect conservateur et protecteur du Principe. Il œuvre sans arrêt au rétablissement de l'unité perdue au cours de la manifestation; lorsque les nécessités du temps l'imposent, Il descend sous la forme de l'une des dix incarnations (“avatars”) dont celle de Bouddha.
Ces trois dieux représentent des principes producteurs du monde manifesté et autant de facettes du dieu Suprême, Brahma. En tant que “Principe Suprême”, Brahma est au-delà de toute distinction entre création, préservation et transformation. Il est neutre alors que Brahmâ, Vishnu et Shiva sont masculins et dotés de leurs propres énergies féminines (“shakti”) dépeintes respectivement par les trois déesses Sarasvatî, Lakshmî et Pârvatî.
Les aspects masculins et féminins, représentés par les branches latérales de l'Arbre de Vie, sont unifiés au niveau du tronc. Ce tronc symbolise l'Axe du Monde reliant tout les états d'être entre eux depuis les plus manifestes jusqu'aux non manifestés et dessinent la Voie de l'élévation aussi bien vers Brama que vers l'état de Bouddha.
René Guénon:
“Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues”, Éditions Guy Trédaniel, 1997;
En particulier, le chapitre IV de la troisième partie intitulé “À propos du Bouddhisme”.
Ananda K. Coomaraswamy:
“Les Symboles fondamentaux de l'Art Bouddhiste”. Éditions Gallimard, 1958;
Notamment, les pages consacrées à l'Arbre de Vie.
❣
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
vous pouvez me contacter directement par mail elfieraleuse@gmail.com