Course au profit, dettes souveraines, 7 milliards d’humains
sur terre, toujours plus d’impôts, toujours plus de pauvres, plus de famines et
de malnutrition, plus de pollution, plus de crimes, plus de catastrophes…
Nous vivons sous le règne de la quantité, dit René Guénon.
Un règne qui devient une dictature. La somme est loi, l’Unique est noyé sous le
nombre… On ne dit pas « c’est beau » mais « combien ça coûte ? » On a des chiffres plein la tête et des
calculs plein les reins. La quantité a tout enseveli. De gré ou de force, nous
devons en accepter le protocole et les édits régaliens. Merci Platon, Aristote
et Descartes, merci Kant et Hegel, eux par qui toute cette triste affaire a
commencé. On n’est pas près d’en voir la fin.
Guénon est un chercheur de vérité du siècle dernier. Son
parcours atypique l’a mené vers l’Inde et le Shivaïsme, comme son contemporain
Alain Daniélou, et plus tard vers le soufisme et la pratique du dénuement, au
Caire, sous le nom de Abdul Whalid Yayhia. René Guénon, au départ, est un
universitaire comme Henri Bergson et Jacques Maritain ; on mesure l’importance
de son arrachement et de sa révolution intime. Adversaire de la rigidité
cartésienne, Guénon dénonce avec brio la dictature des chiffres.
L’agriculture a fait son apparition, nous disent les
scientifiques concernés, il y a 10.000 ans en Mésopotamie. Non, répondent
d’autres scientifiques, tout aussi concernés. C’était il y a 12.000 ans en
Egypte. Tandis que des scientifiques non-alignés soutiennent qu’elle est
apparue bien avant ! Difficile de trancher entre ces écoles et leurs émules. Si
le fanatisme s’en mêle, le choix est encore plus épineux. Au fait, pourquoi
dater? Pourquoi chiffrer ?
Calculette, quand tu nous tiens ! « Une belle maison »,
c’est moins parlant que « une maison à 5 millions € » (source) Ce penchant
hérité du scientisme a gagné peu à peu toutes les sphères de l’activité
humaine, polluant nos joies et nos peines, calquant nos pensées sur la logique
binaire de nos pc. Pour Guénon, le règne de la quantité viendrait de Platon,
encore lui ! Avec sa célèbre sentence « Dieu géométrise toujours »,
l’incontournable Platon a mis la création entière sous le signe du nombre, et
pour longtemps.
« Descartes, qui se
trouve au point de départ d’une bonne partie des conceptions philosophiques et
scientifiques spécifiquement modernes, a voulu définir la matière par
l’étendue, et faire de cette définition même le principe d’une physique
quantitative. » Ce n’était pas encore du matérialisme, mais déjà du mécanisme.
Avec cette fulgurance de Guénon : « c’est l’étendue qui, étant directement
inhérente à la matière, représente le mode fondamental de la quantité. »
(source)
L’étendue est une forme du temps. Dans les autres mondes qui
nous sont accessibles, à savoir les plans astral, éthérique et infrahumains, ni
le temps ni l’étendue n’existent. Seul ce monde est soumis à l’espace-temps,
sur les autres plans règnent l’éternel instant et l’omniprésence du Tout. La
quantité, conjonction de l’espace et du temps, est donc bel et bien la
signature de ce monde matériel. La lumière dont nous sommes faits n’est pas
mesurable. L’éternité stoppe les chronomètres.
La quantité s’oppose à la qualité. La vision quantitative du
monde et des êtres, groupes humains ou espèces animales, s’oppose à une gestion
qualitative de ces mêmes groupes. En d’autres termes, tant que nous ne serons
que des numéros pour la Sécu, comment s’étonner qu’elle ait un tel trou dans
ses comptes ? La médecine occidentale est devenue mondiale ; avec sa copine la
pharmacie, elles font couler du sang et des larmes, mais aussi des niagaras de
dollars dans les poches de leurs actionnaires.
Leurs caisses sont branchées sur la Sécu, dont elles
augmentent chaque jour un peu plus le trou.
Et pas seulement chez nous, mais partout. Honoraires, posologies,
dosages, calculs, courbes de température, analyses, effectifs, budget, déficit,
impôts, voilà le règne de la quantité. Notre médecine tient dans des chiffres.
A l’opposé, les médecines traditionnelles comme les
médecines douces alternatives privilégient le patient, qui pour une fois passe
avant les labos, et son mieux-être avant la rentabilité. Les grands anciens
privilégiaient le qualitatif. Notre monde dit moderne se caractérise par le nombre
de la population planétaire, très élevé, sans doute trop. Chacun y étouffe, y
perd sa culture et son identité. L’individu se noie dans la masse. Pour tenter
d’exister, il court après son heure de gloire avant de retrouver sa tranchée.
La solitude est plus effroyable au milieu de la foule. Des
milliards de solitaires écrasés par la loi du nombre. Et combien d’assoiffés
d’azur ?
« Nous venons de dire que l’individu se perd dans la masse ;
cette confusion dans la multiplicité quantitative correspond encore, par
inversion, à la fusion dans l’unité principielle. » L’auteur veut parler de
l’éveil, qu’il tient pour la seule quête digne de nous.
Dans la fusion cosmique de l’éveil « l’être possède toute la
plénitude de ses possibilités, le qualitatif y est porté à son suprême degré,
en même temps que toute séparation a disparu ; dans la quantité pure, au
contraire, la séparation est à son maximum. »
(source)
Le dernier ennemi du guerrier de lumière, c'est la
vieillesse. Si l'on ne peut pas la vaincre, du moins peut-on la retarder…La
fusion sans la confusion est le plus fabuleux état où l’être, dans ce monde de
matière, puisse accéder. C’est le sens de l’expression d’Eckhart, « fondu mais
non confondu ».
La fusion dans l’unité principielle, qui est selon Guénon le
but de toute destinée humaine, ne prive pas l’être de sa distinctivité. Fusion
n’est pas confusion. Certains auteurs, voire certains éveillés comme le
regretté Stephen Jourdain, ont éprouvé cette distinction capitale, sans
toutefois la comprendre vraiment.
L’éveil serait sans intérêt si l’être se confondait avec
l’unité. Jourdain en a conclu que l’éveil ne vaut rien sans l’ego. Faux ! Lui
aussi confondait l’ego et l’être, ce qui est dommage. L’Esprit est une
composante de l’être éternel que nous sommes. L’ego ne sert qu’à nous
construire dans ce plan de réalité. Quand il a fini son boulot, l’ego s’efface
devant l’Esprit, infiniment plus puissant. L’ego oeuvre dans la séparation,
l’Esprit oeuvre dans l’unification. Non, M. Jourdain, l’être n’est pas soluble
dans l’Esprit.
Mais là où vous êtes, vous l’avez forcément compris.
Source...