7. Quant à la Sagesse
relative au parfum qu’il a mentionné après les femmes, il s’agit des senteurs
de l’existenciation (126) qui se trouvent en elles, car, ainsi qu’on le dit
couramment, « le meilleur parfum est l’étreinte de la bien-aimée ».
(Le Prophète) fut créé serviteur
dès l’origine (127). Jamais il n’a levé la tête en vue de la seigneurie. Il n’a
cessé de demeurer prosterné, sans jamais quitter son état de réceptivité (128),
afin qu’Allâh existenciât à partir de lui ce qu’Il existencie. En effet, Il lui
a conféré une fonction active (129) dans le monde des Souffles (130) qui sont
les senteurs parfumées. C’est pour cela que le parfum lui a été rendu digne
d’amour et qu’il l’a mentionné après les femmes.
Il (s’est exprimé d’une façon
qui) respectait les degrés (131) qui appartiennent à Dieu selon Sa Parole :
Celui qui élève en degrés, Possesseur du Trône (132), du fait qu’Il y est assis
en majesté par Son Nom « Le Tout-Miséricordieux ». De là, nul être que le Trône
entoure qui ne soit atteint par la miséricorde divine ; c’est la Parole du
Très-Haut : Et Ma miséricorde s’étend à toute chose (133) ; en effet, le Trône
s’étend à toute chose et Celui qui y est assis en majesté est le
Tout-Miséricordieux. Par la réalité essentielle de ce Nom, la miséricorde est
répandue partout dans le monde, comme nous l’avons expliqué en plusieurs
endroits du présent livre (134) et des Futûhât al-Makkiyya (135).
126. Takwîn.
127. Du fait de sa disposition
naturelle (bi-l-‘isâlati).
128. Munfa’ilan ; littéralement
: de passivité.
129. Rutbatan fâ’iliyya ; la
qualificatif s’oppose au munfa’ilan de la phrase précédente. Jâmî rattache à
cette fonction le don des « Paroles Synthétiques » (Jawâmi’ al-Kalimi).
130. ‘Alam al-anfâs ; c’est le
monde où s’opère le renouvellement de la création à tout instant. Nâbulusî
l’identifie au monde du Commandement (‘âlam al-amr) ; cf. L’Esprit universel,
chap. XI.
131. Puisqu’il a mentionné les
femmes, qui symbolisent ici la servitude absolue de la Nature primordiale,
avant le parfum, c’est-à-dire les « senteurs de l’existenciation » qui
supposent la considération préalable du « pôle passif » de l’Existence
universelle.
132. Cor., 40, 15.
133. Cor., 7, 156.
134. Cf. supra, chap. 21.
135. Dans le texte : al-Futûh
al-Makkiyya.
8. Le Très –Haut a mentionné
le parfum au sujet de cette union sexuelle (136) pour attester l’innocence de
Aïcha en disant : Celles qui sont mauvaises à ceux qui sont mauvais et ceux qui
sont mauvais à celles qui sont mauvaises ; celles qui sont bonnes à ceux qui
sont bons (137) et ceux qui sont bons à celles qui sont bonnes ; ceux-ci sont
innocents de ce qu’ils disent) (138). Il a décrit leurs senteurs comme
parfumées car la parole est un souffle et celui-ci est l’essence (139) de
l’odeur qui sort (de la bouche), parfumée ou malodorante selon la forme (bonne
ou mauvaise) du discours tenu (140). En tant qu’elle est divine par sa source,
(la parole) est tout entière bonne ; en revanche, en tant qu’elle est louable
ou blâmable elle aura une bonne ou une mauvaise odeur. (Le Prophète) a dit au
sujet de la mauvaise odeur de l’ail : « C’est une plante dont je déteste
l’odeur » ; il n’a pas dit : « une plante que je déteste » car on ne déteste
pas l’essence (d’une chose), mais uniquement ce qu’elle manifeste. L’aversion
est suscitée, soit par (ce qui est contraire à) la manière d’agir convenable
(141), soit (142) par une incompatibilité de tempérament ou de but, soit par ce
qui n’est pas en harmonie avec la Loi sacrée, soit par ce qui est défectueux
par rapport à la perfection recherchée. Il n’y a pas à envisager d’autres cas
que ceux-là (143).
136. Al-iltihâm an-nikâhî ;
sous-entendu : symbolisant l’union de l’essence et de la substance
universelles.
137. Le développement qui suit
s’appuie sur une analogie linguistique entre les termes tîb (parfum) et tayyib
(composés des mêmes lettres et qui signifie à la fois « bon » et « de bonne
odeur »). Ce second terme est opposé dans ce verset à khabîth qui désigne ce
qui est mauvais ou de mauvaise odeur. Cette ambivalence ne doit pas être perdue
de vue pour la bonne compréhension de ce passage. La traduction privilégie l’un
ou l’autre sens suivant le contexte.
138. Cor., 24, 26. « De ce
qu’ils disent » : on comprend ici qu’il s’agit des hypocrites qui accusaient
Aïchâ.
139. Principielle et
indifférenciée tant que les deux phases de la respiration, dont procèdent les
dualités cosmiques et notamment le « bon » et le « mauvais », ne sont pas
distinguées.
140. Les accusations mensongères
des hypocrites sont « malodorantes », tandis que l’innocence de ceux qui sont
accusés à tort est « une senteur parfumée ».
141. Ou « habituelle » (‘urfan).
142. Aw ; cette particule, qui
nous paraît indispensable pour la compréhension du texte, ne figure pas dans la
version qui accompagne le commentaire de Jandî et n’a pas été adoptée par
Afîfî. En outre, il faut sous-entendre « ce qui est contraire » (à ce qui est
convenable, au but, au tempérament et à la Loi sacrée).
143. Tous les traducteurs
(Burckhardt, Austin, Bulent Rauf) comprennent le contraire, car ils ne donnent
pas à mâ sa valeur négative ; mais c’est un contresens certain.
9. Le Commandement (divin) se divisant (144)
en mauvais et en bon comme nous venons de l’établir (145), le parfum (146) lui
a été rendu digne d’amour à l’exclusion de la mauvaise odeur. (Le Prophète) a
dépeint des anges en disant qu’ils étaient incommodés par les exhalaisons
mauvaises qui émanent de cette constitution corporelle en putréfaction (147),
car l’homme a été créé d’une argile faite de boue fétide (148), c’est-à-dire
dont l’odeur s’altère ; les anges l’ont donc en aversion par nature (150).
De même, la nature particulière
du scarabée fait qu’il est incommodé par le parfum de la rose qui est pourtant
un des meilleurs qui soient ; malgré cela, la rose n’a pas une bonne odeur pour
le scarabée. Celui dont la nature est semblable mentalement (151) et
formellement est incommodé par la vérité lorsqu’il l’entend et se réjouit de ce
qui est mensonger ; c’est Sa Parole : Et ceux qui croient en ce qui est
mensonger et qui ne croient pas en Allâh… (152) ; Il les décrit comme allant à
leur perte en ajoutant : …ce seront eux les perdants ; qui ont perdu leurs
propres âmes (153). Celui qui ne sait pas distinguer la bonne odeur de la
mauvaise est dépourvu de toute perception (véritable).
Seul a été rendu digne d’amour
pour l’Envoyé d’Allâh – sur lui la Grâce et la Paix ! – le parfum qui émane de
toute chose ; et il n’y a que lui (154). Pour autant, peut-on imaginer qu’il y
ait dans le monde un être constitué de telle façon qu’il ne sentirait (155) que
le bien qui émane de toute chose et qu’il ignorerait le mal, ou bien cela
est-il inimaginable ? Nous disons : cela n’existe pas, car nous ne le trouvons
même pas dans le principe dont le monde est issu, et qui est Dieu. Nous
trouvons plutôt qu’Il déteste et qu’Il aime ; le mauvais étant uniquement ce
qui est détesté, et le bon uniquement ce qui est aimé (156). Or, le monde est à
l’image de Dieu ; et l’homme est à l’image de Dieu et du monde (157). Il
n’existe donc pas d’êtres constitués de telle façon qu’ils ne percevraient,
dans ce qui émane de toute chose, qu’une réalité unique (158) ; mais seulement
des êtres dont la constitution perçoit ce qui est bon et le distingue de ce qui
est mauvais pour le goût est bon pour ce qui est autre que le goût (159).
La perception (subtile) de ce
qui est bon (principiellement) dans ce qui est mauvais (pour le goût) préserve
de la sensation du mauvais. Un tel cas peut effectivement exister. En revanche,
il est impossible que le mauvais puisse être ôté du monde, c’est-à-dire de
l’univers (160).
La miséricorde d’Allâh est dans
ce qui est mauvais aussi bien que dans ce qui est bon. Ce qui est mauvais est
bon à ses propres yeux, tandis que ce qui est bon est mauvais (161). Il
n’existe aucune chose bonne qui ne soit mauvaise sous un aspect (ou sous un
autre) pour telle ou telle constitution (particulière), et inversement.
144. Cf. Marie en Islam, p.
64-65.
145. En commentant le verset
coranique cité dans le paragraphe précédent.
146. Ou « ce qui est bon ».
147. Il s’agit de la modalité
corporelle de l’état humain envisagé dans toute son extension.
148. Cor., 15, 26.
149. Sous-entendu : et devient
fétide du fait de la décomposition permanente des corps.
150. Bi-dh-dhât ; on peut
comprendre aussi bien « en vertu de leur nature (celle des anges) » ou « à
cause de sa nature (celle de l’homme) ». Ces deux sens sont complémentaires et
inséparables.
151. Ma’nan.
152. Cor., 29, 52.
153. Cor., 6, 12. Ce passage
coranique, qui se rapporte à « ceux qui ne croient pas », est juxtaposé au précédent.
154. C’est-à-dire : il n’y a
dans le monde (ou dans la Présence divine constitutive du monde) que le «
parfum omniprésent » inhérent à la Réalité actuelle d’al-wujûd ; cf. La Prière
sur le Prophète où Ibn Arabi parle de la réalité des choses « là où elles ne
pressentent pas encore le parfum de l’Etre (râ’ihat al-wujûd) ».
155. Yajidu, de la même racine
que wujûd.
156. Il faut sous-entendre : «
par Lui dans le réceptacle de Ses manifestations ». Du reste, Nâbulusî lit les
deux verbes à l’actif : « le mauvais étant uniquement ce qu’Il déteste, et le
bon uniquement ce qu’Il aime ». L’étonnement exprimé par Burckhardt (p.196, n.3
de l’édition 1955) nous paraît découler d’une interprétation contestable du
texte.
157. Littéralement : à l’image
des deux.
158. Al-amr al-wâhid ;
c’est-à-dire uniquement le bon ou uniquement le mauvais.
159. La science du « goût »,
dont l’exemple habituel est le « jusqu’à ce que Nous sachions » coranique, est
illustré plus haut (§3) par le « désir » que Dieu a de « rencontrer » Son
serviteur. Elle ne représente qu’un aspect de la Science divine lié à des conditions
particulières d’existence, de sorte qu’il demeure sans effet aussi bien sur
l’unité principielle de l’Etre divin que sur l’universalité de Sa miséricorde.
160. Car celui-ci comporte
nécessairement les dualités cosmiques qui affectent le goût et les cœurs en les
rendant bons ou mauvais.
161. Sous-entendu : aux yeux de
ce qui est mauvais et qui, de ce fait, a une perception inversée de la valeur
des choses.
10. Le troisième terme, au moyen duquel
l’incomparabilité est rendue parfaite, est la prière rituelle ; il a dit : «
…et la fraîcheur de mon œil a été placée dans la prière rituelle » parce
qu’elle est une contemplation (162) ; et cela parce qu’elle est un « entretien
» (163) entre Allâh et Son serviteur, conformément à Sa Parole : Mentionnez-Moi,
Je vous mentionnerai (164).
La prière est une œuvre
d’adoration « partagée entre Allâh et Son serviteur en deux moitiés : une
moitié appartient à Allâh et l’autre au serviteur », ainsi qu’il est dit dans
une notification (165) véridique énoncée directement par Allâh le Très-Haut
(166) : « J’ai partagé la prière rituelle entre Moi et Mon serviteur en deux
moitiés : une moitié M’appartient, l’autre appartient à Mon serviteur ; et à
Mon serviteur revient ce qu’il demande. Quand le serviteur dit : « Au Nom
d’Allâh le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux » (167), Allâh dit : «
Mon serviteur Me mentionne » ; quand le serviteur dit : « La louange est à
Allâh le Seigneur des mondes », Allâh dit : « Mon serviteur Me louange » ;
quand le serviteur dit : « Le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux »,
Allâh dit : « Mon serviteur fait Mon éloge » ; quand le serviteur dit : « le
Roi du Jour de la rétribution », Allâh dit : « Mon serviteur Me glorifie, il
s’en remet totalement à Moi. » » Cette moitié appartient dans sa totalité
exclusivement au Très-Haut. Ensuite le serviteur dit : « C’est Toi que nous
adorons et c’est Toi dont nous demandons l’aide » ; Allâh dit alors : « Ceci
est entre Moi et Mon serviteur et à Mon serviteur revient ce qu’il demande »,
introduisant dans ce verset une (certaine) association (168). Le serviteur dit
enfin : « Guide-nous sur la Voie Droite, la Voie de ceux sur qui Tu répands ta
Grâce, non de ceux qui sont l’objet de Ta Colère, ni les égarés » ; Allâh dit
alors : « (Ces paroles) appartiennent à Mon serviteur et à Mon serviteur
revient ce qu’il demande ». En effet, elles se rapportent exclusivement à Son
serviteur, tout comme les premières (169) se rapportaient exclusivement à Lui –
qu’Il soit exalté !
On peut comprendre par là la
nécessité de réciter (dans la prière rituelle) « Louange à Allâh le Seigneur
des mondes (etc.) » (170), car celui qui ne la récite pas, n’accomplit pas la
prière rituelle « partagée entre Allâh et Son serviteur ».
162. Qâchânî observe qu’il y a,
pour ce troisième terme, une certaine discontinuité du discours, puisqu’il
n’est pas simplement mentionné après les femmes et le parfum. L’ajout que
constitue « la fraîcheur de mon œil » marque l’excellence de la prière
rituelle. L’unité de l’ensemble est indiquée par Jâmî qui précise que « la
contemplation du bien-aimé (dans la prière) est une fraîcheur pour l’œil » (cf.
infra, §13, alinéa 2).
163. Munâjât, selon le terme
utilisé dans un hadîth.
164. Cor., 2, 152. On pourrait
traduire aussi : « Pratiquez Mon invocation (dhikr ; littéralement : Mon
souvenir) et Je me souviendrai de vous ». Rappelons, pour la bonne
compréhension du développement qui suit, que le terme dhikr peut signifier «
mention », « souvenir » et « invocation ».
165. Khabar.
166. Il s’agit, en effet, d’un
hadîth qudsî ; cf. La Niche des Lumières, le 31ème hadîth.
167. Ce verset et les suivants
sont ceux de la Fâtiha dont la récitation est obligatoire dans l’accomplissement
de la prière.
168. Ishtirâk.
169. Al-ûlâ ; cette lecture, que
l’on trouve dans Jandî, Nâbulusî et Jâmî nous paraît préférable à al-awwal.
170. C’est-à-dire la Fâtiha, du
premier verset jusqu’au dernier.
11. Etant un entretien, (la prière rituelle)
est un dhikr (171). Celui qui mentionne Dieu demeure dans Sa compagnie et Dieu
demeure dans la sienne car, selon une tradition véridique d’origine divine
(172), la Très-Haut a dit : « Je demeure dans la compagnie de celui qui Me
mentionne (173) ». Or, qui demeure dans
la compagnie de Celui qu’il mentionne tout en étant doué de regard, voit son
Compagnon (174) ; cet état (175) comporte à la fois contemplation et vision. En
revanche, celui qui n’est pas doué de regard ne Le voit pas. Par là, celui qui
accomplit la prière connaît son propre degré : voit-il Dieu au moyen d’une
telle vision quand il accomplit la prière, ou ne Le voit-il pas ? S’il ne Le
voit pas, qu’il L’adore avec Foi « comme s’il Le voyait » (176), qu’il
L’imagine dans qibla (177) au cours de son entretien et qu’il prête l’oreille à
ce que Dieu lui répond.
S’il est l’imâm du « monde qui
lui est propre » (178) ainsi que des anges qui accomplissent la prière avec lui
– car tout qui accomplit la prière est imâm sans aucun doute puisque les anges
prient derrière le serviteur qui prie seul, ainsi que l’atteste une donnée
traditionnelle (179) – il obtient le degré des envoyés dans la prière, qui est
celui des représentants d’Allâh. Lorsqu’il dit : « Allâh entend celui qui Le
loue » (180), il fait savoir à lui-même et ceux qui sont derrière lui qu’Allâh
l’entend ; les anges et ceux qui sont présents disent alors : « Notre Seigneur
! Et à Toi la louange ! » car c’est Allâh qui a dit par la bouche de Son serviteur
: « Allâh entend celui qui Le loue ». Considère l’élévation du rang de la
prière rituelle, et à quel sommet elle mène celui qui l’accomplit !
Celui qui n’atteint pas le degré
de la vision dans la prière n’atteint pas son but suprême et n’y trouve pas la
« fraîcheur de l’œil », car il ne voit pas Celui avec qui il s’entretient ; et
s’il n’entend pas ce que Dieu lui répond pendant qu’il l’accomplit, il n’est
pas d’entre ceux qui « prêtent l’oreille » (181). Celui qui, dans la prière,
n’est pas présent avec son Seigneur, car il n’est en état ni de Le voir ni de
L’entendre (182), ne l’accomplit pas vraiment et n’est pas de ceux (dont il est
dit dans le Coran) : « il prête l’oreille alors qu’il est témoin ».
Aucune œuvre d’adoration
n’empêche de vaquer à autre chose durant le temps de son accomplissement comme
le fait la prière rituelle. En elle, le dhikr d’Allâh est plus grand que ce
qu’elle contient (183), c’est-à-dire l’ensemble des paroles et des actes qui en
font partie – nous avons décrit dans le Futûhât al-Makkiyya comment l’homme
accomplit la prière de manière parfaite – car Allâh le Très-Haut a dit : La
prière met fin à la turpitude et à ce qui est réprouvé… du fait qu’il est
préscrit à l’orant de ne s’occuper de rien d’autre qu’elle (184) durant le
temps où il l’accomplit et où il est considéré (légalement) comme tel (185)
…mais en vérité le dhikr d’Allâh est plus grand…, c’est-à-dire en elle ;
autrement dit : la « mention » (186) qu’Allâh fait de Son serviteur lorsu’Il
répond à sa demande et l’éloge qu’Il lui adresse (187) sont « plus grands » que
la mention que le serviteur fait de son Seigneur quand il l’accomplit (188),
car la Grandeur (189) appartient à Allâh le Très-Haut. C’est pour cela qu’Il a
ajouté …et Allâh sait ce que vous accomplissez (190) ; et Il a dit aussi …ou
qui prête l’oreille alors qu’il est témoin (191), car ce à quoi il doit prêter
l’oreille est la mention qu’Allâh fait de lui dans la prière.
171. Cf. supra, note 164.
172. C’est-à-dire un hadîth
qudsî.
173. Ou « de celui qui pratique
Mon invocation ».
174. C’est-à-dire Allâh, puisque
la phrase reprend les termes du hadîth qudsî.
175. Hâdhi-hi ; on peut
comprendre aussi qu’il s’agit de la prière.
176. Référence au hadîth sur
l’ihsân ; cf. supra, p. 605.
177. C’est-à-dire son
orientation rituelle.
178. Li-‘âlami-hi-l-khâss bi-hi
; c’est-à-dire les membres de son corps ainsi que les êtres qui lui sont
proches.
179. Cf. Bukhârî, IX, 16.
180. Lorsque l’orant prononce
cette formule en se dressant après l’inclination ; cf. Les sept Etendards, p.
125-126.
181. Allusion à Cor., 50, 37 :
En vérité il y a en cela un Rappel (dhikrâ) pour celui qui est doué d’un cœur,
ou qui prête l’oreille alors qu’il est témoin.
182. Ma’a kawni-hi lam yasma’ wa
lam yara. Bâlî et Nâbulusî comprennent : « et qui, en outre, ne Le
voit ni ne L’entend ».
183. Allusion à Cor., 29, 45
dont est extraite la citation qui suit.
184. Littéralement « que de
cette œuvre d’adoration », par référence à la formulation du début de l’alinéa.
185. C’est-à-dire comme un orant
accomplissant le rite de la prière.
186. Dhikr ; cf. supra, note
164.
187. Dans les réponses qu’Il lui
fait quand il récite la Fâtiha ; cf. §10, alinéa 2.
188. Littéralement : que le
serviteur fait de son Seigneur en elle.
189. Al-kibriyâ’ ; allusion à
Cor., 45, 37.
190. Puisqu’Il l’accomplit
Lui-même.
191. Deuxième citation de Cor.,
50, 37.
12. Fait partie de ceci (192) (l’enseignement
suivant) : comme la réalité actuelle (193) procède d’un mouvement intelligible
(194) qui fait passer le monde de la non-manifestation à l’existence, la prière
rituelle réunit toutes les tendances qui se ramènent à trois mouvements
(fondamentaux) : un mouvement ascendant (195) qui correspond au moment où celui
qui accomplit la prière se tient debout, un mouvement horizontal qui correspond
au moment où il s’incline, et un mouvement descendant (196) qui correspond au
moment de la prosternation.
La tendance fondamentale de
l’homme est ascendante ; celle de l’animal, horizontale ; celles du végétal,
descendante (197). Quant au minéral, il est dépourvu de tendance propre : une
pierre ne peut être mise en mouvement que par « un autre qu’elle-même ».
192. On comprend généralement :
« fait partie des secrets de la prière » ; selon Nâbulusî, il s’agit plutôt du
dhikr qu’Allâh accomplit dans la prière.
193. Wujûd.
194. Ma’qûla ; c’est-à-dire :
purement conceptuel, n’introduisant aucune séparation véritable entre la
Réalité principielle qui est celle d’Allâh et la réalité actuelle.
195. Mustaqîma ; littéralement :
« dressée ».
196. Littéralement : inversé.
197. Du fait qu’il plonge ses
racines dans la terre pour se nourrir.
13. Il a dit : « …et la fraîcheur de mon œil a
été placée dans la prière ». Il s’est exprimé de façon à ne pas attribuer cet
effet à lui-même cat la théophanie que Dieu destine à celui qui accomplit la
prière rituelle revient uniquement au Très-Haut, non à celui qui l’accomplit.
S’il n’avait pas mentionné cette vertu (198) en lui (199), Dieu lui aurait
ordonné d’accomplir la prière sans qu’Il se dévoile théophaniquement à lui !
(200) Comme cette théophanie (201) vient de Sa Part comme un pur don, la
contemplation (correspondante) est (également) un pur don ; c’est pourquoi il a
dit : « la fraîcheur de mon œil a été placée dans la prière ».
Il s’agit uniquement de la
contemplation de l’Aimé par laquelle l’œil de l’amant est « rafraîchi », car la
racine verbale de ce terme comporte les idées de « stabilité » et de « repos »
(202) : l’œil se repose à Sa vue et ne voit « avec Lui » (203) rien d’autre que
Lui, dans ce qui est (encore) une chose ou dans ce qui n’est plus une (204).
C’est pour cela qu’il est défendu de se détourner quand on accomplit la prière,
car c’est là une chose que « le Démon dérobe de la prière du serviteur » (205),
l’empêchant (ainsi) de contempler son Aimé ; ou plutôt, s’Il était (vraiment)
l’Aimé de celui qui se détourne, ce dernier ne tournerait pas son visage
ailleurs que vers la qibla dans sa prière.
L’homme connaît son état
intérieur ; il sait si cette excellence (206) est ou non la sienne dans cette
œuvre d’adoration particulière : l’homme est clairvoyant à son propre sujet,
même s’il avance (pour les autres) des excuses (207). S’agissant de lui-même,
il sait quand il ment et quand il est sincère. Nul (208) n’ignore son propre
état, car il en a une connaissance directe.
198. C’est-à-dire la fraîcheur
de l’œil dans la prière.
199. Il s’agit du Prophète – sur
lui la Grâce et la Paix !
200. Sous-entendu : ce qui est
inconcevable, puisque la vision de Dieu était le but recherché.
201. Pour Jâmî, il s’agit plutôt
de la mention divine de cette théophanie.
202. Cette longue périphrase
(car la racine verbale, etc.) traduite les mots min al-istiqrâr ; littéralement
: (venant) du repos (absence de mouvement).
203. C’est-à-dire dans les
modifications incessantes au moyen desquelles l’Essence Se manifeste.
204. Précision rendue nécessaire
par l’emploi du terme « chose » au début de la phrase : « et ne voit avec Lui
autre chose que Lui ». En effet, la vision d’une « chose » ne correspond pas à
la Réalisation suprême (cf. Le livre de l’enseignement par les Formules
indicatives, le chapitre sur la Vision). Il s’agit, dans ce second cas, des «
théophanies essentielles » (Jâmî) qui ne s’accompagnent « ni d’un besoin ni
d’un but » (Nâbulusî).
205. Selon les termes d’un
hadîth rapporté par Aïcha et cité par Bukhârî.
206. Mathâba ; littéralement :
cette modalité (qui vient d’être décrite).
207. Cor., 75, 14-15.
208. Littéralement : « aucune
chose » d’une façon générale.
14. (L’œuvre) que l’on appelle prière rituelle
comporte une autre division. En effet, le Très-Haut nous a ordonné d’accomplir
la prière tout en nous faisant savoir que c’est Lui qui l’accomplissait sur
nous (209). Il y a donc une prière qui procède de nous et une prière qui
procède de Lui. (210)
Lorsque c’est Lui qui prie, Il
le fait uniquement par son nom « le Dernier », car Il vient alors « après » la
réalité actuelle du serviteur (21) ; il s’agit, en effet, essentiellement du
Dieu (212) que le serviteur crée dans son cœur au moyen de sa spéculation
rationnelle ou de sa conviction dogmatique, et qui est la « Divinité »
envisagée dans les professions de foi. Elle se diversifie selon la capacité de
la prédisposition propre à chaque réceptacle. On interrogea Junayd sur la
connaissance d’Allâh et sur le Connaissant ; il répondit : « La couleur de l’eau
est la couleur de son récipient ». C’était là une réponse parfaitement adéquate
(213), qui exprimait la réalité telle qu’elle est. Cela, c’est Allâh lorsqu’Il
« prie sur nous ».
Lorsque c’est nous qui prions,
c’est à nous que revient le Nom « le Dernier » ; nous sommes (alors) en lui
(214) d’une manière analogue à celle que nous avons mentionné au sujet de Celui
à qui ce Nom appartient (fondamentalement) (215) : nous sommes auprès de Lui
selon la capacité de notre état, et Il nous regarde (216) uniquement dans la
forme dans laquelle nous L’abordons. Le musallî est celui qui vient
(immédiatement) après celui qui est devant dans une course de chevaux (217) ;
or, Il a dit : Chacun connaît bien sa prière et sa louange (218), c’est-à-dire
son rang dans le fait qu’il « vient après » dans cet acte d’adoration de son
Seigneur (qu’est la prière) et dans (219) sa capacité à célébrer Sa
transcendance selon ce que sa prédisposition lui confère.
Il a dit aussi : Il n’y a aucune
chose qui ne célèbre la transcendance par la Louange… de son Seigneur, …Celui
qui ne se hâte pas de punir, Celui qui pardonne totalement (220). C’est pour
cela (221) que le tasbîh (222) du monde « ne peut être compris » en mode
distinctif, être par être. Toutefois, il y a ici (223) un degré (224) selon
lequel, dans le verset : et il n’y a aucune chose qui ne célèbre Sa
transcendance par Sa louange (225), le pronom de rappel se rapporte au
serviteur (226) qui la célèbre dans ce degré (227) : le pronom, dans (les mots)
« par Sa Louange », se rapporte à la chose, c’est-à-dire à l’éloge qu’elle
comporte.
De même (228), nous avons dit
que celui qui professe une foi dogmatique qu’il a fait l’éloge uniquement de la
Divinité incluse dans sa profession de foi, et qu’il se rattache
(exclusivement) à elle. Les œuvres qu’il accomplit lui (229) reviennent, et il
ne fait l’éloge que de lui-même. En effet, louer une œuvre c’est, sans aucun
doute, louer son auteur ; qu’elle soit belle ou qu’elle ne le soit pas, c’est
son auteur que cela concerne ! Or, la Divinité de celui qui professe une
croyance est son œuvre, destinée à celui qui la considère (230). L’éloge qu’il
adresse à ce qu’il professe est un éloge qu’il adresse à lui-même. C’est
d’ailleurs pourquoi il blâme ce que professent les autres, ce qu’il ne ferait
pas s’il était équitable.
Celui qui se limite à cet objet
d’adoration particulier se montre ignorant en cela sans nul doute, du fait même
qu’il s’oppose aux autres dans leurs convictions dogmatiques au sujet d’Allâh ;
car s’il connaissait (le sens de) la parole de Junayd : « la couleur de l‘eau
et celle de son récipient », il laisserait à chacun sa propre croyance ; il
connaîtrait Allâh en toute forme et en toute profession de foi. (Tel qu’il
est), il n’a qu’une opinion, non une science (véritable) ; c’est pour cela que
(Dieu) a dit (231) : « Je suis auprès de l’opinion que Mon serviteur a de Moi »
; Je ne me manifeste à lui que dans la forme de sa croyance : s’il (le veut),
en mode absolu ; et s’il (le) veut, en mode conditionné.
La Divinité des convictions
dogmatiques est prisonnière des limitations ; c’est la Divinité que contient le
cœur de Son serviteur (232). La Divinité absolue, rien ne peut La contenir car
Elle est l’essence des choses et l’essence d’Elle-même ; on ne peut dire qu’une
chose, ni qu’elle se contient elle-même, ni qu’elle ne se contient pas.
Comprends donc !
Et Allâh dit le Vrai (233), et
c’est Lui qui guide dans la Voie.
209. Allusion à Cor., 33,43 :
C’est Lui qui accomplit la prière sur vous, et Ses anges, pour vous faire
sortir des ténèbres vers la lumière.
210. Littéralement : la prière
est donc à partir de nous et à partir de Lui. Notre traduction se justifie par
la notion de division évoquée au début du paragraphe.
211. Et non « avant », comme
c’est le cas lorsqu’on considère que cette réalité actuelle a pour principe la
Réalité éternelle de Dieu. Le terme musallî désigne, non seulement « celui qui
accomplit la prière rituelle », mais aussi le cheval qui suit immédiatement le
premier dans une course hippique.
212. ‘Ayn al-Haqq.
213. Sâdd.
214. C’est-à-dire : dans la
Station initiatique correspondant à ce Nom.
215. Sous-entendu : en précisant
qu’il s’agit du « Dieu créé ».
216. C’est-à-dire : Il Se
manifeste théophaniquement à nous.
217. Halba ; ce terme désigne un
groupe de chevaux dans une course hippique.
218. Salâtu-hu wa tasbîha-hu ;
cf. Cor., 24,41.
219. Nous suivons
l’interprétation de Bâlî poue qui la notion de rang s’applique aux deux termes
mentionnés dans le verset.
220. Cf. Cor., 17, 44. La
traduction complète de cette partie du verset est la suivante : Il n’y a aucune
chose qui ne célèbre la transcendance par Sa Louange, mais vous ne comprenez
pas leur célébration ; Il est, en vérité, (un Etre) qui ne se hâte pas de punir,
qui pardonne totalement.
221. C’est-à-dire du fait de
cette universalité.
222. C’est-à-dire : cette
célébration.
223. C’est-à-dire à la Station initiatique du
tasbîh (Bâlî) ; ou bien dans la réalité actuelle de toute chose (Qâchânî).
224. Martaba. Ce degré est celui
où la prière du serviteur apparaît elle-même comme la Prière d’Allâh qui est
l’unique Réalité et, par conséquent, l’unique Louange.
225. Bi-hamdi-hi. Ibn Arabi
s’écarte ici de l’interprétation habituelle, et à laquelle il s’est référé tout
d’abord, suivant laquelle le pronom de rappel « -hi » se rapporte au Seigneur.
Néanmoins, les majuscules ont été maintenues dans la traduction, car le
serviteur est considéré à ce degré comme une théophanie. Selon la doctrine de
la wahdat al-wujûd, Dieu est, à la fois, le « Seigneur » et le « serviteur ».
226. Le terme s’applique ici à
toute chose, autrement dit à la manifestation toute entière.
227. Les commentateurs sont
unanimes à considérer que fî-hâ se rapporte à martaba.
228. C’est-à-dire : comme le
Très-Haut Se manifeste théophaniquement dans tous les réceptacles particuliers,
Il est « auprès » de chacune des professions de foi « façonnées » par les
créatures.
229. A celui qui professe une
foi dogmatique, ou à la Divinité qu’il professe.
230. C’est-à-dire : à lui-même
qui l’a façonné, et à ceux dont la conviction est semblable à la sienne.
231. Dans un hadîth qudsî ; cf.
La Niche des Lumières ; le 13ème hadîth.
232. Cf. supra, chap. 12.
233. Par la bouche de Son
serviteur.
Charles-André Gilis, « Le Livre
des Chatons des Sagesses – Tome 2″, p. 700-723