1. Sa sagesse
est incomparable (1) car il est le plus parfait des êtres existenciés au sein
du genre humain. C’est pour cela que celui-ci a été commencé et scellé par lui
: il était prophète « alors qu’Adam était entre l’eau et l’argile » (2) ; puis,
du point de vue de sa constitution corporelle (3), il est devenu le Sceau des
prophètes.
Le premier fard est trois ; les nombres qui suivent cette
primordialité dans l’ordre des fard en procèdent (4).
1. Fardiyya. Le sens
d’incomparabilité prévaut sur celui de singularité généralement adopté par les
traducteurs occidentaux. Cette notion s’applique aussi à un élément solitaire
par rapport à un ensemble, comme une étoile ou une pierre précieuse d’un éclat
exceptionnel. La tentation était donc grande de traduire par « Sagesse du
solitaire », conformément au symbolisme des joyaux sur lequel repose les Fusûs.
Ce sens symbolique eût d’autant mieux convenu que le solitaire est un diamant,
et que l’on peut dire de la lumière du Prophète – sur lui la Grâce et la Paix !
– qu’elle est à la lumière des autres prophètes ce que l’éclat du diamant est à
celui des pierres précieuses. Toutefois, ce sens particulier n’est pas attesté
pour le terme fard, de sorte que cette traduction a été écartée.
2. Selon les termes d’un hadîth. La perfection muhammadienne
est envisagée d’emblée dans une perspective cyclique, mais la fonction axiale
du « Maître des trois mondes » est également suggérée : la perfection
mentionnée tout d’abord correspond à l’essence spirituelle et métaphysique ; le
hadîth cité ensuite évoque l’excellence « intérieure » de Muhammad au sein du
genre humain, et la qualité de « Sceau des prophètes » son excellence «
extérieure ».
3. Littéralement : « élémentaire », formé à partir des
éléments constitutifs de sa modalité corporelle.
4. Selon les philosophes (hukamâ ; cf. Futûhât, chap. 379,
la section sur ‘abd al-Fard), les nombres fard sont les nombres impairs à
partir de 3. Telle n’est pas la doctrine d’Ibn Arabî, pour qui tout nombre est
fard lorsqu’il représente l’incomparabilité divine par rapport à un ensemble
numérique donné ; par exemple, pour un ensemble de trois unités, Allâh n’est
pas « le troisième de trois » mais le quatrième, car Il est avec vous où que
vous soyez (Cor.,57 ,4).
2. Il est la preuve
la plus parfaite de son Seigneur car les Paroles Synthétiques lui furent
données (5), qui sont les « nommés » correspondant aux « noms » qu’avait reçu
Adam (6). Il ressemble à la preuve (logique), qui comporte (aussi) la triade
(7). La preuve est une preuve par elle-même (8).
Sa réalité essentielle lui conférait par la triplicité de sa
constitution (9) la qualité de « fard primordial » ; c’est pour cela qu’il a
dit à propos de l’Amour qui est le principe des êtres existenciés (10) : «
M’ont été rendues dignes d’amour trois choses appartenant à votre (11)
bas-monde… » (il a dit « trois ») du fait de la triade présente en lui (12) ;
puis il a mentionné les femmes, le parfum et le fait que la « fraîcheur de son
œil » avait été placée dans la prière rituelle.
Il a commencé par la mention des femmes et terminé par la
prière, et cela parce que la femme est une partie de l’homme (13) par l’origine
de la manifestation de son être. Or, la connaissance que l’homme a de lui-même
précède la connaissance qu’il a de son Seigneur, car celle-ci est une
conséquence de la première ; c’est pourquoi il a dit aussi –sur lui la Paix ! –
: « Celui qui se connaît soi-même connaît son Seigneur ». Tu peux comprendre
cette parole (14) soit dans le sens que cette connaissance est impossible et
que (l’homme) est incapable d’y parvenir – car ce sens est permis – soit comme
une confirmation de la (possibilité de) cette connaissance. Selon la première
interprétation, tu sais que tu ne connais pas ton âme de sorte que tu ne peux
connaître ton Seigneur ; selon la seconde, tu la connais, et tu connais par
conséquent ton Seigneur.
Muhammad – qu’Allâh répande sur lui Sa grâce unitive et Sa
Paix ! – est la preuve la plus évidente de son Seigneur car toute partie du
monde est une preuve du principe dont elle procède et qui est son Seigneur.
Comprends donc !
5. Suivant les termes d’un hadîth.
6. Muhammad est la preuve la plus parfaite de son Seigneur
parce qu’il réunit la totalité des Paroles, c’est-à-dire, comme Ibn Arabî le
précise dans le dernier alinéa, toutes les parties du monde qui procèdent des
Paroles divines. L’Homme Universel qui synthétise l’ensemble de la
manifestation est le symbole le plus parfait de son Seigneur, car « la réalité
actuelle du monde est selon la Forme de Dieu » (cf. Les sept Etendard, p.20).
7. Allusion au syllogisme qui comporte la triade à la fois
dans sa structure (deux prémisses suivi d’une conclusion) et dans ses éléments
(le grand terme, le petit terme et le moyen terme commun aux deux prémisses).
8. D’une façon générale : ad-dalîl dalîl li-nafsi-hi. Mais
on peut comprendre aussi qu’elle « inhérente à lui-même » car le Prophète est,
par sa propre essence, le symbole de Dieu par excellence ; ou « indicative de
Lui-même » car l’Homme Universel n’est autre que le nafsa-Hu d’Allâh,
c’est-à-dire l’Ipséité de Son Essence (cf. Ibid., p.30).
9. Il s’agit de la perfection et de l’universalité de son
être total, du triple point de vue principiel, spirituel et individuel ; ou
encore, sous le rapport de sa constitution manifestée, de son esprit, de son
âme et de son corps.
10. Selon le hadîth qudsî : « J’étais un Trésor caché et
J’aimai à être connu » ; cet Amour principiel se reflète dans la constitution
du Prophète à qui trois choses furent « rendues dignes d’amour ».
11. Par l’emploi de ce pronom, le Prophète marque clairement
qu’il manifeste en ce monde, en vertu de la perfection totale de son être, ce
qui, par son essence, n’appartient pas à ce monde.
12. C’est-à-dire dans sa constitution ou dans son existence.
13. Ce point sera développé dans le §3.
14. Khabar ; littéralement : « cette donnée (traditionnelle)
».
3. Les femmes lui furent rendues dignes d’amour (15). Il éprouvait pour elles l’attirance que le tout éprouve pour sa partie (16). Par là, il dévoila la réalité métaphysique véritable (17) exprimée dans Sa Parole sur la constitution corporelle de l’homme : « Et J’insufflai en lui (18) de Mon Esprit » (19), suivie (de cette autre) (20) où Il se décrit comme animé du désir ardent de le (21) rencontrer ; Il a dit, en effet, au sujet de ceux qui Le désirent ardemment (22) : « O Dâwûd, Mon désir de les rencontrer est plus intense encore ! »
Il s’agit là d’une rencontre particulière (liée à la mort du
serviteur) car (le Prophète) a dit dans le hadîth sur l’Antéchrist (23) : « Nul
d’entre vous ne verra son Seigneur avant qu’il ne meure ». Comment n’y
aurait-il pas un désir ardent de celui qui possède cette qualification ! (24)
Dieu désire ces Rapprochés en dépit du fait que Lui les voit ; ce qu’Il
souhaite, c’est qu’ils Le voient (également) alors que leur condition
(terrestre) les en empêche. (Ce hadîth qudsî) est semblable à Sa parole : «
Jusqu’à ce que nous sachions » (26) en dépit du fait qu’Il possède la Science !
(Le Très-Haut) désire ardemment cette qualification particulière (27) qui ne
peut être actualisée qu’au moment de la mort.
15. La division de ce chapitre en paragraphes est difficile
car les divers sujets abordés sont constamment mêlés les uns aux autres.
Le long développement sur les femmes, annoncé dès le §2,
s’étend du §3 au §6. Le §3, qui pourrait apparaître comme une simple incidente,
indique en réalité l’aspect principiel qui commande l’ensemble, à savoir que,
dans l’Homme Parfait, Dieu n’aime véritablement que Lui-même. Le §4 énonce
l’analogie fondamentale sur laquelle repose cet ensemble, à savoir que la femme
est à l’Homme ce que l’Homme est à Dieu. Le symbole par excellence de cette
doctrine est la figure du Triangle de l’Androgyne telle qu’elle a été transmise
à Michel Vâlsan par René Guénon (cf. Les sept Etendards, chap. XXIV ; Le
Symbolisme de la Croix, chap. III, n. 4 et La Grande Triade, chap. IV). Le §5
reprend la même doctrine selon une perspective cosmologique dont le caractère
est indiqué par l’introduction d’une notion nouvelle, celle de « Nature
primordiale » qui s’accompagne de l’idée d’un « retardement », c’est-à-dire
d’une discontinuité apparente entre le Principe et Sa manifestation ; d’où la
nécessité d’un « Mariage divin » que l’union sexuelle reflète et symbolise dans
le domaine de la manifestation corporelle. Enfin, le §6 annonce le
développement sur le parfum en mettant en relief la fonction du « terme
intermédiaire » qui est seul à être du genre masculin puisqu’il est « inséré
entre deux féminins ».
16. Ceci est illustré par le fait qu’Eve fut tirée d’Adam.
17. Littéralement : « ce qu’est la Réalité (amr) en
elle-même du côté de Dieu ».
18. C’est-à-dire en Adam.
19. Cor., 15, 29 ; 38,72.
20. Relatée dans un hadîth qudsî.
21. C’est-à-dire l’homme.
22. Littéralement (par référence aux termes du hadîth) : «
au sujet de ceux qui désirent ardemment, c’est-à-dire qui Le désirent ardemment
».
23. Cf. Muslim, 52, 95.
24. Li-man hâdhi-hi sifatu-Hu ou sifatu-hu. Nous suivons
l’interprétation de Jâmî qui comprend : « Comment Dieu n’aurait-il pas le désir
ardent de rencontrer celui qui aura cette vision après sa mort ! » ; mais on
peut comprendre aussi que le désir ardent appartient nécessairement à Dieu, ou
encore à ceux qui Le désirent, du fait que cette qualification leur est
expressément attribuée dans le hadîth qudsî.
25. Al-muqarrabîna. L’emploi de ce terme, qui s’applique
plus particulièrement à ceux qui ont réalisé l’ « Identité Suprême », indique
qu’il s’agit ici de la mort initiatique.
26. Cor.,47, 31 ; cf. supra, p.78. L’analogie évoquée est la
suivante : de même que la Science éternelle de Dieu ne l’empêche pas de
rechercher la Science particulière du « Jusqu’à ce que Nous sachions », de même
la Vision éternelle qu’Il a de Ses créatures ne L’empêche pas rechercher la
Vision particulière qu’Il acquiert au moment de leur mort. Cette Science et
cette Vision particulières ne peuvent être obtenues par Lui que dans la forme
de Son serviteur. La Réalité, la Science et la Vision actuelles sont les manifestations
contingentes de la Réalité, de la Science et de la Vision éternelles de Dieu.
27. Khâssa ; ce terme comporte ici une nuance d’ « élection
», puisque la qualification dont il s’agit n’est autre que la Vision directe.
C’est par elle (28) qu’Il apaise (29) l’ardent désir qu’ils ont de Lui ; ainsi qu’Il l’a dit dans le « hadîth de l’hésitation » qui relève du même enseignement (30) : « En aucune chose que J’accomplis, Mon hésitation n’est comparable à celle que J’éprouve à reprendre le souffle de Mon serviteur croyant qui déteste la mort ; Je déteste lui faire du mal, mais il faut nécessairement qu’il Me rencontre. » (31) (En s’exprimant ainsi), Il lui annonce une bonne nouvelle ; Il ne lui dit pas : « il faut nécessairement qu’il meure », pour ne pas l’attrister par la mention de la mort. Toutefois, comme Dieu ne peut être rencontré qu’après la mort conformément à ce qu’a dit (le Prophète) – sur lui la Paix ! – : « Nul d’entre vous ne verra son Seigneur avant qu’il ne meure », le Très-Haut a dit : « il faut nécessairement qu’il Me rencontre ». Le « désir ardent » de Dieu est motivé par l’existence de cette relation (particulière) (32) :
L’aimé désire ardemment Me voir
et Mon désir de lui est plus intense encore.
Les cœurs (33) battent d’un désir que le Décret divin
contrarie.
Je me plains en gémissant ; il se plaint en gémissant.
(Dieu) ayant déclaré qu’Il avait « insufflé en lui de Son
Esprit », Il n’a de désir ardent qu’à l’égard de Lui-même. Ne vois-tu pas qu’Il
l’a créé selon Sa Forme parce qu’il est issu de Son Esprit ?
Comme la constitution humaine est composée de ces quatre
éléments que l’on appelle « humeurs » en tant qu’ils sont présents dans le
corps de l’homme, Son insufflation produit une incandescence au contact de
l’humidité que ce corps renferme ; cette constitution fait apparaître (alors)
l’esprit de l’homme comme un feu (34). C’est pour cela qu’Allâh a prlé à Mûsâ
sous la forme du feu et qu’Il en a fait l’objet de son besoin (35). Si la
constitution de l’homme avait relevé (directement) de la Nature primordiale
(36), son esprit aurait été lumière.
Dieu a utilisé à ce sujet l’image de l’insufflation pour
indiquer que (l’esprit) (37) procède du Souffle du tout-Miséricordieux. C’est
par son Souffle (principiel) constitutif de l’insufflation que son essence
propre (38) est manifestée : et c’est par la prédisposition du réceptacle où
cette insufflation se produit que l’incandescence y apparaît comme « feu » et
non comme « lumière ». Le Souffle divin s’intériorise ainsi dans ce qui fait
que l’homme est un homme. (39)
28. C’est-à-dire par cette qualification.
29. Yabullu ; littéralement : qu’il mouille. C’est à tort
que Burckhardt a lu yablû (traduit par « il met à l’épreuve »).
30. C’est-à-dire celui qui se rapporte au désir ardent qu’a
Dieu de rencontrer Son serviteur.
31. Bukhârî, 81, 38.
32. Nisba ; c’est-à-dire la rencontre conditionnée par la
mort.
33. Littéralement : les âmes.
34. Envisagée de cette façon, l’esprit correspond au jivâtmâ
(« l’âme vivante ») de l’Hindouisme. Rappelons que, selon cette tradition,
cette « condition d’Atmâ » est considérée symboliquement comme « ignée » ; cf.
René Guénon, L’homme et son devenir, chap. XIII).
35. Cf. supra, chap. 25, le dernier §.
36. C’est-à-dire, selon la terminologie guénonienne, se
cette constitution avait appartenu au domaine de la manifestation informelle.
37. Selon Nâbulusî, il s’agit plutôt de l’homme (insân),
mais cette interprétation est moins précise. Le terme français « esprit »
évoque le souffle et la respiration par son étymologie même.
38. Celle de l’homme ou celle de l’esprit.
39. C’est-à-dire dans constitution individuelle sous sa
modalité corporelle.
4. Ensuite (40),
(Dieu) a tiré de lui, et pour lui, quelqu’un qu’Il a appelé « femme ». Elle a
paru selon la forme de l’homme qui éprouva alors pour elle la vive attirance qu’une
chose a pour elle-même (41) ; de son côté, elle éprouva pour lui l’attirance
qu’une chose éprouve pour son pays natale.
Les femmes « lui furent rendues dignes d’amour » car Allâh
aime celui qu’Il a créé selon Sa Forme et devant qui Il a fait se prosterner
les anges de lumière, en dépit de l’immensité de leur puissance et de leur
degré, de l’éminence de leur constitution tirée de la Nature primordiale ;
c’est de là que vient cette affinité (42).
La forme constitue l’affinité la plus grande, la plus éclatante
et la plus parfaite ; elle est le « conjoint » (43) qui rend double la Réalité
actuelle de Dieu, de la même manière que la femme dédouble l’homme par son
existence et le fait apparaître comme « époux ».
Une nouvelle triade apparaît ainsi, composée de Dieu, de
l’homme et de la femme. L’homme éprouve pour son Seigneur, qui est son
principe, l’attirance que la femme éprouve pour lui. Son Seigneur lui a rendu
les femmes « dignes d’amour » de la même manière qu’Allâh aime celui qui est
selon Sa Forme. (L’homme) n’aime donc qu’une être (44) existencié à partir de
lui, mais son amour appartient à Celui à partir duquel il a été existencié
(lui-même), et qui est Dieu. C’est pour cela qu’il a dit : « m’ont été rendues
dignes d’amour », et non « je (les) ai aimées » (comme si cet amour était venu)
de lui-même, car son amour dépendait de (45) son Seigneur ; il était « selon Sa
Forme » jusque dans l’amour qu’il portait à sa femme : il l’aimait de l’amour
qu’Allâh avait pour lui, et revêtait ainsi un caractère divin.
Comme l’homme aime la femme, il cherche à s’unir (à elle),
c’est-à-dire (qu’il cherche) l’union la plus complète dans l’amour. Or, la
forme de sa constitution corporelle ne comporte pas d’union plus grande que
l’union sexuelle. La volupté envahit alors tous ses membres. C’est pour cela
qu’il lui a été ordonné de se purifier de cette union au moyen de la grande
ablution : la purification est générale, tout comme l’a été l’extinction dans
la femme au moment de la volupté suprême (46).
Dieu est très jaloux de Son serviteur quand celui-ci se
persuade qu’il éprouve la jouissance avec un autre que Lui ; Il le purifie au
moyen de la grande ablution afin qu’il retourne à nouveau son regard vers Lui
dans l’être dans lequel il s’est éteint ; car il s’agit uniquement de cela.
(47)
Quand l’homme contemple Dieu dans la femme, il contemple le
« pôle passif » (48) ; quand il Le contemple en lui-même sous l’aspect de la
femme qui a été existenciée à partir de lui, il Le contemple en tant que « pôle
actif » (49) ; enfin, quand il Le contemple en lui-même sans que lui soit
présente la forme de ce qui procède de lui (50), il contemple un être dont
l’état est passif par rapport à Dieu, sans intermédiaire (51). Sa contemplation
de Dieu dans la femme est donc plus complète et plus parfaite, car il Le
contemple alors sous Son aspect actif et sous Son aspect passif (52), tandis
que, à partir de lui-même, (il Le contemple) uniquement sous son aspect passif.
Telle est la raison pour laquelle (le Prophète) – qu’Allâh répande sur lui Sa
Grâce unitive et Sa Paix ! – aimait les femmes : en elles, la contemplation de
Dieu est plus parfaite.
Dieu ne peut jamais être contemplé en l’absence d’un support
(53), car l’Essence d’Allâh est indépendante des mondes (54). La réalité
(divine) (55) est inaccessible sous ce rapport, de sorte que la contemplation
implique nécessairement un support sensible (56) ; c’est pourquoi (57) la
contemplation de Dieu dans les femmes est la meilleure et la plus parfaite.
40. C’est-à-dire après avoir insufflé en lui Son Esprit.
41. Ibn Arabî reprend ici le début de son commentaire sur le
hadîth étudié dans ce chapitre (cf. §3, alinéa 1).
42. Entre Dieu et l’Homme Universel ou entre Dieu et Adam.
La raison du développement sur l’insufflation divine en Adam est clairement
exposée ici.
43. Zawj. Pris dans son sens étymologique, le terme «
conjoint » est plus général que celui d’ « époux » utilisé dans la traduction à
la fin de l’alinéa.
44. Li-man ; man, littéralement : « quelqu’un ». Une fois de
plus, les termes utilisés comportent une indétermination quant au sens. D’une
part, la particule li peut indiquer aussi bien l’objet de l’amour (l’être aimé)
que son sujet (l’être aimant, ce qui suppose que l’on donne à cette particule
un sens d’attribution) ; de l’autre, le pronom de rappel (dans « à partir de
lui ») peut s’appliquer aussi bien à Dieu qu’à l’homme. Cela dit, quel que soit
le sens adopté, l’analogie demeure présente. A titre d’exemple, Nâbulusî
comprend : « Dieu aime donc que ce qui est existencié à partir de Lui
(c’est-à-dire la création), tandis que (l’Homme Parfait) aime Celui à partir de
qui il a été existencié et qui est Dieu. » Notre interprétation nous paraît la
plus conforme au texte et au sens.
45. Ta’alluq ; littéralement : « son amour était rattaché à
son Seigneur » dans le sens qui sera précisé ensuite.
46. Husûl ash-shahwa ; littéralement : « l’obtention » ou «
l’achèvement » de la volupté.
47. C’est-à-dire que, en réalité, le serviteur ne s’éteint
qu’en Dieu et ne voit que Lui (qu’il en ait conscience ou non). De la même
façon que son amour de la femme est un Amour divin, sa vision est, elle aussi,
une Vision divine. Dans la femme, il ne peut vois Dieu que par Dieu et en Dieu.
48. Littéralement : « il s’agit d’une contemplation dans un
(être) passif », c’est-à-dire que l’homme contemple Dieu dans ce qui représente
Son aspect « passif ».
49. Littéralement : « il Le contemple dans une actif (qui
est lui-même) ». Le symbolisme de la « polarisation » s’impose dans ce
contexte.
50. C’’est-à-dire la femme.
51. A la différence du premier cas où l’état passif de la
femme est envisagé par rapport à l’être intermédiaire qu’est l’homme.
52. Nâbulusî comprend que ce cas correspond au deuxième
parmi les trois qui ont été énumérés ; mais Bâlî considère, à plus juste titre,
qu’il s’agit de l’ensemble des deux premiers cas.
53. Nâbulusî ajoute : « sensible ou spirituel ».
54. Cor.3, 97 ; 29,6.
55. Al-Amr.
56. Mâdda.
57. C’est-à-dire : à partir du moment où un support est
nécessaire.
L’union la plus grande est l’union sexuelle. Elle est comparable à ce qu’est l’ « auto-orientation » divine (58) vers celui qu’Il a créé selon Sa Forme pour l’établir comme Calife (59), de sorte qu’Il puisse Se voir Lui-même en lui. Il l’a disposé harmonieusement, Il l’a équilibré (60), Il a insuflé en lui de Son Esprit (61) qui est Son Souffle (62). Son extérieur (63) est créature, son intérieur est Dieu. C’est pour cela (64) qu’Il lui a attribué le pouvoir régisseur sur ce sanctuaire (65) en disant – qu’Il soit exalté ! – : Il dirige le Commandement depuis le Ciel… qui signifie l’élévation …jusqu’à la Terre (66) qui est le plus bas de ceux qui sont bas (67), car elle est le plus bas de tous les éléments.
5. Il les
désignées au moyen du terme nisâ’ (68) qui est un pluriel dépourvu de
singulier. C’est pour cette raison (69) qu’il a dit – sur lui la Paix ! – «
M’ont été rendues dignes d’amour trois choses appartenant à votre bas-monde :
les femmes (70)… », et non « la femme (71) », car il avait à l’esprit le fait
que leur venue à l’existence est postérieure à celle de l’homme. En effet, le
terme nisâ’ évoque l’idée d’un retardement (72) ; le Très-Haut a dit : Le mois intercalaire
n’est qu’un surcroît de mécréance (73). De même la vente à crédit comporte un
(payement) différé. C’est pour cela qu’il a utilisé le terme nisâ’.
58. At-tawajjuh. Sur cette notion, cf. L’Esprit universel,
chap. XI.
59. Li yukhlifu-hu ; cf. Les sept Etendards, p : 39-41.
60. Allusion à Cor.81, 7.
61. Cor. 32, 9.
62. Cf. supra, §3, dernier alinéa.
63. Il s’agit de l’Homme Universel ou, ce qui revient au
même, de l’Ipséité divine.
64. C’est-à-dire parce que son extérieur est Dieu.
65. Haykal. Ce sens est possible dans les contextes où
l’homme est envisagé « à l’image de Dieu » (cf. Dozy).
66. Cor.32, 5.
67. Cor.95, 5. Dans ce verset, c’est l’homme qui est décrit
par cet expression. Ibn Arabî identifie la Terre à l’homme au moyen de ce
rapprochement.
68. C’est-à-dire : le Prophète a désigné les femmes au moyen
de ce terme dans le hadîth commenté dans ce chapitre.
69. C’est-à-dire : du fait de la signification symbolique du
terme nisâ’. En effet, celui-ci évoque, par l’absence exceptionnelle d’un
singulier, la pure multiplicité qui, métaphysiquement aussi bien que
logiquement, vient « après » l’Unité divine représentée par l’Homme. Cette
signification est aussi présente dans la racine de ce terme, comme Ibn Arabî l’explique
ensuite.
70. En employant le terme « nisâ’ ».
71. En employant le terme « mar’a » qui, lui, est singulier.
72. Dans ce passage, Ibn Arabî rattache le mot nisâ’ à la
racine n – s – ’ qui est celle de nasî’ (mois intercalaire dont la présence fait
« reculer » le mois suivant) et de nasî’a (crédit), et non à la racine n – s –
w.
73. Cor.9, 37.
Il les a aimées uniquement en raison de leur rang (74) qui exprime la passivité (75). Elles étaient pour lui (76) ce que la Nature primordiale est pour Dieu, qui a fait éclore (77) en elles les formes du monde grâce à l’ « auto-orientation » de Sa Volonté et au Commandement divin qui est l’ « union sexuelle » dans le monde des formes individuelles (78), énergie spirituelle (79) dans le monde des esprits, et ordonnancement des prémisses dans (le monde) des idées en vue d’amener la conclusion. Tout cela, dans tous les aspects (qui viennent d’être mentionnés), n’est autre que l’ « union conjugale » (80) inhérente à la qualité de fard primordial (81).
Celui qui aime les femmes de cette façon (82) les aime d’un
amour divin, tandis que celui qui les aime d’un désir naturel perd la science
(principielle) de ce désir : il s’agit pour lui d’une forme sans esprit – bien
qu’elle soit douée d’esprit selon la réalité véritable – car celui-ci ne peut
être vu (83) de celui qui s’approche de son épouse, ou de quelque femme que ce
soit, pour la seule jouissance, sans savoir à qui elle se rapporte (en réalité)
(84). Il ignore de lui-même ce que les autres ignorent de lui tant qu’il ne L’a
pas nommé de sa bouche (85). Comme l’a dit l’un d’eux (86) :
Les gens sont bien certains que je suis amoureux…
sauf qu’ils ignorent pour qui est mon amour !
C’est ainsi qu’il en est (de l’ignorant) : il n’aime que la
jouissance et la femme en tant qu’elle en est le support, mais l’esprit de la
chose lui échappe. S’il en avait la science, il saurait de qui il jouit et qui
jouit, et il atteindrait la perfection (87).
De même que le rang de la femme est inférieur à celui de
l’homme selon Sa Parole : les hommes possèdent un degré de supériorité sur
elles (88), de même celui qui a été créé selon la Forme occupe un rang
inférieur à Celui qui l’a constitué ainsi, en dépit du fait qu’il est
(effectivement) selon Sa Forme (89). Ce degré distinctif (90) est celui par
lequel Dieu est indépendant des mondes et « Agent primordial » (91), tandis que
la Forme est « agent second » ; elle ne possède pas cette primordialité
(absolue) qui n’appartient qu’à Dieu.
Ce sont leurs rangs qui distinguent les êtres (92). Tout
Connaissant (93) donne à tout-ayant droit le droit qui lui revient (94). C’est
pourquoi l’amour que Muhammad – sur lui la Grâce et la Paix ! – avait des
femmes découlait de la manifestation d’un Amour divin car Allâh confère à toute
chose Sa Création (95), ce qui est l’essence même de son droit (96) ; Il ne la
lui confère que par le droit qu’elle réclame en vertu du nom qu’elle porte
(97), c’est-à-dire de son essence.
Il a mentionné tout d’abord les femmes parce qu’elles
représentent le principe passif ; de même que la Nature primordiale « précède »
ceux qui sont existenciés à partir d’elle au moyen de la forme (98). La Nature
primordiale n’est véritablement rien d’autre que le Souffle du
Tout-Miséricordieux, car c’est en Lui que se déploient les formes du monde, des
plus élevées jusqu’aux plus basses (99), grâce à l’effusion de l’insufflation
(divine) dans la Substance primordiale (100), mais uniquement (101) dans le
domaine de la manifestation corporelle (102). Son effusion en vue de
l’existence des esprits lumineux (103) et des « accidents » (104) est
différente.
74. Existentiel.
75. Littéralement : de leur rang et du fait qu’elles sont le
réceptacle de la passivité.
76. Il s’agit du Prophète envisagé en tant qu’Homme Parfait.
On pourrait donc traduire aussi par : « elles sont pour lui ».
77. Nous reprenons ici l’élégante traduction de Burckhardt.
78. Unsuriyya.
79. Himma.
80. Nikâh. Ce terme, traduit précédemment par « union
sexuelle », désigne ici le « Mariage divin » principiel et universel.
81. Al-fardiyya al-ûlâ. Si l’on comprend, comme Nâbulusî,
qu’il s’agit ici d’un aspect divin, on parlera de « Dignité » (Hadra) plutôt
que de « qualité ».
82. C’est-à-dire, à l’exemple de l’Homme Parfait, en raison
de leur rang existentiel.
83. Mashhûda ; littéralement : « contemplée ». nous suivons
Jâmî qui rapporte ce terme à rûh (esprit) et non à sûra (forme).
84. Li-man. Ici encore, on peut comprendre : « de qui il
jouit » ou, si l’on donne à li un sens attributif, « qui jouit » ; cf. supra,
n. 44.
85. Nous suivons l’interprétation de Nâbulusî : tant qu’il
ne L’a pas nommé comme étant Celui à qui la jouissance se rapporte
véritablement, les autres (sauf s’ils sont des Connaissants) ignorent de lui ce
qu’il ignore lui-même (s’il n’est pas un Connaissant). Toutefois, il y a ici de
grandes divergences : Qâchânî, suivi par Austin, comprend : « il est ignorant
de lui-même, tout comme les autres sont ignorants de lui tant qu’il n’a pas
décliné son identité afin de se faire connaître » ; Bâlî donne à mâ (ce que) un
sens négatif, ce qui donne : « Il est ignorant de lui-même – alors que l’autre
(c’est-à-dire le Connaissant) ne l’est pas – tant que celui-ci ne L’a pas nommé
(pour l’ignorant) dans son propre langage afin qu’il Le connaisse. »
86. C’est-à-dire un poète.
87. Littéralement : il sera parfait.
88. Cor., 2, 228.
89. En effet, la Forme n’est qu’un aspect divin au sein de
la totalité principielle.
90. Sous-entendu : divin.
91. Fâ’ilan awwalan.
92. Al-a’yân.
93. Selon Nâbulusî, il s’agit, ici encore, d’une désignation
de l’Homme Parfait.
94. Ce qui est la définition même de la Sagesse.
95. Cor., 20, 50.
96. C’est-à-dire du droit qu’elle possède, en vertu de son
essence propre, de recevoir la Réalité actuelle.
97. En doctrine akbarienne comme dans l’Hindouisme, le nom
constitue l’essence des choses.
98. Bâlî suppose bizarrement que ces derniers mots se
rapportent à « précède ».
99. Littéralement : du plus élevé jusqu’au plus bas.
100. Al-jawhar al-hayûlânî.
101. Khâssatan.
102. Nâbulusî précise que cette effusion de l’Esprit divin
est à l’origine de la disctinction des esprits minéraux, végétaux, animaux et
humains.
103. C’est-à-dire angéliques.
6. Dans cette
donnée traditionnelle, (le Prophète) – sur lui la Paix ! – a fait prévaloir le
féminin sur le masculin pour marquer l’importance qu’il attachait aux femmes
(105). Il a dit thalâthun, et non thalâthatun avec un hâ (106) qui est (le
terme) utilisé lorsque trois est un masculin (107) ; et cela, alors que parmi
les (objets) dénombrés il a mentionné le parfum qui est masculin (108), et que
le masculin l’emporte habituellement sur le féminin en arabe (109). On dit : «
des femmes et un homme (110) sont sortis », et non « sont sorties » ; même s’il
n’y a qu’un seul homme est une pluralité de femmes, le masculin l’emporte sur
le féminin.
(Muhammad) – sur lui la Grâce et la Paix ! – était arabe
(111), il entendait préserver par ce moyen (grammatical) (112) le sens
spirituel qui avait été recherché (113) dans le fait que les femmes lui avaient
été rendues dignes d’amour, tant que celui-ci (114) ne résultait pas d’un choix
(individuel) de sa part : « Allâh lui enseignait ce qu’il ignorait et la faveur
d’Allâh sur lui était immense » (115). Voilà pourquoi il fit prévaloir le
féminin sur le masculin en disant thalâthun sans hâ. Quelle science des vérités
essentielles que la sienne ! Quelle attention portée aux droits (de chacun) !
(116).
En outre, il a fait en sorte que le terme final (117) soit
féminin et fasse pendant au premier (118),
en plaçant entre ces deux (extrêmes) un (terme) masculin ; il a commencé
par les femmes et terminé par la prière rituelle qui sont deux termes féminins,
le parfum étant intermédiaire comme il l’est lui-même (119) dans l’existence.
L’homme est « inséré » entre l’Essence divine dont procède sa manifestation et
la femme dont la manifestation procède de lui ; il est entre deux féminins, un
féminin quant à l’essence et un féminin véritable (120). De même (dans cette
paroles prophétique) « les femmes » sont un féminin véritable et la prière
rituelle ne l’est pas (121). Le parfum est un masculin placé entre les deux,
tout comme Adam est placé entre l’Essence à partir de laquelle il a été
existencié et Eve qui a été existenciée à partir de lui.
Si tu préfères, tu peux dire (122) la Qualité (123), qui est
aussi un terme féminin ; ou la Puissance, qui en est un autre. Quelle que soit
ta doctrine (124), tu trouveras toujours un féminin initial ; même ceux qui
professent la causalité et qui font de Dieu la cause de l’existence du monde,
car la cause (125) est encore un terme féminin !
104. Comme les couleurs, les saveurs et les autres
différenciations qualitatives que les esprits déterminent dans les degrés
inférieurs de l’existence.
105. C’est-à-dire à la fonction ontologique et spirituelle
des femmes.
106. C’est-à-dire avec le « tâ marbûta » qui est de règle
pour les nombres de 1 à 3 lorsque l’objet compté est au masculin ou que le
masculin l’emporte.
107. Littéralement : quand on dénombre des êtres masculins.
108. Il s’agit du terme tîb.
109. Littéralement : que l’habitude des Arabes est que le
masculin l’emporte sur le féminin.
110. Littéralement : des Fâtima et un Zayd.
111. Sous-entendu : il maîtrisait donc parfaitement les subtilités
de la langue.
112. Si l’on considère que bi-hi se rapporte à ra’â et non à
qusida (« qui avait été recherché ») ; mais, en toute hypothèse, ce mot est
sous-entendu. Le moyen grammatical utilisé était la dérogation à la règle
habituelle.
113. Ou « que Dieu avait recherché », si on lit le verbe à
l’actif.
114. Cet élément de la phrase se rapporte à « préserver ».
115. Allusion à Cor.,4 ,113 où le pronom est à la deuxième
personne : Allâh t’enseigne… etc. » ; cet enseignement consistait, en l’occurrence,
à lui rendre les femmes dignes d’amour.
116. Cette interprétation est en harmonie avec ce qui a été
précisé au §5, avant-dernier alinéa ; mais on peut comprendre aussi qu’il
s’agit des droits d’Allâh.
117. Sous-entendu : « de l’énumération », c’est-à-dire la
prière rituelle.
118. Tout comme le présent chapitre fait pendant au chapitre
sur Adam, ce qui explique les multiples allusions qu’il contient au Califat
adamique.
119. C’est-à-dire le Prophète, toujours considéré ici en
tant qu’Homme Parfait.
120. C’est-à-dire : véritablement passif. L’Essence, et les
fonctions qui s’y rapportent telles qu’elles sont évoquées dans l’alinéa
suivant, sont « féminine » uniquement en ce sens qu’elles revêtent un aspect «
maternel » et miséricordieux à l’égard de la manifestation.
121. En ce sens qu’elle est féminine uniquement par son sens
grammatical.
122. Au lieu de l’ « Essence à partir de laquelle il a été
existencié ».
123. As-sifa ; terme générique qui désigne ici les Attributs
divins.
124. Madhhab ; littéralement : « ton école »
125. ‘Illa.
Charles-André Gilis, « Le Livre des Chatons des Sagesses –
Tome 2″, p. 685-700– Tome 2″, p. 685-700