Seul Dieu a le pouvoir d’ôter les voiles de vos yeux, et vous ne trouverez pas de réponses ici, à moins qu'Il ne le veuille.

21 février 2018

Le Livre des Chatons de la Sagesse - 1







                               1.       Sa sagesse est incomparable (1) car il est le plus parfait des êtres existenciés au sein du genre humain. C’est pour cela que celui-ci a été commencé et scellé par lui : il était prophète « alors qu’Adam était entre l’eau et l’argile » (2) ; puis, du point de vue de sa constitution corporelle (3), il est devenu le Sceau des prophètes.

Le premier fard est trois ; les nombres qui suivent cette primordialité dans l’ordre des fard en procèdent (4).


1.  Fardiyya. Le sens d’incomparabilité prévaut sur celui de singularité généralement adopté par les traducteurs occidentaux. Cette notion s’applique aussi à un élément solitaire par rapport à un ensemble, comme une étoile ou une pierre précieuse d’un éclat exceptionnel. La tentation était donc grande de traduire par « Sagesse du solitaire », conformément au symbolisme des joyaux sur lequel repose les Fusûs. Ce sens symbolique eût d’autant mieux convenu que le solitaire est un diamant, et que l’on peut dire de la lumière du Prophète – sur lui la Grâce et la Paix ! – qu’elle est à la lumière des autres prophètes ce que l’éclat du diamant est à celui des pierres précieuses. Toutefois, ce sens particulier n’est pas attesté pour le terme fard, de sorte que cette traduction a été écartée. 
2. Selon les termes d’un hadîth. La perfection muhammadienne est envisagée d’emblée dans une perspective cyclique, mais la fonction axiale du « Maître des trois mondes » est également suggérée : la perfection mentionnée tout d’abord correspond à l’essence spirituelle et métaphysique ; le hadîth cité ensuite évoque l’excellence « intérieure » de Muhammad au sein du genre humain, et la qualité de « Sceau des prophètes » son excellence « extérieure ». 
3. Littéralement : « élémentaire », formé à partir des éléments constitutifs de sa modalité corporelle.
4. Selon les philosophes (hukamâ ; cf. Futûhât, chap. 379, la section sur ‘abd al-Fard), les nombres fard sont les nombres impairs à partir de 3. Telle n’est pas la doctrine d’Ibn Arabî, pour qui tout nombre est fard lorsqu’il représente l’incomparabilité divine par rapport à un ensemble numérique donné ; par exemple, pour un ensemble de trois unités, Allâh n’est pas « le troisième de trois » mais le quatrième, car Il est avec vous où que vous soyez (Cor.,57 ,4).







                                   2.       Il est la preuve la plus parfaite de son Seigneur car les Paroles Synthétiques lui furent données (5), qui sont les « nommés » correspondant aux « noms » qu’avait reçu Adam (6). Il ressemble à la preuve (logique), qui comporte (aussi) la triade (7). La preuve est une preuve par elle-même (8).

Sa réalité essentielle lui conférait par la triplicité de sa constitution (9) la qualité de « fard primordial » ; c’est pour cela qu’il a dit à propos de l’Amour qui est le principe des êtres existenciés (10) : « M’ont été rendues dignes d’amour trois choses appartenant à votre (11) bas-monde… » (il a dit « trois ») du fait de la triade présente en lui (12) ; puis il a mentionné les femmes, le parfum et le fait que la « fraîcheur de son œil » avait été placée dans la prière rituelle.

Il a commencé par la mention des femmes et terminé par la prière, et cela parce que la femme est une partie de l’homme (13) par l’origine de la manifestation de son être. Or, la connaissance que l’homme a de lui-même précède la connaissance qu’il a de son Seigneur, car celle-ci est une conséquence de la première ; c’est pourquoi il a dit aussi –sur lui la Paix ! – : « Celui qui se connaît soi-même connaît son Seigneur ». Tu peux comprendre cette parole (14) soit dans le sens que cette connaissance est impossible et que (l’homme) est incapable d’y parvenir – car ce sens est permis – soit comme une confirmation de la (possibilité de) cette connaissance. Selon la première interprétation, tu sais que tu ne connais pas ton âme de sorte que tu ne peux connaître ton Seigneur ; selon la seconde, tu la connais, et tu connais par conséquent ton Seigneur.

Muhammad – qu’Allâh répande sur lui Sa grâce unitive et Sa Paix ! – est la preuve la plus évidente de son Seigneur car toute partie du monde est une preuve du principe dont elle procède et qui est son Seigneur. Comprends donc !

5. Suivant les termes d’un hadîth. 
6. Muhammad est la preuve la plus parfaite de son Seigneur parce qu’il réunit la totalité des Paroles, c’est-à-dire, comme Ibn Arabî le précise dans le dernier alinéa, toutes les parties du monde qui procèdent des Paroles divines. L’Homme Universel qui synthétise l’ensemble de la manifestation est le symbole le plus parfait de son Seigneur, car « la réalité actuelle du monde est selon la Forme de Dieu » (cf. Les sept Etendard, p.20). 
7. Allusion au syllogisme qui comporte la triade à la fois dans sa structure (deux prémisses suivi d’une conclusion) et dans ses éléments (le grand terme, le petit terme et le moyen terme commun aux deux prémisses). 
8. D’une façon générale : ad-dalîl dalîl li-nafsi-hi. Mais on peut comprendre aussi qu’elle « inhérente à lui-même » car le Prophète est, par sa propre essence, le symbole de Dieu par excellence ; ou « indicative de Lui-même » car l’Homme Universel n’est autre que le nafsa-Hu d’Allâh, c’est-à-dire l’Ipséité de Son Essence (cf. Ibid., p.30). 
9. Il s’agit de la perfection et de l’universalité de son être total, du triple point de vue principiel, spirituel et individuel ; ou encore, sous le rapport de sa constitution manifestée, de son esprit, de son âme et de son corps. 
10. Selon le hadîth qudsî : « J’étais un Trésor caché et J’aimai à être connu » ; cet Amour principiel se reflète dans la constitution du Prophète à qui trois choses furent « rendues dignes d’amour ».
11. Par l’emploi de ce pronom, le Prophète marque clairement qu’il manifeste en ce monde, en vertu de la perfection totale de son être, ce qui, par son essence, n’appartient pas à ce monde. 
12. C’est-à-dire dans sa constitution ou dans son existence. 
13. Ce point sera développé dans le §3. 
14. Khabar ; littéralement : « cette donnée (traditionnelle) ».

                                      



                                         3.       Les femmes lui furent rendues dignes d’amour (15). Il éprouvait pour elles l’attirance que le tout éprouve pour sa partie (16). Par là, il dévoila la réalité métaphysique véritable (17) exprimée dans Sa Parole sur la constitution corporelle de l’homme : « Et J’insufflai en lui (18) de Mon Esprit » (19), suivie (de cette autre) (20) où Il se décrit comme animé du désir ardent de le (21) rencontrer ; Il a dit, en effet, au sujet de ceux qui Le désirent ardemment (22) : « O Dâwûd, Mon désir de les rencontrer est plus intense encore ! »

Il s’agit là d’une rencontre particulière (liée à la mort du serviteur) car (le Prophète) a dit dans le hadîth sur l’Antéchrist (23) : « Nul d’entre vous ne verra son Seigneur avant qu’il ne meure ». Comment n’y aurait-il pas un désir ardent de celui qui possède cette qualification ! (24) Dieu désire ces Rapprochés en dépit du fait que Lui les voit ; ce qu’Il souhaite, c’est qu’ils Le voient (également) alors que leur condition (terrestre) les en empêche. (Ce hadîth qudsî) est semblable à Sa parole : « Jusqu’à ce que nous sachions » (26) en dépit du fait qu’Il possède la Science ! (Le Très-Haut) désire ardemment cette qualification particulière (27) qui ne peut être actualisée qu’au moment de la mort.

15. La division de ce chapitre en paragraphes est difficile car les divers sujets abordés sont constamment mêlés les uns aux autres.
Le long développement sur les femmes, annoncé dès le §2, s’étend du §3 au §6. Le §3, qui pourrait apparaître comme une simple incidente, indique en réalité l’aspect principiel qui commande l’ensemble, à savoir que, dans l’Homme Parfait, Dieu n’aime véritablement que Lui-même. Le §4 énonce l’analogie fondamentale sur laquelle repose cet ensemble, à savoir que la femme est à l’Homme ce que l’Homme est à Dieu. Le symbole par excellence de cette doctrine est la figure du Triangle de l’Androgyne telle qu’elle a été transmise à Michel Vâlsan par René Guénon (cf. Les sept Etendards, chap. XXIV ; Le Symbolisme de la Croix, chap. III, n. 4 et La Grande Triade, chap. IV). Le §5 reprend la même doctrine selon une perspective cosmologique dont le caractère est indiqué par l’introduction d’une notion nouvelle, celle de « Nature primordiale » qui s’accompagne de l’idée d’un « retardement », c’est-à-dire d’une discontinuité apparente entre le Principe et Sa manifestation ; d’où la nécessité d’un « Mariage divin » que l’union sexuelle reflète et symbolise dans le domaine de la manifestation corporelle. Enfin, le §6 annonce le développement sur le parfum en mettant en relief la fonction du « terme intermédiaire » qui est seul à être du genre masculin puisqu’il est « inséré entre deux féminins ».
16. Ceci est illustré par le fait qu’Eve fut tirée d’Adam. 
17. Littéralement : « ce qu’est la Réalité (amr) en elle-même du côté de Dieu ». 
18. C’est-à-dire en Adam.
19. Cor., 15, 29 ; 38,72.
20. Relatée dans un hadîth qudsî.
21. C’est-à-dire l’homme. 
22. Littéralement (par référence aux termes du hadîth) : « au sujet de ceux qui désirent ardemment, c’est-à-dire qui Le désirent ardemment ». 
23. Cf. Muslim, 52, 95. 
24. Li-man hâdhi-hi sifatu-Hu ou sifatu-hu. Nous suivons l’interprétation de Jâmî qui comprend : « Comment Dieu n’aurait-il pas le désir ardent de rencontrer celui qui aura cette vision après sa mort ! » ; mais on peut comprendre aussi que le désir ardent appartient nécessairement à Dieu, ou encore à ceux qui Le désirent, du fait que cette qualification leur est expressément attribuée dans le hadîth qudsî.
25. Al-muqarrabîna. L’emploi de ce terme, qui s’applique plus particulièrement à ceux qui ont réalisé l’ « Identité Suprême », indique qu’il s’agit ici de la mort initiatique.
26. Cor.,47, 31 ; cf. supra, p.78. L’analogie évoquée est la suivante : de même que la Science éternelle de Dieu ne l’empêche pas de rechercher la Science particulière du « Jusqu’à ce que Nous sachions », de même la Vision éternelle qu’Il a de Ses créatures ne L’empêche pas rechercher la Vision particulière qu’Il acquiert au moment de leur mort. Cette Science et cette Vision particulières ne peuvent être obtenues par Lui que dans la forme de Son serviteur. La Réalité, la Science et la Vision actuelles sont les manifestations contingentes de la Réalité, de la Science et de la Vision éternelles de Dieu. 
27. Khâssa ; ce terme comporte ici une nuance d’ « élection », puisque la qualification dont il s’agit n’est autre que la Vision directe.






C’est par elle (28) qu’Il apaise (29) l’ardent désir qu’ils ont de Lui ; ainsi qu’Il l’a dit dans le « hadîth de l’hésitation » qui relève du même enseignement (30) : « En aucune chose que J’accomplis, Mon hésitation n’est comparable à celle que J’éprouve à reprendre le souffle de Mon serviteur croyant qui déteste la mort ; Je déteste lui faire du mal, mais il faut nécessairement qu’il Me rencontre. » (31) (En s’exprimant ainsi), Il lui annonce une bonne nouvelle ; Il ne lui dit pas : « il faut nécessairement qu’il meure », pour ne pas l’attrister par la mention de la mort. Toutefois, comme Dieu ne peut être rencontré qu’après la mort conformément à ce qu’a dit (le Prophète) – sur lui la Paix ! – : « Nul d’entre vous ne verra son Seigneur avant qu’il ne meure », le Très-Haut a dit : « il faut nécessairement qu’il Me rencontre ». Le « désir ardent » de Dieu est motivé par l’existence de cette relation (particulière) (32) :


L’aimé désire ardemment Me voir

et Mon désir de lui est plus intense encore.

Les cœurs (33) battent d’un désir que le Décret divin contrarie.

Je me plains en gémissant ; il se plaint en gémissant.



(Dieu) ayant déclaré qu’Il avait « insufflé en lui de Son Esprit », Il n’a de désir ardent qu’à l’égard de Lui-même. Ne vois-tu pas qu’Il l’a créé selon Sa Forme parce qu’il est issu de Son Esprit ?

Comme la constitution humaine est composée de ces quatre éléments que l’on appelle « humeurs » en tant qu’ils sont présents dans le corps de l’homme, Son insufflation produit une incandescence au contact de l’humidité que ce corps renferme ; cette constitution fait apparaître (alors) l’esprit de l’homme comme un feu (34). C’est pour cela qu’Allâh a prlé à Mûsâ sous la forme du feu et qu’Il en a fait l’objet de son besoin (35). Si la constitution de l’homme avait relevé (directement) de la Nature primordiale (36), son esprit aurait été lumière.

Dieu a utilisé à ce sujet l’image de l’insufflation pour indiquer que (l’esprit) (37) procède du Souffle du tout-Miséricordieux. C’est par son Souffle (principiel) constitutif de l’insufflation que son essence propre (38) est manifestée : et c’est par la prédisposition du réceptacle où cette insufflation se produit que l’incandescence y apparaît comme « feu » et non comme « lumière ». Le Souffle divin s’intériorise ainsi dans ce qui fait que l’homme est un homme. (39)

28. C’est-à-dire par cette qualification. 
29. Yabullu ; littéralement : qu’il mouille. C’est à tort que Burckhardt a lu yablû (traduit par « il met à l’épreuve »). 
30. C’est-à-dire celui qui se rapporte au désir ardent qu’a Dieu de rencontrer Son serviteur. 
31. Bukhârî, 81, 38. 
32. Nisba ; c’est-à-dire la rencontre conditionnée par la mort. 
33. Littéralement : les âmes. 
34. Envisagée de cette façon, l’esprit correspond au jivâtmâ (« l’âme vivante ») de l’Hindouisme. Rappelons que, selon cette tradition, cette « condition d’Atmâ » est considérée symboliquement comme « ignée » ; cf. René Guénon, L’homme et son devenir, chap. XIII). 
35. Cf. supra, chap. 25, le dernier §. 
36. C’est-à-dire, selon la terminologie guénonienne, se cette constitution avait appartenu au domaine de la manifestation informelle. 
37. Selon Nâbulusî, il s’agit plutôt de l’homme (insân), mais cette interprétation est moins précise. Le terme français « esprit » évoque le souffle et la respiration par son étymologie même. 
38. Celle de l’homme ou celle de l’esprit. 
39. C’est-à-dire dans constitution individuelle sous sa modalité corporelle.









                                        4.       Ensuite (40), (Dieu) a tiré de lui, et pour lui, quelqu’un qu’Il a appelé « femme ». Elle a paru selon la forme de l’homme qui éprouva alors pour elle la vive attirance qu’une chose a pour elle-même (41) ; de son côté, elle éprouva pour lui l’attirance qu’une chose éprouve pour son pays natale.

Les femmes « lui furent rendues dignes d’amour » car Allâh aime celui qu’Il a créé selon Sa Forme et devant qui Il a fait se prosterner les anges de lumière, en dépit de l’immensité de leur puissance et de leur degré, de l’éminence de leur constitution tirée de la Nature primordiale ; c’est de là que vient cette affinité (42).

La forme constitue l’affinité la plus grande, la plus éclatante et la plus parfaite ; elle est le « conjoint » (43) qui rend double la Réalité actuelle de Dieu, de la même manière que la femme dédouble l’homme par son existence et le fait apparaître comme « époux ».

Une nouvelle triade apparaît ainsi, composée de Dieu, de l’homme et de la femme. L’homme éprouve pour son Seigneur, qui est son principe, l’attirance que la femme éprouve pour lui. Son Seigneur lui a rendu les femmes « dignes d’amour » de la même manière qu’Allâh aime celui qui est selon Sa Forme. (L’homme) n’aime donc qu’une être (44) existencié à partir de lui, mais son amour appartient à Celui à partir duquel il a été existencié (lui-même), et qui est Dieu. C’est pour cela qu’il a dit : « m’ont été rendues dignes d’amour », et non « je (les) ai aimées » (comme si cet amour était venu) de lui-même, car son amour dépendait de (45) son Seigneur ; il était « selon Sa Forme » jusque dans l’amour qu’il portait à sa femme : il l’aimait de l’amour qu’Allâh avait pour lui, et revêtait ainsi un caractère divin.

Comme l’homme aime la femme, il cherche à s’unir (à elle), c’est-à-dire (qu’il cherche) l’union la plus complète dans l’amour. Or, la forme de sa constitution corporelle ne comporte pas d’union plus grande que l’union sexuelle. La volupté envahit alors tous ses membres. C’est pour cela qu’il lui a été ordonné de se purifier de cette union au moyen de la grande ablution : la purification est générale, tout comme l’a été l’extinction dans la femme au moment de la volupté suprême (46).

Dieu est très jaloux de Son serviteur quand celui-ci se persuade qu’il éprouve la jouissance avec un autre que Lui ; Il le purifie au moyen de la grande ablution afin qu’il retourne à nouveau son regard vers Lui dans l’être dans lequel il s’est éteint ; car il s’agit uniquement de cela. (47)

Quand l’homme contemple Dieu dans la femme, il contemple le « pôle passif » (48) ; quand il Le contemple en lui-même sous l’aspect de la femme qui a été existenciée à partir de lui, il Le contemple en tant que « pôle actif » (49) ; enfin, quand il Le contemple en lui-même sans que lui soit présente la forme de ce qui procède de lui (50), il contemple un être dont l’état est passif par rapport à Dieu, sans intermédiaire (51). Sa contemplation de Dieu dans la femme est donc plus complète et plus parfaite, car il Le contemple alors sous Son aspect actif et sous Son aspect passif (52), tandis que, à partir de lui-même, (il Le contemple) uniquement sous son aspect passif. Telle est la raison pour laquelle (le Prophète) – qu’Allâh répande sur lui Sa Grâce unitive et Sa Paix ! – aimait les femmes : en elles, la contemplation de Dieu est plus parfaite.

Dieu ne peut jamais être contemplé en l’absence d’un support (53), car l’Essence d’Allâh est indépendante des mondes (54). La réalité (divine) (55) est inaccessible sous ce rapport, de sorte que la contemplation implique nécessairement un support sensible (56) ; c’est pourquoi (57) la contemplation de Dieu dans les femmes est la meilleure et la plus parfaite.

40. C’est-à-dire après avoir insufflé en lui Son Esprit. 
41. Ibn Arabî reprend ici le début de son commentaire sur le hadîth étudié dans ce chapitre (cf. §3, alinéa 1).
42. Entre Dieu et l’Homme Universel ou entre Dieu et Adam. La raison du développement sur l’insufflation divine en Adam est clairement exposée ici. 
43. Zawj. Pris dans son sens étymologique, le terme « conjoint » est plus général que celui d’ « époux » utilisé dans la traduction à la fin de l’alinéa.
44. Li-man ; man, littéralement : « quelqu’un ». Une fois de plus, les termes utilisés comportent une indétermination quant au sens. D’une part, la particule li peut indiquer aussi bien l’objet de l’amour (l’être aimé) que son sujet (l’être aimant, ce qui suppose que l’on donne à cette particule un sens d’attribution) ; de l’autre, le pronom de rappel (dans « à partir de lui ») peut s’appliquer aussi bien à Dieu qu’à l’homme. Cela dit, quel que soit le sens adopté, l’analogie demeure présente. A titre d’exemple, Nâbulusî comprend : « Dieu aime donc que ce qui est existencié à partir de Lui (c’est-à-dire la création), tandis que (l’Homme Parfait) aime Celui à partir de qui il a été existencié et qui est Dieu. » Notre interprétation nous paraît la plus conforme au texte et au sens.
45. Ta’alluq ; littéralement : « son amour était rattaché à son Seigneur » dans le sens qui sera précisé ensuite. 
46. Husûl ash-shahwa ; littéralement : « l’obtention » ou « l’achèvement » de la volupté.
47. C’est-à-dire que, en réalité, le serviteur ne s’éteint qu’en Dieu et ne voit que Lui (qu’il en ait conscience ou non). De la même façon que son amour de la femme est un Amour divin, sa vision est, elle aussi, une Vision divine. Dans la femme, il ne peut vois Dieu que par Dieu et en Dieu.
48. Littéralement : « il s’agit d’une contemplation dans un (être) passif », c’est-à-dire que l’homme contemple Dieu dans ce qui représente Son aspect « passif ». 
49. Littéralement : « il Le contemple dans une actif (qui est lui-même) ». Le symbolisme de la « polarisation » s’impose dans ce contexte. 
50. C’’est-à-dire la femme. 
51. A la différence du premier cas où l’état passif de la femme est envisagé par rapport à l’être intermédiaire qu’est l’homme. 
52. Nâbulusî comprend que ce cas correspond au deuxième parmi les trois qui ont été énumérés ; mais Bâlî considère, à plus juste titre, qu’il s’agit de l’ensemble des deux premiers cas. 
53. Nâbulusî ajoute : « sensible ou spirituel ». 
54. Cor.3, 97 ; 29,6. 
55. Al-Amr. 
56. Mâdda. 
57. C’est-à-dire : à partir du moment où un support est nécessaire.







L’union la plus grande est l’union sexuelle. Elle est comparable à ce qu’est l’ « auto-orientation » divine (58) vers celui qu’Il a créé selon Sa Forme pour l’établir comme Calife (59), de sorte qu’Il puisse Se voir Lui-même en lui. Il l’a disposé harmonieusement, Il l’a équilibré (60), Il a insuflé en lui de Son Esprit (61) qui est Son Souffle (62). Son extérieur (63) est créature, son intérieur est Dieu. C’est pour cela (64) qu’Il lui a attribué le pouvoir régisseur sur ce sanctuaire (65) en disant – qu’Il soit exalté ! – : Il dirige le Commandement depuis le Ciel… qui signifie l’élévation …jusqu’à la Terre (66) qui est le plus bas de ceux qui sont bas (67), car elle est le plus bas de tous les éléments.

5.       Il les désignées au moyen du terme nisâ’ (68) qui est un pluriel dépourvu de singulier. C’est pour cette raison (69) qu’il a dit – sur lui la Paix ! – « M’ont été rendues dignes d’amour trois choses appartenant à votre bas-monde : les femmes (70)… », et non « la femme (71) », car il avait à l’esprit le fait que leur venue à l’existence est postérieure à celle de l’homme. En effet, le terme nisâ’ évoque l’idée d’un retardement (72) ; le Très-Haut a dit : Le mois intercalaire n’est qu’un surcroît de mécréance (73). De même la vente à crédit comporte un (payement) différé. C’est pour cela qu’il a utilisé le terme nisâ’.

58. At-tawajjuh. Sur cette notion, cf. L’Esprit universel, chap. XI. 
59. Li yukhlifu-hu ; cf. Les sept Etendards, p : 39-41.
60. Allusion à Cor.81, 7. 
61. Cor. 32, 9. 
62. Cf. supra, §3, dernier alinéa.
63. Il s’agit de l’Homme Universel ou, ce qui revient au même, de l’Ipséité divine.
64. C’est-à-dire parce que son extérieur est Dieu. 
65. Haykal. Ce sens est possible dans les contextes où l’homme est envisagé « à l’image de Dieu » (cf. Dozy).
66. Cor.32, 5.
67. Cor.95, 5. Dans ce verset, c’est l’homme qui est décrit par cet expression. Ibn Arabî identifie la Terre à l’homme au moyen de ce rapprochement. 
68. C’est-à-dire : le Prophète a désigné les femmes au moyen de ce terme dans le hadîth commenté dans ce chapitre.
69. C’est-à-dire : du fait de la signification symbolique du terme nisâ’. En effet, celui-ci évoque, par l’absence exceptionnelle d’un singulier, la pure multiplicité qui, métaphysiquement aussi bien que logiquement, vient « après » l’Unité divine représentée par l’Homme. Cette signification est aussi présente dans la racine de ce terme, comme Ibn Arabî l’explique ensuite. 
70. En employant le terme « nisâ’ ». 
71. En employant le terme « mar’a » qui, lui, est singulier. 
72. Dans ce passage, Ibn Arabî rattache le mot nisâ’ à la racine n – s – ’ qui est celle de nasî’ (mois intercalaire dont la présence fait « reculer » le mois suivant) et de nasî’a (crédit), et non à la racine n – s – w.
73. Cor.9, 37.





Il les a aimées uniquement en raison de leur rang (74) qui exprime la passivité (75). Elles étaient pour lui (76) ce que la Nature primordiale est pour Dieu, qui a fait éclore (77) en elles les formes du monde grâce à l’ « auto-orientation » de Sa Volonté et au Commandement divin qui est l’ « union sexuelle » dans le monde des formes individuelles (78), énergie spirituelle (79) dans le monde des esprits, et ordonnancement des prémisses dans (le monde) des idées en vue d’amener la conclusion. Tout cela, dans tous les aspects (qui viennent d’être mentionnés), n’est autre que l’ « union conjugale » (80) inhérente à la qualité de fard primordial (81).

Celui qui aime les femmes de cette façon (82) les aime d’un amour divin, tandis que celui qui les aime d’un désir naturel perd la science (principielle) de ce désir : il s’agit pour lui d’une forme sans esprit – bien qu’elle soit douée d’esprit selon la réalité véritable – car celui-ci ne peut être vu (83) de celui qui s’approche de son épouse, ou de quelque femme que ce soit, pour la seule jouissance, sans savoir à qui elle se rapporte (en réalité) (84). Il ignore de lui-même ce que les autres ignorent de lui tant qu’il ne L’a pas nommé de sa bouche (85). Comme l’a dit l’un d’eux (86) :

Les gens sont bien certains que je suis amoureux…

sauf qu’ils ignorent pour qui est mon amour !

C’est ainsi qu’il en est (de l’ignorant) : il n’aime que la jouissance et la femme en tant qu’elle en est le support, mais l’esprit de la chose lui échappe. S’il en avait la science, il saurait de qui il jouit et qui jouit, et il atteindrait la perfection (87).

De même que le rang de la femme est inférieur à celui de l’homme selon Sa Parole : les hommes possèdent un degré de supériorité sur elles (88), de même celui qui a été créé selon la Forme occupe un rang inférieur à Celui qui l’a constitué ainsi, en dépit du fait qu’il est (effectivement) selon Sa Forme (89). Ce degré distinctif (90) est celui par lequel Dieu est indépendant des mondes et « Agent primordial » (91), tandis que la Forme est « agent second » ; elle ne possède pas cette primordialité (absolue) qui n’appartient qu’à Dieu.

Ce sont leurs rangs qui distinguent les êtres (92). Tout Connaissant (93) donne à tout-ayant droit le droit qui lui revient (94). C’est pourquoi l’amour que Muhammad – sur lui la Grâce et la Paix ! – avait des femmes découlait de la manifestation d’un Amour divin car Allâh confère à toute chose Sa Création (95), ce qui est l’essence même de son droit (96) ; Il ne la lui confère que par le droit qu’elle réclame en vertu du nom qu’elle porte (97), c’est-à-dire de son essence.

Il a mentionné tout d’abord les femmes parce qu’elles représentent le principe passif ; de même que la Nature primordiale « précède » ceux qui sont existenciés à partir d’elle au moyen de la forme (98). La Nature primordiale n’est véritablement rien d’autre que le Souffle du Tout-Miséricordieux, car c’est en Lui que se déploient les formes du monde, des plus élevées jusqu’aux plus basses (99), grâce à l’effusion de l’insufflation (divine) dans la Substance primordiale (100), mais uniquement (101) dans le domaine de la manifestation corporelle (102). Son effusion en vue de l’existence des esprits lumineux (103) et des « accidents » (104) est différente.

74. Existentiel.
75. Littéralement : de leur rang et du fait qu’elles sont le réceptacle de la passivité. 
76. Il s’agit du Prophète envisagé en tant qu’Homme Parfait. On pourrait donc traduire aussi par : « elles sont pour lui ». 
77. Nous reprenons ici l’élégante traduction de Burckhardt. 
78. Unsuriyya. 
79. Himma. 
80. Nikâh. Ce terme, traduit précédemment par « union sexuelle », désigne ici le « Mariage divin » principiel et universel. 
81. Al-fardiyya al-ûlâ. Si l’on comprend, comme Nâbulusî, qu’il s’agit ici d’un aspect divin, on parlera de « Dignité » (Hadra) plutôt que de « qualité ». 
82. C’est-à-dire, à l’exemple de l’Homme Parfait, en raison de leur rang existentiel.
83. Mashhûda ; littéralement : « contemplée ». nous suivons Jâmî qui rapporte ce terme à rûh (esprit) et non à sûra (forme). 
84. Li-man. Ici encore, on peut comprendre : « de qui il jouit » ou, si l’on donne à li un sens attributif, « qui jouit » ; cf. supra, n. 44.
85. Nous suivons l’interprétation de Nâbulusî : tant qu’il ne L’a pas nommé comme étant Celui à qui la jouissance se rapporte véritablement, les autres (sauf s’ils sont des Connaissants) ignorent de lui ce qu’il ignore lui-même (s’il n’est pas un Connaissant). Toutefois, il y a ici de grandes divergences : Qâchânî, suivi par Austin, comprend : « il est ignorant de lui-même, tout comme les autres sont ignorants de lui tant qu’il n’a pas décliné son identité afin de se faire connaître » ; Bâlî donne à mâ (ce que) un sens négatif, ce qui donne : « Il est ignorant de lui-même – alors que l’autre (c’est-à-dire le Connaissant) ne l’est pas – tant que celui-ci ne L’a pas nommé (pour l’ignorant) dans son propre langage afin qu’il Le connaisse. »
86. C’est-à-dire un poète. 
87. Littéralement : il sera parfait. 
88. Cor., 2, 228. 
89. En effet, la Forme n’est qu’un aspect divin au sein de la totalité principielle. 
90. Sous-entendu : divin. 
91. Fâ’ilan awwalan. 
92. Al-a’yân. 
93. Selon Nâbulusî, il s’agit, ici encore, d’une désignation de l’Homme Parfait. 
94. Ce qui est la définition même de la Sagesse. 
95. Cor., 20, 50. 
96. C’est-à-dire du droit qu’elle possède, en vertu de son essence propre, de recevoir la Réalité actuelle. 
97. En doctrine akbarienne comme dans l’Hindouisme, le nom constitue l’essence des choses. 
98. Bâlî suppose bizarrement que ces derniers mots se rapportent à « précède ». 
99. Littéralement : du plus élevé jusqu’au plus bas. 
100. Al-jawhar al-hayûlânî. 
101. Khâssatan. 
102. Nâbulusî précise que cette effusion de l’Esprit divin est à l’origine de la disctinction des esprits minéraux, végétaux, animaux et humains.
103. C’est-à-dire angéliques.








                                 6.      Dans cette donnée traditionnelle, (le Prophète) – sur lui la Paix ! – a fait prévaloir le féminin sur le masculin pour marquer l’importance qu’il attachait aux femmes (105). Il a dit thalâthun, et non thalâthatun avec un hâ (106) qui est (le terme) utilisé lorsque trois est un masculin (107) ; et cela, alors que parmi les (objets) dénombrés il a mentionné le parfum qui est masculin (108), et que le masculin l’emporte habituellement sur le féminin en arabe (109). On dit : « des femmes et un homme (110) sont sortis », et non « sont sorties » ; même s’il n’y a qu’un seul homme est une pluralité de femmes, le masculin l’emporte sur le féminin.

(Muhammad) – sur lui la Grâce et la Paix ! – était arabe (111), il entendait préserver par ce moyen (grammatical) (112) le sens spirituel qui avait été recherché (113) dans le fait que les femmes lui avaient été rendues dignes d’amour, tant que celui-ci (114) ne résultait pas d’un choix (individuel) de sa part : « Allâh lui enseignait ce qu’il ignorait et la faveur d’Allâh sur lui était immense » (115). Voilà pourquoi il fit prévaloir le féminin sur le masculin en disant thalâthun sans hâ. Quelle science des vérités essentielles que la sienne ! Quelle attention portée aux droits (de chacun) ! (116).

En outre, il a fait en sorte que le terme final (117) soit féminin et fasse pendant au premier (118),  en plaçant entre ces deux (extrêmes) un (terme) masculin ; il a commencé par les femmes et terminé par la prière rituelle qui sont deux termes féminins, le parfum étant intermédiaire comme il l’est lui-même (119) dans l’existence. L’homme est « inséré » entre l’Essence divine dont procède sa manifestation et la femme dont la manifestation procède de lui ; il est entre deux féminins, un féminin quant à l’essence et un féminin véritable (120). De même (dans cette paroles prophétique) « les femmes » sont un féminin véritable et la prière rituelle ne l’est pas (121). Le parfum est un masculin placé entre les deux, tout comme Adam est placé entre l’Essence à partir de laquelle il a été existencié et Eve qui a été existenciée à partir de lui.

Si tu préfères, tu peux dire (122) la Qualité (123), qui est aussi un terme féminin ; ou la Puissance, qui en est un autre. Quelle que soit ta doctrine (124), tu trouveras toujours un féminin initial ; même ceux qui professent la causalité et qui font de Dieu la cause de l’existence du monde, car la cause (125) est encore un terme féminin !

104. Comme les couleurs, les saveurs et les autres différenciations qualitatives que les esprits déterminent dans les degrés inférieurs de l’existence. 
105. C’est-à-dire à la fonction ontologique et spirituelle des femmes. 
106. C’est-à-dire avec le « tâ marbûta » qui est de règle pour les nombres de 1 à 3 lorsque l’objet compté est au masculin ou que le masculin l’emporte. 
107. Littéralement : quand on dénombre des êtres masculins.
108. Il s’agit du terme tîb. 
109. Littéralement : que l’habitude des Arabes est que le masculin l’emporte sur le féminin. 
110. Littéralement : des Fâtima et un Zayd. 
111. Sous-entendu : il maîtrisait donc parfaitement les subtilités de la langue. 
112. Si l’on considère que bi-hi se rapporte à ra’â et non à qusida (« qui avait été recherché ») ; mais, en toute hypothèse, ce mot est sous-entendu. Le moyen grammatical utilisé était la dérogation à la règle habituelle.
113. Ou « que Dieu avait recherché », si on lit le verbe à l’actif.
114. Cet élément de la phrase se rapporte à « préserver ».
115. Allusion à Cor.,4 ,113 où le pronom est à la deuxième personne : Allâh t’enseigne… etc. » ; cet enseignement consistait, en l’occurrence, à lui rendre les femmes dignes d’amour.
116. Cette interprétation est en harmonie avec ce qui a été précisé au §5, avant-dernier alinéa ; mais on peut comprendre aussi qu’il s’agit des droits d’Allâh.
117. Sous-entendu : « de l’énumération », c’est-à-dire la prière rituelle.
118. Tout comme le présent chapitre fait pendant au chapitre sur Adam, ce qui explique les multiples allusions qu’il contient au Califat adamique.
119. C’est-à-dire le Prophète, toujours considéré ici en tant qu’Homme Parfait. 
120. C’est-à-dire : véritablement passif. L’Essence, et les fonctions qui s’y rapportent telles qu’elles sont évoquées dans l’alinéa suivant, sont « féminine » uniquement en ce sens qu’elles revêtent un aspect « maternel » et miséricordieux à l’égard de la manifestation.
121. En ce sens qu’elle est féminine uniquement par son sens grammatical. 
122. Au lieu de l’ « Essence à partir de laquelle il a été existencié ».
123. As-sifa ; terme générique qui désigne ici les Attributs divins.
124. Madhhab ; littéralement : « ton école »
125. ‘Illa.

Charles-André Gilis, « Le Livre des Chatons des Sagesses – Tome 2″, p. 685-700– Tome 2″, p. 685-700