Seul Dieu a le pouvoir d’ôter les voiles de vos yeux, et vous ne trouverez pas de réponses ici, à moins qu'Il ne le veuille.

19 septembre 2018

Le jour où j'ai volé



C’est arrivé comme ça. Je marchais dans la rue, devant les rares vitrines endormies, et soudain, je fus là-haut. Je devais être ridicule, battant des bras pour tenter d’assurer mon équilibre.


Retrouvant mon calme, je compris que les bras ne servaient à rien. Je n’étais pas un oiseau, non, juste un homme aspiré par un mouvement qui le dépasse. Comment ne me suis-je pas pris dans les câbles, les antennes, les enseignes, je l’ignore. Je me suis juste trouvé là-haut, à trente mètres de hauteur.

Des gens m’avaient aperçu. Ils mettaient leur main en visière. Certains téléphonaient, d’autres me photographiaient.

Pour l’anonymat, c’était foutu.

Je commençais à comprendre que je pouvais me diriger par ma simple volonté, pas en gesticulant, ce qui me rendit un peu de dignité.

Alors, je me mis à crier, et à apostropher la foule qui se rassemblait : « Comment je suis ici ? Parce que je ne pense plus comme vous. Depuis si longtemps ! Si longtemps que je simule l’intérêt pour ce qui vous passionne, si longtemps que je me déguise, que je fais semblant d’être comme vous ! Youhou ! »

Je hurlais de joie.

Un souvenir de lecture me revint ; c’était Rudolf Steiner, peut-être, qui avait dit que les oiseaux volaient non pas par la puissance de leurs ailes, qui ne servaient qu’à planer, ou accentuer le mouvement, mais qu’ils jaillissaient spontanément.

Exactement ça. Je me sentais comme un espace inconnu autour du cœur, comme si ma matière avait été allégée, et que j’avais simplement jailli du sol.

« Détachez-vous, vous volerez aussi ! » leur criai-je avant de foutre le camp.

Je me déplaçais tranquillement au dessus des campagnes jaunes et vertes. Deux forces se partageaient mon esprit : un calme profond, plein comme seul le mot plénitude peut en rendre compte, et une légère inquiétude. Comment vivrai-je, désormais ? Manger, dormir, retrouver ma femme, mes enfants, ceux que j’aime ? Puis je revis des scènes d’un film où Hulk est pris en chasse par des avions. Ça doit commencer. La police, l’armée, tous ces nains vont venir m’emmerder. Mais la paix du vol revenait. Je testai mes limites. Aucune. Comme les fameux OVNI, je pouvais changer de direction et d’endroit à l’instant même où je le désirais, planer tranquillement, ou observer un continent entier depuis les grandes altitudes.

Je compris que toute ma vie n’avait concouru qu’à cela : quitter l’attraction terrestre. Les tâches mécaniques et ennuyeuses, je les avais accomplies sans aucun intérêt. La plupart des gens, et leurs préoccupations miteuses, leurs plaisirs et leurs guerres n’avaient pas retenu mon attention. Seuls, mes sœurs et frères de cœur avaient su ouvrir en moi les chemins de la tendresse et de l’amitié.

Eux aussi sauraient s’envoler. A force de creuser, de ronger, de dissoudre, de chercher la Porte. Je le savais. Plus d’angoisse.

Manger ? Mes jeûnes m’ont appris que la faim est mécanique, elle aussi. On découvre de plus en plus de gens qui n’absorbent aucun aliment et vivent en parfaite santé.

Impossible, disaient les gens sérieux, c’est une escroquerie. Faussaires, menteurs, crachaient-ils en plaçant leurs escouades, sans jamais découvrir la moindre tromperie.

Et moi, je vole. Cherchez le truc, mes braves culs de plomb.

C’est alors que je vis venir vers moi dans la lumière du soir les formes élancées de ceux qui se sont envolés avant moi. Mon peuple, ma famille, mon clan.

D’autres arriveront encore, larguant les amarres, laissant à terre ceux qui rampent, qui se sont enlisés et dont le front baissé ne connaît plus le Ciel.

D’autres nous rejoindront, jusqu’à ce que nous soyons tous enfin réunis.

Jusqu’à notre départ.

Vieux Jade

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