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06 juillet 2018

Orientation et tradition soufie





Selon la modalité polaire, l'observateur regardant vers le Nord donne la préférence à la droite ou l'Est par rapport à la gauche ou l'Ouest. Particulièrement privilégié par les soufis, l'Est est assimilé à la source de lumière tandis que l'Ouest représente l'obscurité. Ils considèrent que l'Est et l'Ouest perdent leur signification géographique pour épouser un sens métaphysique ou spirituel. Les soufis regardent l'Est comme lié à l'être ou l'Esprit universel et l'Ouest à l'être ou au monde humain; l'Est est assimilé à l'ésotérisme, à l'intérieur ou à la connaissance spirituelle, l'Ouest est attaché à l'exotérisme, à l'extérieur ou à la lettre; l'Est symbolise l'essence, le Principe ou le monde intégré à l'origine de toute manifestation en relation avec la phase descendante de la lumière à l'obscurité, l'Ouest la substance, le monde manifesté ou fragmenté en connexion avec la phase ascendante de l'obscurité à l'illumination.

Un mouvement constant entre l'Est et l'Ouest, le jour et la nuit, la lumière et l'obscurité opère à la manière d'une pulsation cardiaque. Les voyages spirituels des soufis sur la voie ascendante débutent avec la sombre errance à l'occident, le monde de la dualité, le premier pas sur le chemin de la ré-intégration à l'orient, source lumineuse de l'Esprit. Il s'ensuit que les Damnés relèvent de la main gauche ou de l'Ouest avant d'avoir accès au monde des Élus propre à la main droite ou à l'Est.

Les pratiques rituelles soufis les plus communes consistent en la remémoration des Noms divins (“dhikr”) et l'entrée dans la danse cosmique (“samâ”):

Le jour où le soleil se lèvera au couchant, l'être humain retournera à l'Un ou au monde lumineux d'où chacun provient. Alors qu'il fait face à l'Ouest au coucher du soleil tout en récitant les Noms divins à voix basse, l'homme (ou la femme) perçoit au crépuscule la résorption du soleil visible et des mots murmurés dans le silence de la nuit. Au cours de la traversée des sombres profondeurs des ténèbres, le son des mots s'évanouit et leur véritable sens émerge à la vue du soleil invisible ou de minuit. L'être peut alors avoir accès à la lumière intérieure, à l'aube, en se tournant vers l'Est. Vibrant aux Noms divins récités à voix haute et résonant à leur sens réel, il ou elle s'identifie au Divin, à l'Être. À partir de ce moment, le soleil qui s'est levé à l'Est ne se couche plus, absorbé à jamais dans le cœur de l'Être Spirituel.

La porte du repentir (“tawba” ou retour à l'Un) est alors, en principe, définitivement close derrière lui ou elle sans possibilité de revenir dans le monde obscur.

Comme l'être domine sa création, l'Est prévaut sur l'Ouest et la droite sur la gauche. De la même manière, le jour vient avant la nuit et la récitation à voix haute a le pas sur celle à voix basse.

En accord avec la circumambulation polaire (se référer à l'orientation), les soufis dansent une ronde à l'image des astres. À l'instar des derviches tourneurs, ils tournent en cercle et sur eux-mêmes de la droite vers la gauche. En tant que symboles de l'Axe du Monde, ils tiennent la paume droite ouverte vers le Ciel pour recevoir l'influence céleste et la gauche tournée vers la Terre pour la transmettre.

A titre d'illustration de la doctrine soufi, voici deux contes qui circulent parmi les derviches et leurs disciples.







Contes derviches



La quête éperdue
Un vieux sage, assis en tailleur devant son ouvrage sur le pas de sa porte, avait coutume d'observer les déplacements des villageois. Son attention fut attirée tout particulièrement par les allées et venues de Mohamed se rendant, trois par jour, à la mosquée. L'homme n'adressait qu'un signe de la tête à cet être qui passait ses journées à se prélasser au soleil sans se soucier de la présence de Dieu. Un jour cependant, il s'arrêta à la vue du vieil homme qui, contrairement à son habitude, se tenait accroupi et scrutait le sol attentivement. Devant ce comportement inhabituel, Mohamed s'approcha de lui et demanda:

“ Que regardes-tu ainsi ?

- Je cherche une aiguille que j'ai égarée, répondit le vieil homme.”

En bon musulman, Mohamed l'assista dans la recherche de son outil de travail. La quête s'avéra vaine malgré leurs efforts conjugués.

“ Es-tu bien sûr de l'avoir perdue ici ? Questionna à tout hasard Mohamed.

- Non, pas du tout, répliqua le chercheur d'aiguille.

- Et où l'as-tu égarée ?

- A l'intérieur de la maison, rétorqua le vieil homme.

- Et tu cherches ton aiguille à l'extérieur ! S'exclama Mohamed.

- Bien sûr, à l'intérieur il fait si sombre alors qu'ici on y voit bien mieux, répondit sans se décontenancer le vieil homme.

- Mais tu es complètement fou ! A t-on jamais vu quelqu'un chercher au dehors ce qui se trouve chez lui, proféra Mohamed.”

Le vieil homme laissa passer un moment de silence, puis regarda Mohamed droit dans les yeux et lui dit: “Vraiment ! Et toi ? Ne vas-tu pas trois fois par jour à la mosquée à la recherche d'un Dieu que tu portes dans ton cœur !”





Trois précieux conseils


Un jour, un homme attrapa un petit oiseau chétif qui lui dit: “Captif, je ne te serai d'aucun secours, mais si tu me rends la liberté, je te donnerai trois précieux conseils.”

L'oiseau promit de donner le premier conseil quand il serait encore entre ses mains, le deuxième lorsqu'il serait perché sur la branche d'un arbre et le troisième alors qu'il aurait gagné le sommet d'une montagne.

L'homme accepta et écouta le premier conseil de l'oiseau: “Si tu perds quelque chose, ne le regrette pas même si tu y tiens autant qu'à ta propre vie.”

L'homme relâcha l'oiseau qui alla se percher sur une branche avant de lui prodiguer le deuxième conseil: “ Ne crois jamais rien qui soit contraire au bon sens.”

Puis l'oiseau s'envola jusqu'au sommet d'une montagne d'où il déclara: “Pauvre infortuné ! Sais-tu que mon corps renferme deux énormes joyaux dont tu serais maintenant l'heureux propriétaire si seulement tu m'avais tué.”

L'homme, pris d'un effroyable tourment à la pensée du gain perdu, implora l'oiseau:

“ Donnes-moi au moins le troisième conseil.

- Quel idiot tu fais, répondit l'oiseau. Tu es là à me demander encore un conseil alors que tu n'as même pas prêté attention aux deux premiers. Je t'ai dit de ne pas te tourmenter si tu perds quelque chose et de ne pas ajouter foi à ce qui est contraire au bon sens. Et c'est précisément ce que tu es en train de faire en ce moment. Tu te laisses berner par des inepties et te lamentes parce que tu as perdu quelque chose. Crois-tu réellement que mon corps chétif puisse contenir deux énormes joyaux et les transporter jusqu'au sommet d'une montagne ? Tu n'es qu'un nigaud prisonnier des balivernes communément colportées en ce bas monde.”




Bibliographie
Émir Abd el-Kader:
“Écrits spirituels” présentés et traduits par Michel Chodkiewicz. Éditions du Seuil ,1982.
Jean Chevalier:
“Le soufisme”. Éditions PUF “Que-sais-je”, 1996.

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