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Seul Dieu a le pouvoir d’ôter les voiles de vos yeux, et vous ne trouverez pas de réponses ici, à moins qu'Il ne le veuille.
14 mai 2020
La notion de « HAQÎQAH ».
La Haqîqah est enlèvement des traces de tes attributs sur toi par Ses Attributs, en tant que c’est Lui qui agit par toi, en toi et de toi, et non par toi : « Il n’y a pas de bête dont Il ne tienne la mèche frontale » (1).
Vers :
En vérité la Haqîqah confère éternellement un Unique [Wâhidan abadâ], alors que la raison par sa spéculation nie l’Unique Un [al-Wâhid al-Ahad].
L’Essence (adh-Dhât) est sans second qui lui impose la parité, bien que le Monde exige, de par ses conséquences le nombre.
Le Tout est un être certain [‘ayn muhaqqaqah] qui n’a ni « épouse », ni « père », ni « fils ».
Sache – et qu’Allâh nous fortifie nous et toi-même, lecteur, par « un esprit procédant de Lui » – que la Haqîqah (la Vérité essentielle) est ce sur quoi repose l’Existence universelle (al-Wujûd) avec tout ce que cela comporte comme « variétés », « similitudes » et « oppositions ».
Si tu ne connais pas la Haqîqah de cette façon, tu ne la connais pas [an lam ta’raf al-haqîqah hakadhâ wa illâ fa-mâ ‘arafta].
Par conséquent, la réalité propre de la Sharî’ah est la réalité propre de la Haqîqah (Fa-‘ayn ash-Sharî’ah ‘ayn al-Haqîqah). La Sharî’ah est haqq (vérité immédiate, droit), or tout haqq a une haqîqah (vérité dernière, essentielle). La vérité immédiate (haqq) de la Sharî’ah est sa réalité en tant que tel (wujûdu ‘ayni-hâ), et sa vérité essentielle (haqîqah) est ce qui apparaît dans la vision intuitive (ash-shuhûd) comme étant l’aspect de sa réalité intérieure, de sorte qu’elle est à l’intérieur telle qu’elle est à l’extérieur et rien de plus, et que même lorsque le « bandeau est enlevé » la situation ne change pas pour le spectateur.
Un des compagnons dit à l’Envoyé d’Allâh – qu’Allâh lui accorde Sa grâce unitive et Sa grâce pacifique – : « En vérité je suis croyant véritablement (haqqan) ! » prétendant ainsi détenir la « vérité immédiate de la Foi » (haqq al-Îmân) (2), or cela est des attributs de l’intérieur de l’être, car c’est tasdîq, « croyance à une véridicité », « reconnaissance de vérité », et le tasdîq a son siège dans le cœur et ses effets dans les membres [jawârih]. – Ceci du moins quand il s’agit d’un tasdîq portant effet sur les membres, car autrement il n’est pas nécessaire que le tasdîq soit manifesté par les membres ; c’est ainsi qu’un autre hadith mentionne que « les parties sexuelles (de l’être soumis au Jugement) le confirment (yusaddiquhu) ou le contestent (yukadhdhibuhu) » [wa-l-fajru yusaddiquhu dhalika aw yukadhdhibuhu], où l’on voit que la véridicité (sidq) est attribuée aux parties corporelles extérieures.
L’Envoyé d’Allâh [salla-Llâh ‘alayhi wa sallam] dit alors au compagnon précité : « Et quelle est la haqîqah de ta Foi ? » Celui-ci répondit : « C’est comme si je voyais le Trône de mon Seigneur se montrer ! » Par cela le compagnon confirmait d’ailleurs une parole de l’Envoyé d’Allâh [salla-Llâh ‘alayhi wa sallam] dite dans une autre circonstance : « En vérité, le Trône de mon Seigneur se montrera le Jour de la Résurrection. » [inna ‘arsha Rabbî yabruzu yawma-l-qiyâmah] Ce compagnon avait entendu cette parole, et cette fois-ci il y fit référence implicitement en affirmant voir le Trône dans sa représentation (khayâl) et répondit : « c’est comme si je le voyais », c’est-à-dire : « Il est pour moi comme ce que je vois par ma vue sensible (basar) ». Or, étant donné le fait qu’il situa le Trône comme objet « vu » et doué d’existence sensible, nous fûmes instruits que la haqîqah exige le haqq et n’en diverge pas [al-haqîqah tatlubu-l-haqq lâ tukhâlifuhu]. Il n’y a pas de haqîqah qui diverge de ce qu’est Sharî’ah, car la Sharî’ah est une des haqâiq (pl. de haqîqah) et les haqâiq sont comparables entre elles et semblables.
La Loi (ash-Shar’) nie et affirme [yanfî wa yathbut]. En disant : « Rien ne Lui est semblable » elle nie (l’analogie) et, en ajoutant immédiatement : « et Lui est l’Audient et le Voyant » (3), elle (l’) affirme (car les qualifications correspondantes à ces deux noms divins sont appliquées, d’une façon ordinaire, aux créatures). Or c’est ce que dit la Haqîqah elle-même (qui, pour les gens de réalisation métaphysique, se qualifie simultanément par des aspects opposés et complémentaires : de négativité et de positivité, d’incomparabilité et de similitude, de transcendance et d’immanence, d’intelligibilité et d’incompréhensibilité, etc).
Par conséquent, la Sharî’ah c’est la Haqîqah [fa-sh-sharî’ah hiya-l-haqîqah]. Or la Haqîqah ou la Vérité essentielle, tout en conférant l’Unité de la Divinité (Ahadiyyah al-Ulûhah), propose en même temps des « rapports » (nisab, sing. nisbah) à son sujet (4). Elle n’affirme donc que l’Unité de la Multiplicité des rapports, non pas l’Unité de l’Unique (al-Wâhid), car l’Unité de l’Unique est évidente d’elle-même, alors que l’Unité de la Multiplicité est difficile à atteindre, et n’est pas perçue par tout être doué de regard. La Haqîqah qui est l’Unité de la Multiplicité [Ahadiyyatu-l-kathrah] n’est pas découverte par chacun.
Les (Gens de la Voie) voyant que tous connaissent la Sharî’ah, tant les catégories d’élite que le commun des fidèles, et que cependant la Haqîqah n’est connue que par une élite, distinguèrent entre Sharî’ah et Haqîqah, et considérèrent comme « Sharî’ah » ce qui est apparent (zahara) des statuts [ahkâm] de la Haqîqah, et comme « Haqîqah » ce qui en reste intérieur [batan] en tenant compte à cet égard du fait que le Législateur divin (ash-Shâri’], qui est Dieu-Vérité (al-Haqq), s’est appelé Lui-même des noms Az-Zâhir = « l’Apparent » ou « l’Extérieur » et Al-Bâtin = « le Caché » ou « l’Intérieur », et que ces deux noms Lui appartiennent selon la vérité profonde (haqîqatan).
La Haqîqah est apparition d’un Attribut divin (Sifatu Haqq) derrière le voile d’un attribut servitorial (sifatu ‘abd). Mais lorsque le voile de l’ignorance [hijâbu-l-jahl] est écarté de l’œil de l’intuition intérieure (‘ayn al-basîrah), celui-ci voit que l’attribut du serviteur est l’Attribut de Dieu même ; telle est la chose chez eux (chez les Connaissants intuitifs de façon générale), mais chez nous (personnellement et chez ceux qui nous ressemblent) la vision intérieure atteste que l’attribut du serviteur est le Seigneur même et non l’Attribut du Seigneur [anna sifatu-l-‘abd hiya ‘aynu-l-Haqq lâ sifatu-l-Haqq]. L’extérieur est « créature » (khalq), l’intérieur « dieu » (Haqq). L’intérieur est le producteur de l’extérieur, car les membres se comportent obédients à ce que leur enjoint l’âme ; celle-ci est intérieure quant à son entité, extérieure quant à son autorité, alors que l’organe corporel n’a qu’un statut d’extériorité et est dépourvu du côté intérieur car il n’a pas d’autorité par lui-même. C’est de la même façon qu’on impute la « déviation » [al-i’ûjâj] ou la « rectitude » [al-istiqâmah] de la marche à celui qui marche et non pas aux membres dont il se sert pour marcher.
En vérité, le « marcheur » au moyen de la « créature » (al-khalq) n’est autre que Dieu Lui-même (al-Haqq), et Lui « Il est sur une Voie Droite » (5). Mais il se peut que la déviation soit « rectitude » en vérité, comme la courbure de l’arc : la rectitude de l’arc est sa courbure même par laquelle il est arc [al-qaws istiqâmatuhu-l-latî urîdu lahâ i’ûjâjuh] ; s’il était rectiligne on n’en obtiendrait pas ce que l’on veut par cette courbure : c’est donc sa courbure même qui est sa « rectitude ».
Il n’y a d’ailleurs dans l’univers que du « droit » ([fa mâ fî-l-‘âlam illâ] mustaqîm) car Celui qui tient la « mèche frontale » de tout être est Celui qui marche avec lui, or il est dit aussi qu’ « Il est sur une Voie droite ([Huwa ‘alâ] sirât mustaqîm) ». Tout mouvement et tout arrêt dans l’existence est divin, car ils sont dans la main d’un Être divin (Haqq) et en procèdent, et Lui est décrit comme « étant sur une Voie droite », tel que nous l’a enseigné le véridique qu’est l’Envoyé divin Hûd – sur lui la Paix ! (6) Or les Envoyés divin (ar-Rusul) ne disent au sujet d'Allâh que ce qu'ils ont appris de Lui, et ils sont les plus savants parmi toutes les créatures. Le monde n’a pas d’excuse plus forte que ce fait (existentiel et naturel affirmé dans les paroles dudit verset). Et c’est de la part des Envoyés divins un acte de miséricorde envers les créatures que d’attirer leur attention sur un point comme celui-ci. Et lorsque Dieu rapporte ce propos tenu par Hûd, nous en prenons nous-mêmes connaissance, et nous savons ainsi quelle est la Miséricorde divine envers nous quand Il nous instruit d’une pareille choses. Le fait qu’Il nous a enseigné ce qu’avait dit Son Envoyé, est pour nous une Bonne-Nouvelle (Bushrâ) de la part d’Allâh, comme celle qu’énonce ainsi un verset « Ils auront la Bonne-Nouvelle dans la vie de ce bas monde et dans la vie future ». Cette « bonne-nouvelle » fait partie des « Paroles » divines – et « les Paroles divines ne changent pas » (7).
Fait partie du chapitre de la Haqîqah le fait qu’Allâh – qu’Il soit exalté – est l’existence même (‘ayn al-wujûd) et qu’Il est qualifié comme ayant des attributs du fait que les choses existantes ont des attributs. Ensuite, Il a instruit que sous le rapport de Son Être (‘Aynu-Hu) Il est l’être des attributs du serviteur et de ses membres, en déclarant : « Je suis son ouïe. (8) » Or Il a rattaché ainsi l’ « ouïe » à l’être « audient » et la lui a attribuée. Alors, comme il n’y a pas d’existant autre que Lui, Il est aussi bien l’ « audient » que l’ « ouïe » de celui-ci ; et ainsi de suite, toutes les autres facultés et perceptions correspondantes ne sont que Lui-même (9).
La Haqîqah est l’être-même de la Sharî’ah est identique à la Sharî’ah (al-haqîqah ‘ayn ash-Sharî’ah). Comprend donc cela. « Et Allâh dit la Vérité et Il guide sur la Voie ».
(1) Coran, 11, 56. [Mâ min dâbbatin illâ Huwa âkhidhun bi-nâsiyatihâ].
(2) Coran, 11, 56. Ce hadith auquel l’auteur emprunte quelques phrases figure dans les Recueils classiques. Or il est utile de le connaître en son entier pour situer les fragments cités ici et plus loin. A l’occasion on peut voir une scène proprement initiatique sous les aspects les plus simples d’un entretien quotidien.
« L’Envoyé d’Allâh [salla-Llâh ‘alayhi wa sallam] demanda tout d’abord à ce Compagnon : « Comment vas-tu ce matin, ô Hârithah ? » Celui-ci répondit : « Ce matin je me trouve croyant pour de vrai (asbahtu mu’minan haqqan) ! » Alors l’Envoyé d’Allâh [salla-Llâh ‘alayhi wa sallam] lui dit : « à chaque haqq (« vrai » ou « droit ») correspond une haqîqah. Quelle est la haqîqah de ta Foi (Îmân) ? » Le Compagnon répondit : « J’ai retiré mon âme du bas-monde, et maintenant l’or et la boue du monde me sont devenus égaux. C’est comme si je voyais les êtres du Paradis se délecter dans le Paradis, et c’est comme si je voyais les êtres du Feu châtiés dans le Feu, et c’est comme si je voyais le Trône de mon Seigneur apparaître ; c’est pour cela que j’ai veillé ma nuit, et que j’ai eu soif pendant ma journée ! » l’Envoyé d’Allâh [salla-Llâh ‘alayhi wa sallam] lui dit alors : « Ô Hârithah ! Tu as eu la connaissance : Attaches-y toi ! (yâ Hârithah, ‘arafta : fa’lzam !) » et il ajouta pour les assistants : « Un serviteur auquel Allâh a illuminé le cœur par la lumière de la Foi ! » [‘abdun nawwara-Llâhu al-îmâna fî qalbihi] ».
(3) Coran, 42, 9. [Laysa ka-mithli-Hi shay’un wa Huwa as-Samî’u al-Basîru].
(4) Ce sont les rapports multiples résultant de la fonction « divine » de la Haqîqah, rapports représentés notamment par les Noms divins.
(5) Coran, 11, 56. [‘alâ sirâtin mustaqîmin].
(6) Cette formule coranique que nous voyons reprise avec insistence, fait partie des paroles que l’Envoyé divin Hûd a adressées à son peuple, et doit être considérée comme faisant partie d’un message divin ; voici d’ailleurs le texte intégral du verset qui contient les expressions citées ici : « En vérité je m’en suis remis à Allâh, mon Seigneur et votre Seigneur. Il n’y a pas de bête dont Il ne soit le tenant de sa mèche frontale. En vérité mon Seigneur est sur une Voie droite » (Coran, 11, 56). [innî tawakkaltu ‘alâ-Llâhi rabbî wa rabbikum, mâ min dâbbatin illâ Huwa âkhidhun bi-nâsiyatihâ, inna rabbî ‘alâ sirâtin mustaqîm].
(7) Coran, 10, 64. [Wa lahum al-bushrâ fî-l-hayât ad-dunyâ wa-l-akhirah lâ tabdîla li-kalimâti-Llâh].
(8) Ces paroles font partie d’un hadith qui parle du fruit des œuvres surérogatoires : « Mon serviteur ne cesse de s’approcher de Moi par des œuvres surérogatoires jusqu’à ce que Je l’aime, et quand Je l’aime, Je suis son ouïe par laquelle il entend, sa vue par laquelle il voit, sa main avec laquelle il saisit, son pied avec lequel il marche… »
[Wa mâ yazâlu ‘abdî yataqarrabu ilayya bi-n-nawâfil hattâ uhibbahu, fa-idhâ ahbabtuhu kuntu sam’ahu lladhî yasma’u bih, wa basarahu lladhî yubsiru buh, wa yadahu llatî yabtishu bihâ, wa rijlahu llatî yamshî bihâ].
(9) C’est pourquoi en revenant à la notion de « l’acte attribué à toi » comme définition de la Sharî’ah on pourrait conclure ainsi « Tant que tu vois que c’est toi comme être particulier qui agis, tu es responsable comme tout être particulier qui se situe nécessairement en subordination de l’Être Suprême. Mais lorsque tu arriveras à ne te plus connaître comme être particulier puisque tu seras éteint à toi-même et ne subsisteras que par l’Être Suprême, tu ne pourras plus t’attribuer l’acte à toi-même et l’accomplir par toi-même, car tu verras alors que c’est Allâh seul qui agit : cela ne veut pas dire que tu n’auras plus à pratiquer la Loi, mais que c’est Allâh avec les Attributs de Sa Seigneurie ou, selon la perspective plus spéciale d’Ibn ‘Arabî, Allâh Lui-même devenu les « attributs » de ton être, qui accomplira tout, et Il les accomplira parfaitement dans la théophanie que tu constitueras tant que tu la constitueras par Son acte. Mais que ce soit « par toi » ou « par Lui » en ce monde Sa loi sera toujours pratiquée. »
Muhyi-d-Dîn Ibn ‘Arabî.
Traduit de l'arabe et annoté par Michel Vâlsan.
[Michel Vâlsan, La notion de « haqîqah », La Vérité essentielle, Futûhât Chap. 263, Études Traditionnelles, n° 396-397, Juil.-Août et Sept.-Oct. 1966].
N.B. : Les parties entre crochets […] sont des notes venant du texte arabe des Futûhât, du Coran ou des hadîth et ne font pas partie du texte traduit par Michel Vâlsan ou de ses notes.
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