De la différence entre ce qui vient de Dieu, de l’ange, de l’âme et du Diable.
Pour obtenir une pleine satisfaction, il suffit donc au Diable de semer la confusion dans l’esprit de l’homme si bien que celui-ci n’est plus en mesure de discerner ce qui vient réellement de Dieu de ce qui Lui est simplement attribué et qu’il devient incapable de distinguer la voie de l’ange de celle de l’âme ou de celle du démon. Que Dieu t’accorde un signe te permettant de reconnaître tes différentes catégories de pensées.
A titre d’exemple, lorsque les pensées d’origine sataniques prennent l’allure d’incitations à l’obéissance, comment les reconnaître ? Tu les reconnaîtras à leur fugacité et à la rapidité avec laquelle tu passes d’une pensée à une autre ; car le Diable est avide (harîs), il a été créé d’une flamme incandescente et la flamme se meut avec rapidité. Par essence donc Iblîs est impermanent et cela dès les origines de sa création : en cela il est conforme à son principe originel. Au contraire, l’homme est stable car il procède de la terre qui est sèche et froide : il est donc constant dans ses occupations et il en est de même pour ses pensées qui proviennent de la nafs et qui demeurent stables tant que ni anges ni démons ne viennent les troubler.
La genèse des pensées d’origine satanique est en étroite relation avec ce qui relève de l’interdit (mahzûr), qu’il s’agisse d’un acte, d’une négligence ou d’une omission ; puis avec ce qui relève du domaine du blâmable qu’il s’agisse d’actes ou de négligences, les premiers concernant la majorité des hommes et les seconds les adorateurs (‘ubbâd) faisant partie du commun des mortels. Parfois ces pensées portent sur ce qui est licite (mubâh) en particulier chez ceux qui débutent dans la Voie de Dieu ; chez ceux qui se situent à des degrés intermédiaires, tels ceux qui participent au dhikr collectif (litt. : açhâb al-samâ’, les « gens de l’audition »), ces pensées sont dirigées vers ce qui est recommandé (mandûb). Car le Diable égare chaque catégorie en fonction de ses tendances prédominantes et il connaît fort bien les moments où il convient d’exercer la tromperie et la séduction !
En ce qui concerne les connaissants (‘arifûn), le Diable se présente à eux à travers les actes qui ont un caractère obligatoire (wâjibât) et n’a de cesse qu’ils manifestent l’intention devant Dieu d’accomplir un acte de soumission (tâ’a) qui est en même temps un engagement (‘ahd) que le connaissant prend devant Dieu. Lorsque le Diable s’est assuré que le connaissant est fermement décidé et qu’il ne lui reste plus qu’à passer à l’acte, il lui fait alors miroiter un autre acte d’adoration, préférable au premier au regard de la Loi. Le connaissant estime alors qu’il doit employer son temps de la meilleure manière, il néglige le premier rite pour entreprendre le second et Iblîs se réjouit de lui avoir fait rompre le pacte qu’il avait contracté avec Dieu. Le connaissant ignore tout cela car, s’il avait su dès le début que cela provenait du Diable, il aurait également su comment l’accueillir et lui résister, à la façon dont Jésus – sur lui la Paix – l’avait fait et dont le font tous les hommes de Dieu confirmés (mutamakkin), en tant qu’héritiers des prophètes. Il verrait qu’en dépit de ce qu’elles contiennent de bon, il ne s’agit que de suggestions sataniques.
C’est ainsi que le Diable se présente à l’hypocrite (dissimulé) parmi les gens du Livre et lui dit : « Ne savais-tu pas que ton Prophète avait déjà annoncé (la venue de) cet homme ? Tu savais bien que c’était lui et que la prophétie les réunissait tous deux ; c’est pourquoi tu peux lui dire qu’il est l’Envoyé de Dieu sur la foi de ce qu’a annoncé ton Prophète et non parce que c’est lui (l’ultime Envoyé) qui te l’a dit car, en réalité, il n’y a aucune différence entre les deux ! » C’est alors que l’hypocrite proclame : En vérité tu es bien l’Envoyé de Dieu ! (Cor.63.1) mais le Très-Haut récuse son mensonge en ces termes : Lorsque les hypocrites viennent à toi, ils te disent : « Nous attestons que tu es l’Envoyé de Dieu ! (Cor.63.1) en fonction de la conviction que le Diable a ancrée en eux ; et c’est pourquoi il ajoute : Dieu sait fort bien que tu es Son Envoyé mais Dieu atteste que les hypocrites sont des menteurs (Cor.63.1) parce qu’ils soutiennent cela non pas parce que tu le leur a dit (mais parce que Satan le leur a suggéré). Et si une telle profession de foi avait été prise en compte, cela serait revenu à nier la mission même de (notre Seigneur) Muhammad – sur lui la grâce et la paix –.
Comment reconnaître la pensée satanique d’une autre.
Je t’ai ainsi inscrit sur la façon dont le Diable procède pour s’insinuer dans les âmes des êtres afin que tu puisses t’en préserver et demander à Dieu qu’Il te donne un signe par lequel tu le (Iblîs) reconnaîtra ! De façon générale, Dieu t’a déjà fourni un instrument de mesure (litt. : une « balance », mîzân) qui n’est autre que la Loi en précisant pour toi au sein de cette Loi ce qui était obligatoire, recommandé, licite, blâmable, déconseillé ou interdit, en exprimant tout cela par écrit, que ce soit dans Son Livre ou par la bouche de Son Envoyé.
S’il te survient une pensée relative à quelque chose de blâmable ou d’interdit, sache qu’elle provient certainement de Satan ; s’il te survient une pensée relative à quelque chose de licite, sache qu’elle provient sans nul doute de ta nafs (l’âme concupiscente). Evite fermement les pensées suscitées par le Diable et relatives à ce qui est blâmable ou à ce qui est interdit, qu’il s’agisse d’une action ou d’une négligence (ou : d’une omission) ! En ce qui concerne ce qui est licite, tu as le choix de t’y adonner (ou non) ; mais si la recherche du bénéfice (arbâh) te domine, alors évite le licite pour te consacrer à ce qui est obligatoire ou recommandé ; et si tu t’emploies (taçarruf) à l’usage de ce qui est licite, fais-le en gardant présent à l’esprit (hudûr) que ceci est licite et que, si le Législateur ne l’avait pas établi comme tel, tu n’en aurais pas fait usage ;de sorte tu seras récompensé en accomplissant ce qui est licite, non pas parce que la chose est licite, mais parce que tu es convaincu qu’il s’agissait bien là d’un point de la Loi (shar’) divine ; car le statut légal (hukm) (d’une chose) n’est pas modifiable (lâ yantaqilu) après la mort de l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix – et ce statut s’identifie avec la Loi (shar’) elle-même dont la porte s’est désormais fermée. Par conséquent, ce qui est licite est licite à jamais et ne sera plus jamais ni obligatoire ni interdit et il en est ainsi pour tous les statuts légaux.
S’il te survient une pensée relative à quelque chose d’obligatoire, mets-la immédiatement en pratique sans en douter car elle te vient de l’ange. S’il te survient une pensée relative à quelque chose de recommandé, retiens la première pensée et tiens-t’y ! car il se peut parfois qu’elle provienne d’Iblîs ; et si, ensuite, la pensée te traverse de délaisser cette recommandation pour une autre plus élevée et plus digne d’attention que la première, ne renonce cependant pas à la première et tiens-t’en à elle tout en te souvenant de la seconde et, quand tu l’as accomplie, alors seulement entame la seconde et accomplis-la aussi : ainsi, Satan s’en reviendra, éconduit (khâsi’an), car il ne sera pas parvenu à ses fins.
Ainsi se soigne la maladie de Satan quand elle agresse ton âme ; tu obtiendras alors la station de ‘Umar (‘umariyya-l-maqâm), et le Diable ne pourra te rencontrer sur un chemin sans être obligé d’en prendre un autre si tu le traites de cette manière. Tâche donc de préserver ce sur quoi nous avons attiré ton attention ! En vérité, Dieu fait l’éloge de ceux qui, tout en rivalisant dans l’accomplissement (ou : qui, s’empressant d’accomplir) de bonnes œuvres, se retrouvent parmi les devanciers (en Paradis) (Cor.23.61). Nous nous contenterons de ce qui vient d’être dit et Dieu dit la Vérité et c’est Lui qui conduit vers la (bonne) Voie (Cor.33.4).
Muhyî-d-Dîn Ibn Arabî
al-Futûhât al-Mekkiyyah
Chap.55 : al-khawâtir al-shaytâniyya
traduit par A. Penot
"le diable connait notre nom et nous appelle par notre péché, le Seigneur connait notre péché et nous appelle par notre nom"
RépondreSupprimerPasteur Carlos Payan