Les djinns forment des sociétés organisées à l’image des sociétés humaines. Le chef des djinns est un sultan. Il existe des juges et d'autres professions sociales dans les sociétés de djinns. Les génies, dont l’aspect original est invisible pour les humains, seraient issus du feu, ce qui instaure une totale discontinuité physique avec les humains créés à partir de l’argile. Mais même s'il existe une grande différence sur le plan physique, il y a une continuité au niveau spirituel : apparence différente mais intérieur identique.
Les habitants de la forêt
Les djinns sont destinés à être les acteurs d’une domestication des êtres de la forêt et on retrouve une certaine analogie avec les animaux de la ferme dont les hommes sont les acteurs. Les animaux de la forêt sont véritablement domestiqués, non pas par les humains mais par les djinns. En effet, les djinns sont les habitants de la forêt et de ce fait les maîtres des animaux non domestiqués par les hommes. On appelle « ahmul el hayan » ceux qui ont la charge des animaux de la forêt. Ces mêmes animaux avec lesquels les hommes n’entretiennent pas de rapports domestiques sont connus pour servir d’animaux domestiques aux djinns :
les chacals sont leurs chiens,
les perdrix sont leurs poules,
les antilopes sont leurs chevaux,
etc.
Les analogies d’apparence établies entre les animaux domestiques et les animaux de la forêt prennent ici tout leur sens et coïncident avec une analogie entre leurs qualités intrinsèques. La forêt apparaît comme l’espace domestique des djinns par opposition à l’espace domestique des humains constitué par la maison, les jardins, les champs. La forêt, espace occupé par les djinns, relève d'un ordre articulé autour des mœurs et des coutumes des djinns.
Ce qui distingue intrinsèquement les animaux domestiques des animaux de la forêt est avant tout la nature de ceux qui les domestiquent, à savoir les humains ou les djinns. Et ces deux mondes voisins entretiennent des craintes et des répulsions l'un par rapport à l'autre. Il faut noter par exemple que les djinns ont peur de certains animaux domestiques tels que les chiens et les vaches.
La perception des djinns - Comment les reconnaitre ?
Il existe une réelle distinction entre les djinns et les humains car le djinn ne se perçoit pas lui-même comme humain et n’appréhende pas l’humain comme un djinn. Chaque race est réellement consciente de ce qu'elle est. Pourtant les uns comme les autres se perçoivent comme des équivalents en tant que créatures de Dieu douées d’intelligence et de parole.
Un grand précepte reste cependant difficile à assimiler par les occidentaux qui n'ont pas côtoyé la tradition musulmane depuis leur enfance : les djinns peuvent nous voir alors que nous même nous n'avons pas la possibilité de les voir sous leur forme originelle puisqu'ils sont invisibles. C'est pour cette raison que les djinns usent beaucoup de la métamorphose et en particulier avec l'assimilation d'éléments animaux. Bien que leur physionomie originale soit imperceptible par les sens humains, les djinns se manifestent parfois aux hommes sous diverses apparences reconnaissables par ces derniers.
Les djinns choisissent l’enveloppe physique qu’ils décident de revêtir. Ils peuvent apparaître sous forme minérale, végétale et beaucoup plus fréquemment sous forme animale et humaine. Lorsqu’ils se manifestent sous la forme d’animaux, les djinns le font exclusivement sous l’apparence d’animaux haram, illicite à la consommation (âne, jument, chat, hyène, lion, serpent). Aucune histoire ne relate le cas d’un djinn qui aurait pris la forme d’une vache, d’un lièvre ou d’une perdrix. Le djinn se transmute et prend l’aspect qu’il désire, et rien dans l’apparence physique ne peut permettre, pour un humain, de différencier un chat, d’un djinn transformé en chat. La plupart du temps, le rapport aux djinns est vécu individuellement, lors d’une rencontre malheureuse. Tout le monde est censé avoir eu plusieurs fois dans sa vie, tout au moins lors des années d’enfance passées en tant que berger, l’expérience d’une confrontation avec un djinn. Telle qu’elle est relatée au travers des récits biographiques, l’expérience des djinns prend souvent la forme d’une rencontre fortuite avec des animaux haram (illicite) au mauvais endroit et au mauvais moment. Un serpent ou un scorpion trouvé aux abords ou dans la maison, un chat, un renard ou un chacal immobilisé au croisement des chemins ou au milieu d’un champ, une mule errant dans un cimetière ou un jardin, une chouette ou une chauve-souris apparue en plein jour, le reflet de deux yeux dans la nuit noire au sein d’une zone horticole, un homme rencontré au milieu du désert… autant d’apparitions intempestives qui sont interprétées comme la manifestation des djinns.
La référence aux djinns intervient toujours quand l’humain se trouve confronté à un être vivant qui n’est pas à sa place, qui n’est pas dans le milieu originel qui lui a été assigné symboliquement par les hommes. Face à un animal qui n’est pas à sa place, on ne peut jamais savoir à qui l’on a vraiment à faire. Les djinns sèment le doute dans l’identification d’autrui. Dans tous les cas, la confrontation inopinée laisse des séquelles psychiques et corporelles chez l’humain, allant du simple trouble de locution durant quelques minutes ou quelques heures, à un mutisme prolongé ou à des crises de spasmophilie et de vertige. Pour expliquer ces symptômes de la rencontre, on raconte que le djinn a donné le mauvais œil au sujet humain, qu’il l’a effrayé par ses paroles, ou qu’il l’a giflé. Le mauvais œil, l’interpellation verbale ou l’agression physique témoignent d’une relation de personne à personne entre l’humain et l’animal incarné par le djinn. Dans cette relation de personne à personne, l’humain est en position d’infériorité, il en vient même à perdre ses facultés humaines, comme le langage. L’individu est pris d’effroi face au mode d’expression typiquement humain de l’animal incarné par le djinn. Il n’est pas question ici de rapports bienveillants entre les humains et les djinns marqués par des régimes de sociabilité. Au contraire, quand un homme rencontre un animal qui n’est pas à sa place habituelle, il est emprunt de doute et subit un rapport de personne à personne qui le rend corporellement et psychiquement vulnérable. Le doute place l’individu dans une posture où les modalités de l’interaction priment sur les référents ontologiques dans l’identification de l’animal. La boîte à outils de l’analogisme ne suffit plus pour identifier l’être face auquel on se trouve, il faut nécessairement s’engager dans l’interaction pour savoir à qui l’on a à faire.
La littérature et les djinns
Ahmed Aarab, Professeur à la Faculté des Sciences et des Techniques de l’Université Abdelmalek Essaâdi de Tanger, nous explique la présence des djinns dans les œuvres zoologiques arabes classiques. Les trois principaux livres étudiés sont :
Le livre des animaux de Al-Jahiz (776-868) ;
Les Merveilles de la Création de Qazwini (1203-1283) ;
La Grande vie des animaux de Damiri (1341-1405).
Soulignons d’abord que l’existence des djinns est admise par l’Islam et mentionnée dans le Coran et les hadiths. Les savants arabes médiévaux les ont considérés comme des animaux et les ont traités dans leurs livres zoologiques. Certains leurs ont même accordé une place dans la classification animale.
1- Les djinns dans Kitab alhayawan (Le Livre des animaux) de Al-Jahiz
Il s’agit d’une œuvre zoologique en sept volumes d’à peu près 400 pages chacun. Voyons quels en sont les sujets abordés.
Les localisations des djinns
Al-Jahiz décrit les djinns comme ayant leur propre communauté et peuplant les lieux où il y a de l'eau, les montagnes, les forêts, les déserts, des endroits inhabités, des maisons en ruines ou longuement inhabitées.
Les genres de djinns
Al-Jahiz rapporte que les arabes distinguent les djinns des hinns. Ces derniers sont plutôt faibles par rapport aux premiers. Parmi les genres de djinns mentionnés dans le Kitab al-hayawan, nous avons les shiq. Ces derniers sont caractérisés par un corps constitué par une moitié longitudinale du corps humain. De ce fait, les shiq possèdent un seul membre supérieur, un seul membre inférieur et un seul œil. Dans un autre passage, il est écrit que ce genre de djinns intercepte les voyageurs provoquant parfois leur mort. Enfin, le croisement entre humain et shiq donne lieu au nasnas, forme humanoïde monopode. Al-Jahiz parle d’un autre genre de djinns : les hawatif. Il s’agit de djinns qui appellent les humains qui vivent isolés du reste de leur communauté. Si un de ces hawatif s’habitue à un humain et ce dernier commence alors à le sentir, l’entendre et même le voir, le djinn devient alors son raiy et peut lui fournir certaines informations.
Les classes des djinns
Dans un autre passage nous avons des appellations de djinns qui diffèrent selon leur statut :
- Si le djinn habite dans les demeures des humains il portera le nom de amir
- S’il attaque les enfants on l’appellera arouah
- S’il est méchant il devient shaytan
- S’il est plus que méchant et redoutable il devient marid
- S’il est encore plus puissant que marid il devient ifrit.
Leurs métamorphoses
Les djinns peuvent se doter d’une corporalité et peuvent se présenter aux yeux des hommes sous forme d'animaux ou sous forme d'êtres humains. Toutefois, dans le cas du ghoul, quand il se transforme en humain, il se présente sous forme d’une femme à pattes d’âne.
Leur nourriture et leur boisson
Toute boisson non couverte, notamment le lait, peut être consommée par les djinns. Parmi leur nourriture nous avons principalement les fèves. Ils peuvent même inviter chez eux des humains et partager avec eux leur nourriture. Il faut noter que les djinns n'absorbent pas de sel.
Le danger des djinns
Al-Jahiz parle aussi du caractère dangereux chez certains djinns et évoque le cas de quelques humains qui furent étouffés, tués ou séduits par les djinns. Il est aussi mentionné dans le Kitab alhayawan qu’un djinn peut hanter les corps d’un humain. Ce dernier sera qualifié de majnun. Ce phénomène se produit lorsqu’un djinn mâle tombe amoureux d’une femme, ou lorsqu’une femelle djinn (dite djinniyah) tombe amoureuse d’un homme. Ils peuvent aussi causer la démence chez celui qui s’endort entre deux portes. Dans un autre passage, Al-Jahiz parle des moyens pour se préserver des djinns. Leurs relations avec les humains Al-Jahiz parle de la possibilité des djinns de devenir visibles pour les humains. Ces derniers peuvent les entendre et leur parler. Notre auteur précise qu’on peut même entendre le bruit de leur musique.
Ils peuvent se marier avec des humains et peuvent même avoir une descendance ; de ce fait, un certain nombre de personnes historiques sont citées comme issues de cette union. Ils peuvent demander le concours d’un humain pour siéger comme juge parmi eux. Ils peuvent aussi conclure des pactes avec les humains. Les humains peuvent aussi solliciter le concours des djinns pour leur venir en aide. Al-Jahiz évoque l’exemple d’incantations et d’implorations adressées aux djinns en vue de les débarrasser des serpents présents dans leurs habitations. Cependant certaines conditions sont nécessaires pour que ces implorations soient exaucées.
Leur transmission de l’information
Les djinns peuvent aussi annoncer certaines informations venant de contrées lointaines, telles que le décès d’un roi ou d’une personnalité importante.
Les djinns et les poètes
Les arabes considèrent les djinns comme les muses inspiratrices des poètes, et considèrent les poètes comme les chiens des djinns.
Leurs sortilèges
Il est aussi mentionné dans le Kitab alhayawan que la peste n’est que l’expression des djinns dirigées contre les humains.
Leurs montures
Plusieurs passages parlent des montures des djinns. Citons notamment les gazelles, le hérisson et un reptile nommé ‘adhrafut. Al-Jahiz précise par ailleurs que parmi les montures des ghouls nous trouvons les lièvres, les chiens et les gazelles ; et c’est pour cette raison que les bédouins évitent de chasser, la nuit, les bêtes qui leur servent de montures.
Leurs vêtements
Quant à leur habillement, les djinns ont une préférence pour des vêtements teintés en jaune ; c’est pour cette raison qu’il est interdit aux humains de dormir vêtus de jaune.
2- Les djinns dans Les Merveilles de la Création de Qazwini
Il s’agit d’une œuvre de vulgarisation à caractère encyclopédique ayant en quelque sorte réuni le savoir sur la nature et l’univers jusqu’alors connu. Dans sa section réservée à la zoologie, Quazwini a réparti les animaux en sept classes :
les humains,
les djinns,
les équidés,
les ruminants,
les carnassiers,
les oiseaux
les insectes.
Quazwini définit les djinns comme étant des êtres de nature aérienne. Cet auteur distingue les djinns des formes qui leurs sont dérivées et qu’il qualifie de mutasheytinah (les sataniformes). Parmi ces dernières, citons-les :
Les ghouls : il s’agit de formes déformées et altérées de djinns, caractérisées par leur port de vêtements qui changent de couleur;
silat : elles se trouvent dans les jungles et interceptent et capturent les proies humaines avec lesquelles elles jouent à la manière du chat avec la souris;
‘addhar : ils interceptent les humains et les violent;
dalhab : ils ressemblent aux humains et disposent des autruches comme monture. Ils vivent dans des îles et se nourrissent des humains rejetés par la mer;
shiq : il s’agit de formes mi-humaines, avec un seul membre inférieur et un seul membre supérieur. Eux aussi interceptent les voyageurs.
A l’instar des autres animaux, les djinns et leurs divers genres sont décrits et traités par ordre alphabétique. A part quelques aspects en relation avec l’avis de la jurisprudence relative aux mariages mixtes entre humains et djinns, où les avis sont partagés entre les oulémas, tout ce qui est décrit sur les djinns est principalement puisé auprès des œuvres de Al-Jahiz et surtout de Qazwini.
3- Les djinns dans La Grande vie des animaux de Damiri
Il s’agit d’une œuvre rédigée sous forme d’un dictionnaire encyclopédique sur les animaux classés par ordre alphabétique, avec au total 1069 entrées. Chaque entrée comprend une description sous forme de données diverses et variées sur les animaux connus de l’époque. Chaque animal est ainsi traité d’un point de vue lexicographique, historique, zoologique où sont mentionnés certains aspects biologiques de l’animal. Il y est aussi noté s’il est évoqué dans le Coran ou dans les hadiths. Il y est également explicité si sa consommation est licite. On y trouve des proverbes et des métaphores où cet animal est présent ; de même que sa présence dans les rêves en vue de leur interprétation. Enfin, l’animal est traité du point de vue de ses propriétés, dites hawas qui renferment les données relatives aux usages domestiques ; propriétés magiques et propriétés thérapeutiques.
La hiérarchie chez les djinns (classement alternatif)
C'est certainement par analogie aux sept anges de l'apocalypse que l'on trouve parfois une autre classification des djinns en sept catégories qui sont les suivantes :
1) Ils sont jaunâtres avec une tête de chien, le corps d'un humain et des pattes de poule. Les os constituent leur unique nourriture.
2) Ceux-ci possèdent toujours une tête de chien mais plus allongée, un peu comme celle d'un chacal. Leur corps est humain et ils ont toujours des pattes de poulet. Leur nourriture est exclusivement de squelettes.
3) La troisième catégorie de djinns est constituée par les djinns rouges. Ils ne possèdent qu'un seul oeil de cyclope. Leur visage est pourtant d'apparence humain, mais avec une mâchoire proéminente. Ils se nourrissent essentiellement du contenu de la panse des ruminants.
4) Ceux-ci sont très semblables à l'homme à l'exception de leurs pieds qui sont ceux d'une poule. Ils sont atteints de cécité et leur visage est orné d’une longue barbe. À la tombée de la nuit, il pénètrent dans les maisons afin de se nourrir de toutes sortes d’aliments dans la mesure ou ceux-ci ne sont pas salés.
5) Comme les précédents, ils apparaissent avec une apparence humaine et des pattes de poule. Leur teint est mat et ils ne consomment que de la viande de mouton.
6) De face, ces djinns ressemblent à des hommes, mais de profil on dirait des aigles. La catégorie des sixièmes djinns constituent l’état-major de la légion de djinns. Ils accompagnent en permanence le sultan. Ils ont une alimentation omnivore à l’exception du fait qu’ils n'absorbent jamais de sel.
7) Il s'agit des djinns ayant le rang le plus élevé. Ces diables noirs obéissent au sultan ainsi qu’à son second dénommé Ycoub ben Youssef. Le chef de la septième caste de djinns est Meimoun el-Gnaoui, alias « Meimoun le Noir », il obéit également au sultan.
Pour entrer directement en contact avec les djinns, il est nécessaire de passer au préalable par un régisseur. Il existe un régisseur différent par jour de la semaine :
• lundi : régi par la diablesse Marrata bent al-Arit.
• mardi : Maadin el-Hamr.
• mercredi : le régisseur est Bourkam el-Yaoudi.
• jeudi : Sam Haros.
• vendredi : Meimoun el-Bioud, alias « Meimoun le Blanc ».
• samedi : « Meimoun le Noir ».
• Pour finir, le régisseur du dimanche est Moudab.
d'après l'ethnologue Romain Simenel
ainsi que d'autres sources diverses et variées
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