L’œil, en raison de sa correspondance particulièrement adéquate avec l’intellect, se
prête pour ainsi dire spontanément au symbolisme traditionnel, et on le retrouve, quoique à
Les autres organes de sensation — ou plus généralement les facultés qu’ils véhiculent — sont
susceptibles, il est vrai, d’applications analogues, mais d’une portée moins « centrale »,
pourrait-on dire : ils correspondent plutôt à des fonctions distinctes et partant secondaires de
l’intelligence, ou encore à des modes fondamentaux de réceptivité et d’assimilation cognitive,
ce qui signifie qu’ils démontrent moins directement que l’œil — ou la vue — l’analogie entre
les connaissances sensible et spirituelle; seule la vue représente, parmi les facultés de
sensation, l’intellect conçu comme tel et en son principe. Cette correspondance évidente entre
la vue et l’intellect tient au caractère statique et total de celle-là : la vue réalise, en effet, d’une
manière simultanée, — et au même titre que l’espace qui lui correspond parmi les conditions
de l’existence corporelle, — les possibilités de beaucoup les plus étendues dans le domaine de
la connaissance sensible, alors que les autres sens ne réagissent que sous les influences ayant
un rapport avec la sensibilité vitale; il faut toutefois excepter l’ouïe qui, elle, reflète
l’intellection, non pas statique et simultanée, mais dynamique et successive, et qui, par
rapport à la vue, joue un rôle que l’on pourrait appeler « lunaire »; c’est pour cela qu’elle se
trouve liée, non pas à l’espace, mais au temps, l’audible se situant somme toute dans la
durée(1).
Quoi qu’il en soit, la sensation la plus importante — ou disons celle qui est
intellectuellement la plus explicite — est incontestablement celle de la lumière, quelle que
puisse être par ailleurs l’importance du « son primordial » et des « parfums », « goûts » et «
attouchements » spirituels; la vue seule nous communique l’existence de corps célestes
incommensurablement éloignés et parfaitement étrangers à nos intérêts vitaux, et on peut
donc dire qu’elle seule est essentiellement « objective(2) ». Il n’est, par conséquent, que naturel
de comparer la lumière à la connaissance et l’obscurité à l’ignorance, et c’est ce qui explique
le large usage que font les langues les plus diverses, et avant tout les Textes Sacrés, du
symbolisme de la lumière et de la vision d’une part, et de celui de l’obscurité et de la cécité
d’autre part.
La transposition symbolique de l’acte visuel sur le plan intellectuel fournit une image
fort expressive de l’« identification par la connaissance » : dans ce processus, il faut en effet «voir »
ce que l’on « est », et « être » ce que l’on « voit » ou « connaît »; l’« objet » est Dieu
dans les deux cas, avec la différence cependant qu’il apparaît comme « concret » dans le
premier cas et comme « abstrait » dans le second.
Mais le symbolisme de la vision est universel et s’applique donc aussi au macrocosme et à tous les
degrés de celui-ci :
le monde est une vision indéfiniment différenciée dont l’objet est en dernière analyse le Prototype divin
de tout ce qui existe, et, inversement, Dieu est l’Œil qui voit le monde et qui, étant actif là où
la créature est passive, crée le monde par sa vision, qui est acte et non passivité(3); l’« œil »
devient ainsi le centre métaphysique du monde dont il est en même temps le « soleil» et le «
cœur(4) » . Dieu ne voit(5) pas seulement l’« extérieur », mais aussi — ou plutôt à plus forte
raison — l’« intérieur », et c’est cette dernière vision qui est la plus réelle, ou plutôt, à
rigoureusement parler, la seule réelle, puisqu’elle est la Vision absolue ou infinie dont Dieu
est à la fois le « Sujet » et l’« Objet », le Connaissant et le Connu. L’univers n’est que «
vision » ou « connaissance », sous quelque mode que celle-ci se réalise, et toute sa réalité est
Dieu : les mondes sont des tissus de visions(6) , et le contenu de ces visions indéfiniment
répétées est toujours le Divin, qui est ainsi la première Connaissance et l’ultime Réalité(7)
—,Connaissance et Réalité étant deux aspects complémentaires de la même Cause divine.
Mais considérons maintenant la fonction de l’Œil du Cœur, au sens habituel de cette
expression, en partant de l’œil corporel comme terme de comparaison : nous dirons alors que
l’œil corporel voit l’aspect relatif, « brisé » pour ainsi dire, de Dieu, tandis que l’Œil du
Cœur(8) s’identifie à Lui par la pureté de sa vision; l’œil corporel est brisé lui-même par sa
bipolarisation qui l’adapte à la perception, c’est-à-dire à la connaissance du manifesté comme
tel, la manifestation procédant à son tour de la bipolarisation principielle de l’Etre en « Verbe
» — ou « Essence déterminante », domaine des « Idées » au sens platonicien — et en Materia
prima(9); l’Œil du Cœur par contre est unique et central, comme la Face divine(10) qui est sa
vision éternelle, et qui, étant au-delà de toute détermination, est aussi au-delà de toute dualité.
Le cœur se trouve ainsi comme situé entre deux visions de Dieu, l’une « extérieure » et
indirecte et l’autre « intérieure » et relativement directe(11), et l’on peut, à ce point de vue,
assigner un double rôle et une double signification au cœur : premièrement, il est le centre de
l’individu comme tel et représente la limitation fondamentale de celui-ci, — son «
durcissement » comme disent les Ecritures, — et par là même toutes ses limitations
secondaires; deuxièmement, il est le centre de l’individu en tant que celui-ci se rattache
mystérieusement à son Principe transcendant : le cœur s’identifie alors à l’Intellect(12), à l’Œil
qui voit Dieu — et qui, par conséquent, « est » Dieu — et par lequel Dieu voit l’homme. Il
n’y a, au fond, dans l’homme que le cœur qui voit : à l’« extérieur », il voit le monde à travers
le mental et les sens, et, à l’« intérieur », il voit la Réalité divine dans l’Intellect; mais les deux
visions, l’extérieure comme l’intérieure, ne sont à rigoureusement parler qu’une seule, celle
de Dieu. Entre ces deux grandes visions, il y a incompatibilité en ce sens qu’elles ne peuvent
se produire l’une à côté de l’autre au même titre et sur le même plan, — nonobstant le fait que
le monde peut être vu « en Dieu » et Dieu « dans le monde », — d’abord parce que la vision
du monde est absorbée et anéantie par celle de Dieu, en sorte que sous cet aspect il ne peut
même pas être question d’une réciprocité quelconque, et ensuite parce que le créé n’existe que
par son particularisme illusoire à l’égard du Principe et que, de ce fait, il implique par
définition son incompatibilité avec la Réalité absolue.
Pour en revenir à la dualité de l’œil corporel, nous dirons que, dans le processus de
bipolarisation requis par la « projection » de l’Etre en mode manifesté, le couple des yeux
marque, au même titre d’ailleurs que l’ouïe et les autres sens, l’extrême limite
et l’aboutissement de ce processus (13) ; c’est ainsi que s’explique l’équivalence organique et la
position symétrique des yeux, tandis que, entre le cœur et le cerveau, il y a tout au plus une
certaine « équivalence » physiologique. Le couple des yeux représente une projection
bipolaire du cerveau dans un domaine de « moindre possibilité »; le cerveau se trouve alors
être l’intermédiaire entre la vision analytique des yeux et la vision synthétique du cœur, et ce
rôle d’intermédiaire est même, à un certain égard, toute sa raison d’être, puisque l’individu,
par son « individuation », s’est illusoirement séparé de la Réalité et doit la rencontrer en
dehors de lui-même. Si l’on représente le cœur et le cerveau par les deux extrémités d’un
élément de verticale, et les yeux par les extrémités d’une horizontale posée sur l’extrémité
supérieure de la verticale, on obtient une forme de T qui peut être considérée comme la
formule géométrique du processus de bipolarisation, et qui peut symboliser à ce titre la
relation entre deux dualités— conçues d’ailleurs de façon quelconque, à condition que le
premier couple soit principiel par rapport au second.
Si l’Œil du Cœur est généralement conçu comme se trouvant caché dans l’homme et
regardant Dieu, bien que, en toute rigueur, cette façon de parler soit contradictoire, ce même
Œil, nous l’avons dit, est aussi — et même surtout — celui de Dieu qui regarde l’homme; ou,
en d’autres termes, il est celui du Principe divin qui englobe la manifestation dans Son
Omniscience. Maintenant, si nous disons, d’une part, que l’Œil du Cœur est l’Œil de la
manifestation voyant le Principe, et, d’autre part, qu’il est l’Œil du Principe voyant la
manifestation (14), nous sommes en présence d’un rapport d’analogie inverse, la vision partant
de la manifestation devant s’opérer à titre de projection ou de reflet inversé de la vision
partant du Principe; et si nous déterminons la première de ces deux visions comme étant
passive vis-à-vis de son Objet divin, nous devons, comme nous l’avons dit plus haut,
considérer la Vision divine comme active, ce qui revient à l’identifier à l’Acte créateur. Par
conséquent, Dieu peut être conçu selon quatre grandes Visions, c’est-à-dire comme « se
réalisant » Lui-même, dans Sa Toute-Connaissance, de quatre manières: premièrement, Dieu
se voit Lui-même en Lui- même, en Son Essence (15); deuxièmement, Il se voit Lui-même par la
Création, qui n’est autre que Sa Vision de Lui-même en vertu de la réalisation de la possibilité
négative, et partant limitative, incluse en Sa Toute-Possibilité (16) ; troisièmement, Il se voit par les
créatures qui Le voient dans la Création (17); quatrièmement, Il se voit par les créatures Le
voyant Lui-même par l’Œil du Cœur (18).
- La première de ces visions est au-delà de toute dualité;
- la seconde vision s’effectue par l’Œil du Cœur;
- la troisième vision s’opère par l’œil corporel, qui signifie l’individu comme tel;
- la quatrième vision émane encore de l’Œil du Cœur, cette fois-ci dans le sens courant du symbolisme,c’est-à-dire signifiant la vision « intérieure » que l’Intellect a de Dieu. La « vision » de Dieu procède de Lui et finit en Lui, comme un cercle qui naît et se referme.
Quand on établit une analogie entre cet Œil interne et l’Œil frontal de Shiva, celui-ci
correspondant chez les hommes à la conscience de l’éternité, — perdue, en tant que faculté
naturelle, pour l’humanité déchue de l’« âge de fer », — on pourra dire que ce troisième œil
s’est retiré de la « surface » de l’être, de même que le Paradis terrestre, selon certaines
traditions asiatiques, s’est retiré sous la terre (19); et comme ce royaume doit réapparaître à la fin
de l’âge sombre, l’Œil du Cœur peut être conçu, dans la réalisation spirituelle, comme devant
remonter, pareil au soleil levant, vers le front qui représente la « surface », pour illuminer et
absorber le plan de l’obscuration individuelle, en sorte que le monde « extérieur » sera
spontanément conçu en son essence et se confondra avec la Réalité « intérieure»(20). Cette
façon d’envisager les choses est toutefois quelque peu humaine, puisque, au fond, c’est
l’homme qui s’est éloigné de l’Œil éternel, et c’est l’humanité qui s’est éloignée du Paradis, et
non inversement, de même que c’est la terre qui se détourne du soleil, malgré les apparences
contraires; on pourra donc dire que l’homme en quête de Dieu doit « descendre » en son cœur
pour retrouver le Paradis perdu et réaliser l’« Unicité de l’Existence » (Wahdat el-Wujûd) (21).
Cette unicité ou identité a été exprimée par le Soufi Mançûr El-Hallâj en des termes
qui sont comme une synthèse de toute la doctrine : « J’ai vu mon Seigneur avec l’Œil de mon
Cœur; et je dis : Qui es-Tu? Il me dit : Toi! ».
NOTES
1- En un certain sens, le soleil fait connaître l’espace, et la lune le temps.
2- L’ouïe est « subjective » — mais non « vitale » comme l’odorat, le goût et le toucher — en ce sens qu’elle nous communique les choses en tant qu’elles nous concernent; la vue nous les communique seulement — et par là même plus amplement — en tant qu’elles « sont », non en tant qu’elles nous « parlent ». La comparaison de la musique — art exclusivement auditif — et de la peinture — art exclusivement visuel — est tout à fait significative à cet égard. Quant à la parole, elle s’adresse par définition à un auditeur; par exemple, si un Nom divin écrit se présente à nous avec l’impersonnalité d’une doctrine, le même Nom aura, dès lors qu’il sera prononcé et entendu, la fonction d’un « appel »; la distinction entre les perspectives métaphysique et initiatique — en tant qu’une telle distinction est possible et relativement légitime — apparaît ici nettement, et elle explique aussi le rôle fondamental que jouent les incantations dans les méthodes spirituelles.
3- Ici, le symbolisme traditionnel fera de préférence intervenir la Parole — le Verbe — en raison de son intelligibilité immédiate.
4- Les rapports entre l’œil, le cœur et le soleil sont multiples et profonds, ce qui permet souvent de les considérer comme synonymes. L’œil est le soleil du corps, comme le cœur est le soleil de l’âme, et le soleil est à la fois l’œil et le cœur du ciel.
5- Dieu, en tant que « Voyant », se voit Soi-même, et aussi le monde, y compris la contingence la plus infime — une « fourmi dans le désert », pour citer une expression du Prophète. Ceci exclut d’ailleurs tout panthéisme et aussi tout déisme.
6- Un monde est ainsi un « rêve » collectif et pourtant homogène, les éléments constitutifs de ce rêve étant évidemment des compossibles. Les « subjectivistes » qui s’inspirent faussement de la doctrine hindoue oublient volontiers que le monde n’est nullement l’illusion d’un individu singulier; en réalité, il est une illusion collective à l’intérieur d’une autre illusion collective, celle du cosmos total.
7- Dans la doctrine hindoue, le pôle « Connaissance » est désigné par le terme de Chit et le pôle « Réalité » par celui de Sat; dans le microcosme humain, on distinguera les pôles « intelligence » et « volonté », ou, à un degré plus extérieur, « pensée » et « action ».
8- Avant les Soufis, cette même expression (Oculus Cordis) a été employée par Saint Augustin et d’autres; elle est en rapport avec la théorie bien connue de ce Père et des docteurs qui l’ont suivi, d’après laquelle l’intellect humain est « illuminé » par la Sagesse divine. — La question de savoir s’il existe ou non une relation historique entre 1’ « Œil du Cœur » de la doctrine plotinienne (ὁ μὀνοϛ ὸφθαλμὁϛ), celui de la doctrine augustinienne et celui du Soufisme (Ayn el-Qalb) est sans doute insoluble, et d’ailleurs sans importance au point de vue où nous nous plaçons; il nous suffira de savoir que cette idée est fondamentale et se retrouve à peu près partout. — N’oublions pas de mentionner que Saint Paul, dans l’Epître aux Ephésiens, parle des « yeux de votre cœur » (illuminatos
oculos cordis vestri, ut sciatis...) (I, 18). Il est d’autre part à peine besoin de rappeler que, selon la huitième béatitude du sermon de la montagne, ce sont ceux qui ont le « cœur » pur qui verront Dieu.
9- Dans la doctrine hindoue: Purusha et Prakriti, Principes mâle et femelle. Parfois, celui-ci est considéré comme actif et celui-là comme passif, parce que la femme est active en tant que mère; elle « produit » les enfants, tandis que l’homme, sous le seul rapport de la jouissance, est passif.
10- La « Face de Dieu » (Wajhu Llâh) représente, dans le symbolisme soufique, l’essence divine (Dhâtu Llâh, la « Quiddité » ou « Aséité », ὓπαρξιϛ dans la théologie grecque), c’est-à-dire la Réalité « voilée », d’abord par les degrés innombrables de la Manifestation universelle, puis par 1’ « Esprit » (Er-Rûh) qui est le « centre » de celle-ci en même temps que son « Essence lumineuse » (En-Nûr), puis enfin par l’Etre même; c’est pour cela que la « Face de Dieu » est appelée aussi 1’ « absolument Invisible » (El-Ghayb el-mutlaq), ou 1’ « Invisible des invisibles» (Ghayhb el-ghuyûb).
11- Il y a là une contradiction dans les termes qui est inévitable en pareil cas.
12- Rappelons à cet égard que, d’après l’expression de maître Eckhart, l’Intellect est « incréé »: Aliquid est in anima quod est increatum et increabile; si tota anima esset talis, esset increata et increabilis, et hoc est Intellectus. — Il ne faut jamais perdre de vue la distinction de l’Intellect incréé d’avec l’Intellect créé, celui-ci véhiculant celui-là. Dans la doctrine hindoue, le premier est Chit et le second Buddhi, les deux étant, en théologie chrétienne, le Saint-Esprit; celui-ci est toujours envisagé sous le rapport de son unité essentielle, non sous celui des degrés d’affirmation universelle; du reste, le Saint-Esprit, conformément au point de vue spécifiquement religieux, n’est guère considéré comme « naturellement » inhérent à l’homme, le dit point de vue étant « sacramental » et excluant par conséquent les aspects « naturels » du « surnaturel ». Les textes qui ne parlent que de l’Intellect incréé sous- entendent toujours l’autre, ce qui revient à dire qu’ils le mentionnent implicitement; d’autre part, lorsqu’on dit que le siège ou « lieu d’actualisation » de l’Intellect est le cœur subtil ou animique, c’est toujours de l’Intellect créé qu’il s’agit a priori et d’une façon immédiate, même quand on attribue à cet Intellect, par synthèse essentielle et en omettant un chaînon de la pensée, le caractère incréé de l’Intelligence divine. En tout état de cause, il va de soi que l’Intellect créé est supra-rationnel comme son prototype non-manifesté.
13- S’il n’en était pas ainsi, l’œil gauche, qui correspond au cerveau et au passé comme l’œil droit correspond au cœur et à l’avenir, — l’Œil frontal du symbolisme hindou correspondant à l’Œil du Cœur « manifesté » et au présent, donc à l’intemporel ou à l’éternité, — l’œil gauche, disons-nous, devrait donner lieu à une nouvelle bipolarisation : ce qui n’est pas le cas, puisque le processus ontologique de bipolarisation prend précisément fin avec les organes de sensation.
14- Un enseignement tout à fait analogue nous a été communiqué — longtemps après que nous eussions écrit ces lignes — de la part du vénérable Chef spirituel des Sioux Ogalalla : « Je suis aveugle et je ne vois pas les choses de ce monde; mais quand la Lumière vient d’En-Haut, elle illumine mon coeur et je peux voir, car l’Œil de mon cœur (Chante Ishta) voit toute chose. Le cœur est le sanctuaire au centre duquel se trouve un petit espace où habite le Grand Esprit (Wakan- Tanka), et ceci est l’Œil. Ceci est l’Œil du Grand Esprit par lequel II voit toute chose, et par lequel nous Le voyons. Lorsque le cœur n’est pas pur, le Grand Esprit ne peut être vu, et si vous deviez mourir dans cette ignorance, votre âme ne pourra pas retourner immédiatement auprès du Grand Esprit,
mais devra être purifiée par des pérégrinations à travers le cosmos. Pour connaître le Centre du Cœur où réside le Grand Esprit, vous devez être purs et bons et vivre selon la manière que le Grand Esprit nous a enseignée.
L’homme qui, de cette manière, est pur, contient l’Univers dans la Poche de son Cœur (Chante Ognaka). » — Il est impossible de ne point se souvenir ici de la théorie hindoue du « Séjour de Brahma » : ce Séjour (Brahma-pura) est dans le ventricule infime (guhâ) du Cœur (Hridaya), qui contient à son tour un petit lotus avec une petite cavité (dahara) occupée par l’Ether (Akâsha), support symbolique de Brahma. — D’après saint Jean Climaque, l’Œil du Cœur peut voir le divin « Soleil de l’Intelligence » et, dans ce cas, le contemplatif se voit lui-même tout lumineux.
15- En toute rigueur, cette façon de parler ne saurait s’appliquer qu’à l’Etre et non à Ce qui le dépasse et l’enveloppe en quelque sorte; cependant, comme rien n’est dans l’Etre qui ne soit dans cette Essence suprême, — car le « Fils » n’a rien que ne possède le « Père », — le symbolisme de la «vision» doit forcément être applicable à Dieu dans Sa Réalité suprême, bien que, dans ce cas, l’acte visuel « se dissolve » dans une Connaissance « indifférenciée » où il n’y a plus trace de bipolarisation. Quoi qu’il en soit, lorsque nous disons que « Dieu se voit Lui-même en Lui-même », c’est à l’Etre que nous pensons en premier lieu, puisque toutes les autres « Visions »en dérivent, et que c’est Lui qui justifie avant tout l’application universelle du symbolisme de la vision.
16- Le symbolisme soufique compare fréquemment la Création à un miroir dans lequel se reflète Dieu.
17- Une Upanishad dit que « ce n’est pas pour l’amour de l’épouse que l’épouse est chère, mais pour l’amour de l’Atman qui est en elle ». Sans le savoir et sans le vouloir, les êtres, quoi qu’ils fassent, connaissent et aiment donc Dieu, et c’est pour cela que maître Eckhart a pu dire : « Plus il blasphème, et plus il loue Dieu. » Cette connaissance et cet amour, étant universels, ne sauraient être le fait des seuls hommes, bien au contraire : car l’homme a par définition la faculté de « voir » Dieu au delà des apparences, et, par compensation aussi, la possibilité de nier Dieu, ce qui n’est point le cas des êtres « périphériques » : un oiseau saluant par son chant l’aurore ou le soleil levant salue réellement et nécessairement Dieu; une plante se tournant vers la lumière se tourne réellement vers Lui.
18- Ce sont, dans le monde terrestre, les hommes qui, se conformant à la raison de l’état humain, s’ouvrent à la Lumière divine, et dont les « cœurs » ne sont point « durcis »; bien que la perspective que nous donnons ici ne concerne que la spiritualité au sens strict du terme, on peut inclure dans cette catégorie d’hommes les individus qui, sans avoir une véritable « intuition intellectuelle » de Dieu, se tournent pourtant vers Lui selon leurs moyens et se conforment ainsi à ce qui fait leur raison suffisante.
19- C’est conformément à ce même symbolisme que certains sanctuaires, par exemple ceux des Indiens Pueblos, sont souterrains.
20- La théorie hindoue des Avatâras se laisse rattacher à l’analogie que nous venons d’exposer : Dieu, ayant été «caché » — au point de vue terrestre — sous les voiles du « créé », apparaît soudainement comme un soleil à la «surface » du monde humain pour l’illuminer et le « réintégrer » dans Sa propre Réalité « invisible ».
21- Ce mot Wujûd a ici le sens de « Réalité », sans restriction. Ce terme de Wahdat el-Wujûd a été traduit aussi par « Identité Suprême ».
L’œil du cœur de Frithjof Schuon, 1950
METAPHYSIQUE ET COSMOLOGIE chapitre 1 : L’œil du cœur
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