Seul Dieu a le pouvoir d’ôter les voiles de vos yeux, et vous ne trouverez pas de réponses ici, à moins qu'Il ne le veuille.

20 juin 2020

La fin d’un monde

« L’histoire de l’Europe au cours de la fin du Moyen Age et de la Renaissance est en grande partie une histoire des confusions sociales qui naissent quand une large part de ceux qui devraient être des voyants abandonnent l’autorité spirituelle en faveur de l’argent et du pouvoir politique. Et l’histoire contemporaine est la hideuse relation de ce qui arrive quand les meneurs politiques, les hommes d’affaires, et les prolétaires conscients de leur classe sociale, assument la fonction, dévolue au brahmane, de formuler une philosophie de la vie ; quand les usuriers dictent la politique et discutent des conséquences de la guerre et de la paix ; et quand le devoir de caste du guerrier est imposé à tous et à chacun, sans égard à la constitution psycho-physique et à la vocation » 

Aldous Huxley (La philosophie éternelle, Seuil, 1977, p. 324).


 


Nous souhaitons à travers cet article rappeler les nombreux « signes des temps » qui ont caractérisé la période du Moyen-âge tardif et de la dite Renaissance ; ces faits, parfois anecdotiques, constituent à nos yeux des symptômes socio-historiques tout à fait frappants de l’effondrement généralisé de la Chrétienté européenne et de sa civilisation, survenu à partir du XIVe siècle, et dont nous subissons encore les conséquences funestes à notre époque d’inversion totale.

Dès lors, nous dresserons une petite liste (bien entendu non-exhaustive), en six points principaux, des multiples événements factuels qui ont marqué la fin de la belle féodalité médiévale,
la dernière période véritablement traditionnelle sur le sol occidental, et qui ont acté l’enclenchement fatal de la décadence moderniste qui se finira dans un cataclysme mondial. Ayons donc bien en mémoire la célèbre mise en garde christique stipulant que « toute maison divisée contre elle-même périra »



La révolte du temporel face au spirituel

La fin du Moyen-âge marque le début des conflits permanents entre l’Église et les pouvoirs laïcs, et plus généralement, voit le Sacré perdre à tout jamais sa place au sommet de la hiérarchie sociétale (la fameuse tripartition féodale : Oratores, Bellatores et Laboratores) au profit des représentants du domaine Temporel : les nations se construisent pas à pas, l’unité supra-nationale qu’était la Chrétienté (qui formait un Tout harmonieux) se disloque face à la constitution des diverses unités nationales profanes (les parties disjointes), le principe spirituel unificateur de l’Europe est ainsi usurpé par les projets politiques particuliers.

Pour illustrer nos propos, nous mentionnerons le règne particulièrement antitraditionnel et nemrodien du roi Philippe le Bel, considéré comme le père de la nation française, mais qui fut surtout le bourreau de la Chrétienté, au début du XIVe siècle (avec ses altérations monétaires répétées au point d’être surnommé « le faux monnayeur » par le peuple, ses attentats meurtriers contre la papauté, ses vols de biens ecclésiastiques, la mise à mort des Templiers qui constituaient l’élite de l’élite chevaleresque) : il représente typiquement ce que l’hindouisme dénomme un Kshatriya (chevalier) révolté contre l’autorité du Brahmane (prêtre).

Nous citerons ici les importantes précisions émises par R. Guénon quant à cette profanation opérée par la royauté à la tête de l’organisation traditionnelle de l’Europe chrétienne : « En Europe, nous trouvons aussi, dès le moyen âge, l’analogue de la révolte des Kshatriyas ; nous le trouvons même plus particulièrement en France, où, à partir de Philippe le Bel, qui doit être considéré comme un des principaux auteurs de la déviation caractéristique de l’époque moderne, la royauté travailla presque constamment à se rendre indépendante de l’autorité spirituelle, (…) Les « légistes » de Philippe le Bel sont déjà, bien avant les « humanistes » de la Renaissance, les véritables précurseurs du « laïcisme » actuel ; et c’est à cette époque, c’est-à-dire au début du XIVe siècle, qu’il faut faire remonter en réalité la rupture du monde occidental avec sa propre tradition » (Autorité spirituelle et pouvoir temporel, Trédaniel, 1984, p. 81-82).

Enfin, dans une même perspective, il est particulièrement notoire d’observer qu’en 1356, avec la promulgation de la « Bulle d’or » par l’empereur Charles IV donne un coup fatal à l’organisation traditionnelle du Saint-Empire en décrétant officiellement que le couronnement impérial par l’autorité papale n’était plus nécessaire et que désormais seule la décision des grands électeurs pouvait assurer la légitimité de l’Empereur.

La confusion sociale et les prémisses du capitalisme

Cette désorganisation au sommet de la pyramide hiérarchique de l’Occident va entraîner dans son sillage un chaos social intégral. La période post-médiévale va acter le démantèlement du système organiciste traditionnel et va voir les anciennes couches sociales se dissoudre et leurs ancestraux liens de solidarité (clergé, mesnie, corporation et famille) se rompre : place désormais aux affres du « tous contre tous » et au machiavélique « diviser pour mieux régner ».

On remarque par exemple la place grandissante occupée à la tête des sociétés par la classe bourgeoise parasitaire (ce qui sera définitivement acté avec la Révolution de 1789), et plus généralement, la prise de pouvoir implicite de la Banque apatride, des marchands et autres entreprises commerciales devenant peu à peu une véritable « aristocratie d’affaire » aux dépends des pouvoirs royaux et des vieilles aristocraties chevaleresques ; même l’Église, en nette perte d’influence, de confiance et de prestige (avec notamment la fin de son monopole sur l’enseignement universitaire, l’achat des titres ecclésiastiques, la pratique honteuse des Indulgences ou l’arrêt des fondations d’Ordres monastiques), se transforme elle-aussi en un acteur politico-économique comme les autres.

D’une manière générale, on assiste à la prépondérance prise par la monnaie fiduciaire et par l’argent-papier et, on constate l’importance accrue du capital financier face aux biens immobiliers et à la possession terrienne (qui étaient autrefois les seuls signes distinctifs de richesse).

Les explorations de terres nouvelles, la multiplication des échanges commerciaux à l’échelle internationale, les nouvelles pratiques usuraires, la spéculation boursière et les politiques mercantilistes annoncent ainsi la naissance de l’ère du capitalisme-roi et de la mondialisation.

De même, les campagnes paysannes jusque là bien enracinées commencent progressivement à se vider face à l’explosion de l’urbanisme anarchique et son vampirisme sur les hommes et les ressources naturelles. La pré-industrialisation et les premières manufactures (ancêtres des usines) provoquent l’apparition d’un « prolétariat » de travailleurs journaliers, paupérisés et précarisés, de plus en plus nombreux et mécontents ; par là-même, on s’aperçoit que l’artisan devient une simple main-d’œuvre ouvrière, les travaux mécanisés et les gestes simplifiés supplantent le savoir-faire patient des corporations de métiers, la machine remplace l’outil.

La guerre et les techniques militaires subissent également de profonds et inquiétants changements ; ainsi, il est important de signaler l’apparition du concept profane de soldat (soit celui qui touche une solde pour combattre) multipliant drastiquement le nombre de victimes sur les champs-de-bataille (autrefois, seuls les membres de l’aristocratie de sang et les chevaliers étaient initiés à l’art de la guerre et étaient autorisés à porter les armes) ; songeons, dans le même registre, au développement des armes à feu et des canons augmentant largement le pouvoir de destruction des différentes forces belligérantes…
            

Épidémies et guerre perpétuelle.

A partir du XIVe siècle, l’ensemble du continent européen est continuellement désorganisé et ravagé par de sinistres vagues de guerres, d’épidémies, de famines et de perturbations climatiques, toutes plus meurtrières les unes que les autres, à tel point que le peuple voyait symboliquement en elles les « Quatre Cavaliers » de l’Apocalypse de saint Jean.

Sans nous étendre sur des faits historiques bien connus, nous rappellerons ainsi que la période post-médiévale a été marquée au fer rouge par la grande « Peste Noire » (apparue en 1348 dans les ports marchands de la Méditerranée et causant la mort d’un tiers de la population européenne en un demi-siècle), par les conflits militaires interminables et les politiques de terres brûlées (comme la « guerre de Cent ans » en France ou la « guerre des deux roses » en Angleterre où la fine fleur de l’aristocratie fut décimée, remplacée par la Gentry), par les terribles guerres de religion (pensons à l’horrible « guerre de Trente ans » ou à la sanglante « Nuit de la Saint Barthélémy »), par les bûchers de l’Inquisition, par la folle « chasse aux sorcières », par les innombrables jacqueries paysannes et autres révoltes populaires dans les nouveaux centres urbains… etc.

La fièvre messianique et l’utopisme

Comme l’exige la perception du temps ― à la fois involutive, cyclique et rythmique ― propre aux sociétés traditionnelles, les hommes médiévaux, via leur « histoire sainte » et leur calendrier sacré, vivaient tous dans la nostalgie du Paradis perdu et aspiraient en permanence à freiner et à cadrer le flux dynamique du Devenir, jugé corrosif et constricteur.

Or, en se coupant de leur tradition chrétienne et en bafouant leur sacralité collective, les hommes de la Renaissance ont pris l’exact contre-pieds de leurs illustres devanciers et sont rentrés de plein fouet dans « l’histoire » proprement dite : place désormais à la fuite en avant dans l’Avenir incertain, au temps linéaire sans qualification, au progressisme historique illusoire et aux hypothétiques « lendemains qui chantent »

Ainsi, chez les masses populaires (surtout celles des nouveaux centres urbains marchands) déracinées, paupérisées et délaissées par leurs « bergers des âmes » légitimes, ce sens de l’histoire progressif, devant aboutir à l’établissement d’un Éden terrestre, a pris la forme d’une explosion de croyances hétérodoxes, de type messianique (soit ceux qui attendent le retour ici-bas du Messie biblique) et millénariste (qui attendent le Millénium, les mille ans de bonheur promis dans l’Apocalypse) se cristallisant autour de faux prophètes ou de moines défroqués (lire à ce sujet l’ouvrage essentiel de N. Cohn : Les fanatiques de l’Apocalypse).

Chez les nouvelles élites politico-économiques, on se met également à rêver de « progrès », d’ « humanisme » et de « futur radieux », sous la forme d’un genre nouveau de fictions littéraires : les utopies (ce mot doit son origine de la célèbre Utopia de T. More). Celles-ci constituent de pures spéculations modernistes, utilitaristes et matérialistes, tout à fait caractéristiques de la médiocrité bourgeoise. Ces cités utopiques (généralement situées sur des îles imaginaires) revêtent en effet toujours les mêmes aspects ténébreux, à savoir des systèmes-clos dépourvus de sacralité, carcéraux, rationalistes, collectivistes, communistes, uniformisés, démocratiques, le tout géré par une poignée d’oligarques « éclairés », soit tout simplement des parodies grossières et fantasmatiques de l’Âge d’or des Anciens.

Afin de résumer notre propos, nous extrairons ici certaines observations pertinentes émises par E. M. Cioran dans son intéressant essai Histoire et utopies : « Si l’homme antique, plus proche des origines, situait l’âge d’or dans les commencements, l’homme moderne en revanche allait le projeter dans l’avenir. (…) « Bientôt ce sera la fin de tout ; et il y aura un nouveau ciel et une nouvelle terre », lisons-nous dans l’Apocalypse. Éliminez le ciel, conservez seulement la « nouvelle terre », et vous aurez le secret et la formule des systèmes utopiques ; (…) Mais utopie, rappelons-le, signifie nulle part »…

                   

La dégénérescence de l’art et de l’architecture

La production artistique perd définitivement son caractère sacré, sa gratuité, son impersonnalité et sa dimension symbolique, place maintenant aux simples ornements décoratifs dépourvus de significations supérieures et à « l’art pour l’art » en tant qu’affaire de goût personnel, tout subjectif et profane.

Songeons simplement à certaines nouveautés comme la mode des autoportraits (inaugurée par celui d’A. Dürer) ou le fait que les artistes signent désormais personnellement leurs œuvres d’art, ce qui participe clairement à la naissance de l’individualisme et à l’exaltation du « moi », si caractéristiques de cet âge luciférien que fut la dite Renaissance.

Que dire aussi de la volonté générale des artistes de rompre avec les anciens thèmes figuratifs issus de la Bible et de la tradition chrétienne, au profit d’une imitation de l’art antique ou de formes « antiquisantes » (avec son lot de corps dénudés, de fioritures naturalistes et de divinités païennes) et autres styles pompeux (tel le baroque) ; c’est également au début de la Renaissance qu’apparaît la figure grotesque du critique d’art (l’un d’entre eux, G. Vasari, élève de Michel-Ange, inventa le terme péjoratif de « gothique » pour qualifier le style médiéval considéré comme démodé).

En ce qui concerne l’architecture, la ferveur religieuse intense qui fut à la base de l’érection des grandioses cathédrales (qui étaient destinées à tous, sans distinction de rang) et des innombrables abbayes du « beau Moyen-âge » s’épuise définitivement à partir du XVe siècle, on leur préfère désormais d’austères bâtiments militaires fortifiés ainsi que la construction — par les monarques dévoyés et les bourgeois parvenus — d’orgueilleux palais privés et autres hôtels particuliers.

Il est également significatif de constater qu’à la fin de l’époque médiévale, l’art religieux, du fait des malheurs des temps et de la mort omniprésente, devient particulièrement morbide, lugubre et dépressif, comme l’atteste la mode nouvelle des « Danses macabres », des « Piétas », des « Christs souffrants », des « Memento Mori », des « Chemins de Croix » ou des « Triomphes de la Mort »…

                   

Les inventions et les découvertes prométhéennes

De nombreuses nouveautés scientifiques et technologiques vont totalement transformer la vision du monde, la vie quotidienne, les rapports sociaux et la psychologie individuelle qu’avaient auparavant les hommes traditionnels au Moyen-âge.

Par exemple, pensons à la fabrication des premiers miroirs individuels, symbole parlant de l’égocentrisme naissant et du goût nouveau pour le paraître mondain ; nous signalerons aussi la généralisation des horloges mécaniques et des montres individuelles en tant qu’instruments de mesure et de rationalisation froides du temps courant, participant en cela au désenchantement de la vie quotidienne et rompant radicalement avec l’ancien calendrier chrétien calqué sur les grands rythmes de la nature et les épisodes évangéliques.

La découverte de l’Amérique par C. Colomb (dont le nom a donné le terme « colon ») tout comme la théorie héliocentrique de Copernic vont totalement perturber la vision chrétienne du monde et acter symboliquement le « désaxement » entier de la société européenne ; à ce sujet, nous tenons à citer les subtiles remarques de J. Evola qui récapitulent bien notre propos : « (…) il est très significatif que la « découverte copernicienne », avec laquelle le fait que la terre soit le centre fixe et immobile des entités célestes cessa d’être « vrai » — alors que devint « vrai » le contraire, que c’est elle qui se meut, que sa loi est d’errer dans l’espace cosmique comme partie insignifiante d’un système dispersé ou en expansion dans l’indéfini — soit survenue plus ou moins à l’époque de la Renaissance et de l’humanisme, c’est-à-dire à l’époque des bouleversements les plus décisifs pour l’avènement d’une civilisation nouvelle, dans laquelle l’individu devait perdre peu à peu tout rapport avec ce qui « est », devait déchoir de toute centralité spirituelle jusqu’à faire sien le point de vue du devenir, de l’histoire, du changement, du courant incoercible et imprévisible de la « vie » (le plus singulier, c’est qu’au début de ce tournant il y a eu au contraire la prétention — l’illusion — d’avoir finalement découvert l’ « homme », de l’affirmer et de le glorifier, d’où le terme d’ « humanisme » ; en réalité, ce fut une réduction à ce qui est « seulement humain », avec un appauvrissement de la possibilité d’une ouverture et d’une intégration au « plus qu’humain ») » (L’arc et la massue, Pardès, 1983, p. 13-14).

Enfin, il nous faut rappeler que l’invention de l’imprimerie et la multiplication sans précédent de l’écrit (notamment les traductions et les commentaires plus ou moins tendancieux de la Bible, sans compter la prolifération des livres profanes), amenant à une lecture individualiste, critique, rationaliste ou littéraliste des textes sacrés, vont permettre de promouvoir à grande échelle le courant « humaniste », la « libre pensée » et le « libre examen » qui seront à l’origine de la perte d’influence de l’enseignement clérical et finalement de la Réforme protestante…



Au final, on s’aperçoit que ce vaste et déterminant décalage civilisationnel, apparu à partir de XIVe siècle, a provoqué une grave gangrène inguérissable dans tous les aspects de l’existence de l’Occident, entraînant petit à petit avec lui, dans cette gigantesque dissolution exponentielle, l’ensemble de la planète.

Tous les maux de notre temps (crise politico-spirituelle, parasitisme bancaire, ploutocratie, idiocratie, pornocratie, ingénierie sociale, transhumanisme, art dégénéré, laideur architecturale, inversion sexuelle… etc.) sont nés à la fin du Moyen-âge et n’ont fait depuis lors que s’accentuer et s’accélérer dangereusement.

En bout de chaîne, tout cela aboutira à une société mondiale bête et méchante, à la fois liquide, spectaculaire, carnavalesque, robotique, indécente et indifférenciée, une sorte de marécage sociologique contrôlé de A à Z par l’intelligence artificielle, où le bétail humain pré-simiesque sera pucé, où l’argent sera dématérialisé, où toutes les pires déviances seront permises (on sait par exemple que le mariage avec des animaux, la baisse drastique de la majorité sexuelle, la légalisation de toutes les drogues ou l’euthanasie des enfants sont actuellement discutés dans les loges maçonniques), où le n’importe quoi sera valorisé, où toute forme de qualité sera suspecte, et où l’homme, selon les dires de J. Attali en 1990, « devenu prothèse de lui-même », « sans adresse ni famille stable », « se produira comme une marchandise »



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